Edouard Garand (73 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 51-53).

CHAPITRE XVIII

MORT DE LA SALLE


De La Salle ayant obtenu le rétablissement de son crédit en France, s’empressa d’en faire part à son fidèle ami ; le fort Saint-Louis revenant en sa possession il le priait d’en prendre charge. Cette nouvelle, lorsque Tonty la reçut avait été préalablement appuyée d’une lettre du gouverneur du Canada qui rappelait M. de Baugy et laissait Tonty seul maître du poste et des environs.

Nous l’avons dit déjà, il était difficile de servir sous les ordres de La Salle à cause de son caractère dur et désagréable. Le commandant de la flottille de quatre navires mis à la disposition du Découvreur par le roi en vue de fonder une colonie aux bouches du Mississippi, eut aussi à souffrir plusieurs fois des gestes et des paroles de M. de la Salle. Le vieux capitaine, De Beaujeu, avait été blessé de la façon que prit La Salle pour lui recommander au cas qu’il lui adviendrait malheur d’en faire avertir sans délai le chevalier de Tonty afin qu’il prit charge de l’expédition. C’est évidemment la raison qui fit, lorsque les navires dépassèrent l’entrée du Mississippi, sans que l’on s’en doutât et que bâtiment portant La Salle alla s’échouer dans la baie Matagorda, que le capitaine de Beaujeu abandonna la partie, vira de bord et laissa De la Salle sur ces rives inhospitalières et retourna en France, où il répandit la nouvelle que celui-ci avait péri dans un naufrage, près du Mississippi.

Tonty, comme son chef le lui avait mandé, organisa un parti en vue d’aller à sa rencontre, et, en février 1686, il s’embarqua au fort Saint-Louis avec vingt-deux français et onze sauvages afin d’accomplir ce projet.

Il ne trouva aucune trace de son ami au delta du Mississippi. Il retrouva la colonne érigée quatre ans auparavant lors de la prise de possession du pays au nom du roi de France ; elle était renversée et à demi enfoncée dans la vase de ce sol marécageux. Il dépêcha des canots pour fouiller les anses le long du rivage à l’est et à l’ouest, mais ses envoyés revinrent sans nouvelles.

Dans son désir de retrouver son chef, il proposa à ses engagés de naviguer sur les côtes jusqu’à Manhatte (New-York) même, mais les dangers inconnus d’une telle aventure effrayèrent ces cœurs pourtant si bien trempés, et ils refusèrent de le suivre dans telle entreprise.

Désolé, presque découragé, Tonty songea alors au retour vers le fort Saint-Louis.

On redressa la colonne tombée, et on la planta sur un terrain plus élevé, hors de la prise des eaux démolissantes du golfe du Mexique, et Tonty traça quelques lignes pour La Salle qu’il confia à un chef des Bayagoulas[1]

Quelques-uns des gens de l’expédition exprimèrent le désir de s’établir au pays des Arkansas, sur la seigneurie cédée par De la Salle, lors du voyage précédent. Tonty leur accorda cette demande. Puis, revenu au fort Saint-Louis il y trouva une lettre du marquis de Denonville exigeant sa présence à Montréal afin d’aller en guerre contre les Tsonnontouans. Se conformant à cet ordre, il organisa une troupe de Français et de Sauvages illinois et partit pour Ville-Marie.

Cette expédition contre les Iroquois fut de courte durée, quand, Tonty libre de nouveau, reprit la route de l’ouest.

Au fort Saint-Louis des Illinois, il rencontra le frère de Cavelier de la Salle, l’abbé Cavelier, et quelques Français. On lui apprit que De la Salle vivait encore, qu’il était dans les terres du Texas et reviendrait bientôt aux Illinois.

Heureux de recevoir ces bonnes nouvelles, le brave Tonty les traita généreusement et prêta à l’abbé des marchandises pour une valeur de quatre mille livres, afin qu’il put opérer plus facilement son retour en France.

Jugez de l’indignation du bon chevalier lorsque peu de jours après le départ de l’abbé et de ses compagnons d’infortune, il apprit d’un des hommes établis aux Arkansas qu’on l’avait délibérément trompé en lui cachant la mort de son supérieur. Cavelier De la Salle avait été assassiné par un Français de sa troupe, poussé à bout par ses plaintes, ses reproches, son attitude querelleuse insociable continuelle, par ses exactitudes, ses méfiances et un travail sans trêve, sans repos.

Tonty, le cœur brisé à cette nouvelle, résolut d’aller au secours de la petite troupe perdue, sur le littoral du golfe, vers la rivière Sainte-Trinité. La distance à parcourir, à travers des centaines de milles de forêts, de marais, de déserts, ne l’effrayait pas.

Il n’eut pas un instant l’idée que la petite troupe de La Salle pouvait tomber au pouvoir de sauvages hostiles — ce qui eut lieu — et, aux premiers jours de décembre 1688, il partit dans un canot avec cinq Français et trois Sauvages, entreprenant sa troisième course sur le grand fleuve.

Ce n’est que le dernier jour de mars qu’ils arrivèrent à la rivière Rouge. L’aventure fut si dure et pénible que deux indiens et quatre blancs refusèrent d’aller plus loin, et malgré ses instances, ses prières, ils l’abandonnèrent.

Avec ses deux suivants et un esclave, Tonty continua. Son aide français se perd dans un bois. Quand Tonty le retrouve c’est pour apprendre qu’en traversant un cours d’eau il y avait échappé le sac de poudre. Il n’en restait plus qu’une poignée, et, leur condition s’aggravait. Cependant, Tonty, l’homme à la main-de-fer avait une âme aussi fortement trempée, et il passa de village indien à village sauvage, persévérant, toujours à la recherche des hommes de La Salle. Enfin, il connut dans l’une de ces places, leur triste fin. Il était alors à deux cent cinquante milles de l’endroit qu’avait choisi De la Salle pour l’établissement d’un poste, et à trois jours de marche du lieu où gisaient sans sépulture les restes du Découvreur.

Malgré lui, l’intrépide Tonty dut abandonner son entreprise : les sauvages refusaient de lui fournir des guides et il n’avait plus de munition.

Pour se rendre au Mississippi, ce fut une série incessante de misères, de souffrances. Le trajet dura du premier jour de mai au onze juillet. C’était la saison des pluies ; si bien, que la contrée fut bientôt inondée. Quand il parvînt au village des Coroas, où il fut bien reçu, Tonty n’avait pas mangé depuis trois jours. Au cours de ce voyage il tomba malade de la fièvre, et ce n’est qu’avec peine qu’il réussit à rentrer au fort Saint-Louis, en septembre 1690.

Tonty demeura là dix ans. Il essaya plusieurs fois, mais sans succès, à intéresser le Ministre en France, à la réalisation des plans de son ancien chef. Il est le seul homme de l’époque qui prévoyait les vastes ressources de cet empire inconnu. Malgré l’indifférence décourageante de la Cour vis-à-vis les projets qu’il recommandait, il s’employa, avec sa petite garnison, à conserver à la France, le fort Saint-Louis, point stratégique pour tenir en mains les sauvages à l’ouest du lac Michigan.

Cependant, après le décès de Frontenac en 1698, son protecteur, Tonty fut forcé par un ordre du roi d’abandonner son poste. Apprenant alors que d’Iberville avait mission de fonder une colonie dans la Louisiane, il alla lui offrir ses services. Pendant quatre ans, il vécut avec lui et Lemoyne de Bienville et contribua pour beaucoup à concilier aux Français les nations indiennes de ce pays.

En 1704, un navire chargé de vivres, venant de la Havane, apporta aussi la contagion redoutable de la fièvre jaune. Presque tout l’équipage succomba. La plus grande partie des colons subit aussi les effets de cette terrible maladie. Dans cette calamité publique, Tonty ne s’épargna pas : il soignait les vivants ; aidait à mettre les morts en terre. Enfin, il succomba à son tour et fut inhumé au fort Biloxi. L’endroit précis de sa sépulture n’est pas connu.

Un jour, peut-être, sur l’étroite péninsule du vieux Biloxi, le soc d’une charrue ou la pioche d’un terrassier mettra au jour un squelette ayant une main-de-fer.

FIN
  1. Cette lettre fut remise, quatorze ans plus tard par ce chef sauvage à Lemoyne d’Iberville.