Edouard Garand (73 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 49-50).

CHAPITRE XVI

LE FORT SAINT-LOUIS


Le fort Saint-Louis avait pour site une position unique.

Imaginez-vous un rocher escarpé, haut de cent cinquante pieds, dont la base baigne dans la rivière des Illinois. Ce rocher n’est accessible que d’un côté, où la montée est encore assez raide ; cette pente difficile forme le côté le plus éloigné du bord de l’eau. Le sommet a une superficie d’un arpent. Le roc est à pic, et l’on peut du sommet descendre un seau dans la rivière au moyen d’une corde et y puiser de l’eau.

Pendant que M. de la Salle avec ses employés travaillaient à la construction du fort, de Tonty partait pour inviter différentes nations indigènes à venir se grouper sous la protection du fort, afin d’être hors des coups des Iroquois, qui leur avait tué plus de sept cents personnes les années précédentes.

De Tonty s’employa si bien qu’il réussit à décider les nations voisines : les Illinois, les Miamis, les Chaouanons et d’autres, qui n’avaient pas toujours pratiqué les préceptes de l’amitié, à s’établir autour du rocher couronné par les fortifications des Français.

Il y eut bientôt au-delà de trois cents feux aux environs.

Le côté en pente était formé d’une palissade de pieux de chêne blanc de huit à dix pouces de diamètres et de vingt-deux pieds de haut, flanquée de trois redoutes, faits de poutres équarries et placées en sorte qu’elles s’entre-défendaient. Le reste du rocher avait une palissade semblable, haute seulement de quinze pieds, parce que là il était inaccessible. Il y avait aussi un parapet de gros arbres couchés de leur long, l’un sur l’autre, à la hauteur de deux hommes. Le tout garni de terre. Sur la palissade, des chevaux de frise aux pointes ferrées, rendaient l’escalade impossible.

Le fort fut achevé en mars 1683.

Un nouveau gouverneur était arrivé à Québec l’automne précédent. De la Salle en apprit la nouvelle au fort Saint-Louis. Sachant que des envieux et des jaloux parmi les traiteurs de la colonie chercheraient à lui nuire dans l’esprit du nouveau fonctionnaire, il lui manda le 2 avril 1683, qu’il ne le connaissait pas encore, mais le priait de lui continuer la bienveillance à laquelle Frontenac l’avait habitué. Une série de malheurs l’avait empêché jusque-là de satisfaire ses créanciers, cependant il comptait terminer cette année toutes ses affaires et montrer qu’il n’avait rien entrepris au-dessus de ses forces. Il annonçait officiellement sa découverte du Mississippi.

Le Fevre de la Barre, le gouverneur, était un ancien officier de marine. Il venait des Antilles où il ne brilla point dans ses engagements avec les vaisseaux anglais. Il était maintenant avancé en âge et il n’était pas du tout le successeur à donner à Frontenac, et son administration allait se ressentir de sa faiblesse.

À peine descendu à Québec, il fut entouré, conseillé et mené par quelques marchands, ennemis de son prédécesseur, avec lesquels il accepta de partager le bénéfice des congés et de la traite.

Dès les premiers jours, De la Barre, tout en renouvelant pour la forme les anciennes prohibitions, distribua des congés et s’intéressa lui-même à la traite.

La Barre avait, au point de vue du commerce, un concurrent à supprimer : De la Salle. Sous le prétexte que le fort Frontenac n’avait plus une garnison suffisante, le gouverneur, à l’instigation des traitants, ses associés, en prit possession et saisit tout ce qu’il contenait. Il envoya un officier au fort Saint-Louis opérer la même spoliation.

Il fit dire aux tribus des lacs qu’il abandonne les Illinois et déclare aux Iroquois qu’il n’approuve pas les faits de Cavelier de la Salle et qu’on ne s’inquiétera pas de ce qui pourrait arriver.

La conséquence de ces agissements ne pouvait différer plus longtemps. C’était donner libre carrière aux ennemis de M. de la Salle.

Celui-ci, inquiet de ne pas avoir eu de réponse à sa première lettre, en écrit une deuxième. Il soupçonne le mal qu’on lui veut. Ses engagés qu’il a envoyés à Montréal quérir des provisions ne sont pas revenus. La Barre ne répondit pas. L’un de ses officiers s’acheminait vers le fort Saint-Louis, en ce temps-là, pour en prendre charge, et sommer De la Salle de se rendre à Québec.

Mais avant que l’émissaire du gouverneur parvienne au rocher des Illinois, De la Salle s’est décidé à passer en France, et il prend le chemin du Canada.

Il cause avec Tonty de ses projets et lui donne des instructions à suivre durant son absence.

Puis, un matin de septembre, De la Salle monté sur le sommet d’une des redoutes du fort, embrasse du regard le paysage que la nature déploie autour de lui : entre les rochers voisins et le fort règne des deux côtés un grand vallon qu’un ruisseau coupe par le milieu et inonde quand il pleut. De l’autre côté, c’est une prairie qui borde la rivière. Ici et là, dans la prairie sont disposées pittoresquement les cabanes des sauvages. Les sauvagesses travaillent aux champs ; leurs maîtres flânent et se chauffent au soleil, et des enfants jouent et se roulent sur le vert gazon. Dans la rivière, au pied du fort, il y a une belle île, défrichée autrefois par les Illinois, où De la Salle et ses employés ont fait leurs semences à portée du mousquet du fort, tellement qu’on peut défendre les travailleurs de l’intérieur du fort et empêcher l’ennemi de mettre pied dans l’île. Le bord des rochers qui environnent le fort est couvert de chênes dans un espace de trois ou quatre arpents de large, après quoi ce sont de vastes campagnes, de fort bonnes terres.

Il donne une accolade chaleureuse à l’ami fidèle, Tonty, et descend la rampe qui mène au bas du rocher.

Peu après, le canot de La Salle disparaît à l’un des coudes de la rivière, et Tonty rentre au fort, envahi par un sentiment indéfinissable de tristesse ; il a le pressentiment qu’il a vu M. de la Salle pour la dernière fois.

En route, De la Salle rencontra l’envoyé du gouverneur, le sieur de la Durantais qui lui fit part de sa mission. Le découvreur forma aussitôt la résolution de porter ses griefs à la Cour. Avant de se séparer de M. de la Durantais, il lui remit une lettre pour Tonty, enjoignant à celui-ci de ne point résister.

De la Durantais permit le séjour du fort au chevalier de Tonty.

Relevé de commandement et d’autorité, Tonty trouva la vie oisive et lourde et se mit à parcourir le pays adjacent pour se distraire.