La métisse/Chapitre XXXI

Éditions Édouard Garand (p. 46-47).

XXXI


L’Écossais ne ramena le médecin qu’à trois heures de ce même jour.

Le docteur trouva Esther gravement malade. À Héraldine lui demandant de quoi souffrait la jeune fille le docteur répondit :

— Pneumonie.

Il donna des instructions pour les soins à procurer à la malade et dit à MacSon, qui allait le reconduire à Bremner :

— Je vous remettrai les médicaments nécessaires avec les instructions à suivre dans leur emploi.

Il resta à la ferme en tout quinze minutes. MacSon prit des chevaux frais et repartit pour Bremner.

De ce moment Héraldine se dévoua auprès d’Esther avec toute l’ardeur d’une mère pour sa fille. Depuis le matin la malade avait sans cesse perdu des forces, à ce point qu’elle ne pouvait plus parier. Les médicaments rapportés le soir par le fermier parurent faire beaucoup de bien à la jeune fille. Toutefois, comme le médecin avait défendu à la malade toute fatigue, toute conversation, et recommandé la solitude complète pour quelques jours, Esther fut laissée seule dans sa chambre. Seule, Héraldine, une fois toutes les heures, allait faire prendre à la malade les ordonnances prescrites.

La nuit se passa assez bien.

MacSon, ce soir-là très fatigué par ses courses de la journée, s’était retiré de bonne heure dans sa chambre.

France et Joubert, sans bien comprendre le sens de la maladie, savaient qu’il se passait quelque chose de grave et ils obéissaient aux recommandations de la Métisse : ils demeuraient silencieux et très sages. Mais s’ils parlaient, ou posaient quelque question à la servante, c’était toujours à voix basse et avec une physionomie inquiète.

Le lendemain matin, Héraldine s’aperçut que la fièvre de la malade augmentait. Elle en aveu il MacSon qui n’était pas encore monté à la chambre de sa fille, retenu qu’il était par une gêne qu’il ne pouvait définir. En même temps Héraldine déclara qu’il serait sage de consulter le médecin.

— Je vais aller la voir, répondit MacSon.

Et maîtrisant le trouble qui l’agitait il monta à la chambre de sa fille.

La malade semblait dormir, et sa respiration difficile était un râle continuel. Sa figure livide s’était étirée, émaciée déjà, et ses mains blanches, aux doigts rigides, demeuraient inertes à ses côtés. Esther avait l’apparence d’une morte.

MacSon la contempla un instant avec une grande mélancolie. En certaines circonstances cet homme brutal et insensible paraissait avoir un cœur. Et ce matin-là l’état de sa fille le chagrina. Il se pencha sur elle et lui parla doucement, la voix tremblante. Esther ne bougea pas ; elle demeura muette, paupières closes, comme si déjà elle n’entendait plus les voix de ce monde.

Héraldine avait accompagné l’Écossais.

— Je pense aussi, Héraldine, qu’il faut aller prévenir le médecin ; elle m’a l’air bien mal, la pauvre enfant.

Héraldine ne put retenir ses larmes.

— Oh ! monsieur MacSon, balbutia-t-elle de ses lèvres tremblantes d’angoisse, il faut la sauver par tous les moyens possibles !

— On va essayer.

— Il faut courir au village de suite !

— Je descends et vais atteler.

Et MacSon, suivi d’Héraldine, sortit de la chambre.

Au moment où le fermier allait se rendre à l’étable, une voiture entra dans la cour de la ferme.

Héraldine, qui avait regardé par une fenêtre, éprouva un haut-le-corps, recula violemment et, pâle, frissonnante, regarda MacSon. Car la Métisse connaissait l’accident arrivé à Hansen par l’Écossais lui-même qui avait donné de vagues explications.

Et ce fut avec terreur qu’elle considéra le fermier.

— Eh bien ! qu’as-tu, Héraldine ! interrogea MacSon surpris et inquiet, n’osant regarder par la fenêtre.

Elle n’eut pas le temps de répondre ; on frappait à la porte.

Bien qu’il eût le pressentiment de quelque danger, MacSon alla ouvrir la porte.

Deux hommes de police entrèrent.

Par instinct, le fermier se recula vivement, blême, presque épouvanté.

— Monsieur MacSon, dit l’un des hommes de police avec un sourire ironique, vous êtes requis de nous suivre à Bremner où l’on a besoin de vous.

MacSon devina qu’on venait l’arrêter. Il voulut se rebeller, redressa sa haute taille, gonfla ses joues, fit articuler les muscles de ses bras énormes.

Cette mimique ne parut pas intimider les deux hommes.

— Nous n’avons pas de temps à perdre, dit l’homme de police, et préparez-vous à nous suivre.

Ceci fut dit sur un ton péremptoire.

MacSon, alors, vit deux pistolets automatiques pendus à la ceinture des constables, et lui n’avait pas d’arme. Résister, c’était inutile et c’était aggraver les choses.

Il perdit donc un peu de son air hautain et demanda :

— Vous m’arrêtez ?

— Voici le mandat ! fit l’autre homme de police en exhibant une feuille de papier.

— Mais pourquoi ?

L’homme de police se mit à lire le papier.

— Pour avoir assassiné d’un coup de feu un nommé Hansen dans la nuit du 27 au 28 octobre.

MacSon demeura frappé de stupeur. Puis il éclata d’un rire énorme, d’une rire qui résonna sinistrement dans la maisonnette silencieuse.

— J’ai assassiné Hansen, moi ? s’écria-t-il. Je n’aurais jamais pensé qu’il y eût au monde des gens assez bêtes pour porter une telle accusation.

De nouveau il éclata de rire.

L’un des policiers le réprimanda sévèrement.

— MacSon, dit-il, ne riez pas, car l’affaire est plus grave que vous pensez. L’accusation a été faite par Hansen lui-même avant de mourir.

L’Écossais demeura bouche bée, stupide d’hébétement.

— Ah ! bien, murmura-t-il, je fais un rêve… ou bien je suis fou !

Et ce fut, en effet, comme en un rêve qu’il partit quelques minutes après, sans dire une parole à Héraldine qui défaillait, sans regarder ses enfants qui, stupéfaits, regardaient cette scène indéchiffrable pour leur jeune cerveau.

Bientôt la voiture s’éloigna emportant un prisonnier : MacSon.

Héraldine alors se laissa choir sur un siège, attira les deux enfants sur son sein et laissa libre cours à ses larmes trop longtemps retenues.