La gueuse parfumée/Le clos des Ames/02

Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle (p. 237-238).

II

ce qu’était m. sube

M. Sube, grâce à son clos, était, ce qui n’est pas peu dire, l’homme le plus heureux de Canteperdrix où il y a tant de gens heureux. Le plus peureux aussi ! mais dans nos villes de province un peu de douce couardise n’est-il pas l’assaisonnement obligé de toute félicité bourgeoise ?

Cette brave bourgeoisie de France, qui fit un jour 89 et quelque peu aussi 93, en est demeurée toute tremblante. Or M. Sube, bourgeois et fils de bourgeois, catholique pratiquant, ami de l’ordre quand même et respectueux envers le pouvoir établi quel qu’il fût, mais dévoué au fond à la branche aînée pour des motifs qu’il ne s’expliqua jamais bien, M. Sube tremblait depuis sa naissance, naturellement, tel un peuplier d’Italie ! Et le soir, au cercle, — quand tous les autres peupliers frissonnants, tous les effarés de Canteperdrix s’agitaient en groupe autour de lui, — d’entendre les chuchotements et les confidences, Lyon en feu, Marseille à sang, les nouvelles terribles coulées dans l’oreille avec cette âpre volupté qu’éprouvent à exaspérer leur terreur les peureux dès qu’ils sont en nombre, d’entendre ce bruit confus de voix qui tenait du bruit du feuillage, quelqu’un eût dit positivement les bords de la Durance par un beau coup de mistral.

Pour M. Sube, la république était une forme de gouvernement sous lequel les honnêtes gens cachent leur or en terre ; et la belle aurore de 1848 ne lui rappelait, en fait d’impressions personnelles, que deux journées particulièrement maussades qu’il passa au fond d’un grand tonneau. Ce tonneau s’émaillait, il est vrai, d’un superbe revêtement de tartre, violet comme une bague d’évêque, plus dur qu’un diamant et taillé à facettes, dont les curieuses cristallisations, où dansait la lumière du soleil, auraient réjoui l’œil d’un artiste. Par malheur, tout entier aux préoccupations de l’heure présente, M. Sube n’avait pu apprécier ceci qu’imparfaitement.