La guerre de 1870, simple récit/chap4

Librairie Ch. Delagrave (p. 55-VII).


IV

LA GUERRE EN PROVINCE


Révolution à Paris.Proclamation de la République. — La nouvelle du désastre de Sedan avait causé dans toute la France une cruelle émotion. Une révolution éclatant à Paris renversa l’Empire ; l’Impératrice dut s’enfuir et la République fut proclamée le 4 septembre.

Un gouvernement provisoire s’installa sous le nom de Gouvernement de la Défense nationale. Le général Trochu, gouverneur militaire de Paris, en reçut la présidence.

La résistance de Paris ne paraissait pas pouvoir être de longue durée, et la seule armée qui restait à la France était étroitement bloquée à Metz.

Malgré tout, il n’y eut, nulle part, de défaillance.

On fit entrer à Paris de grands approvisionnements et l’on hâta tous les préparatifs pour soutenir le siège.

Paris résista cinq mois et des armées nouvelles sortirent du sol de la Patrie.


Aussitôt après la bataille de Sedan, les Allemands s’étaient dirigés sur Paris.

Des pourparlers de paix avaient été entamés, mais les Allemands mettaient pour condition absolue la cession de l’Alsace et de la Lorraine. Si malheureuse que fût alors la France, elle se sentait encore trop de force pour consentir à cette humiliation et à cette douleur. Les négociations furent rompues et l’on se prépara à une lutte à outrance.

Le Gouvernement de la Défense nationale resta à Paris, dont l’investissement fut complet à partir du 20 septembre.

Une délégation de trois membres du gouvernement avait été envoyée à Tours avant l’investissement. Un quatrième membre, M. Gambetta, sortit de Paris en ballon, le 9 octobre, la rejoignit, et en prit la présidence. C’était un patriote ardent, doué d’une remarquable énergie. Il devint l’âme de la résistance quand même et exerça un pouvoir pour ainsi dire dictatorial. La direction du ministère de la guerre fut confiée à M. de Freycinet, ingénieur des mines.

Sans distinction de partis, le pays répondit à l’appel du gouvernement provisoire. Plus de 600 000 hommes furent successivement armés et jetés sur l’ennemi.


Organisation de la résistance. — Avant la guerre, il existait à Paris, et dans toutes les communes de France, des gardes nationales, c’est-à-dire des troupes bourgeoises armées pour le maintien de l’ordre public. À Paris, la garde nationale présentait une certaine apparence ; quant aux gardes nationaux de province, ils n’avaient même pas d’uniforme.

Les célibataires et les veufs sans enfants formèrent des bataillons de guerre, appelés bataillons de gardes nationaux mobilisés, ou plus simplement mobilisés ; ils entrèrent, en partie, dans la formation des nouvelles armées, mais la plupart n’étaient pas à même de rendre d’utiles services.

On obtint de meilleurs résultats avec les mobiles, bien que beaucoup n’eussent guère de discipline.


Au commencement de la guerre, les bataillons de mobiles parisiens avaient été envoyés au camp de Châlons ; ils se mutinèrent et il fallut les ramener à Paris.

Dans la suite, quelques bataillons de mobiles de Paris et de la province, commandés par des hommes de valeur, s’aguerrirent par les combats et payèrent bravement de leurs personnes.

Des corps de francs-tireurs s’organisèrent aussi, un peu de tous côtés. Quelques-uns étaient composés d’hommes courageux qui harcelaient les convois de l’ennemi et inquiétaient ses communications. Beaucoup d’autres n’étaient que des soldats de fantaisie qui s’affublaient de noms et d’uniformes singuliers, ne recherchaient pas les occasions de se battre, et ne firent que de mauvaise besogne.

Les Allemands terrorisèrent le pays pour empêcher les résistances locales et faire leurs réquisitions en sûreté. Ils brûlaient les villages, emmenaient des otages, frappaient de lourdes contributions de guerre, et fusillaient les habitants qui essayaient de se défendre ou qui étaient seulement soupçonnés d’avoir donné asile à des francs-tireurs. Ce système leur réussit trop bien. Il est triste de dire que certaines gens, profitant des malheurs publics, gagnaient de l’argent en vendant des denrées à l’ennemi, plutôt que de prendre un fusil et de risquer leur vie en défendant la Patrie. Ceux qui se sont enrichis, tandis que tant de familles tombaient dans la misère par suite de la mort des pères et des enfants, ne méritent que le mépris public.

Si la guerre recommence, si la France est encore envahie, il faut que tous ceux qui ne partiront pas, pouvant le faire, sachent d’avance que leur nom restera affiché, comme témoignage de honte, à la porte de la maison commune.

Mais, à côté des fautes à flétrir, il est consolant de se souvenir des nobles dévouements dont firent preuve, jusqu’au sacrifice de leur vie, des hommes généreux de toutes les classes de la société et aussi quelques femmes héroïques.

Un corps franc, recruté en majeure partie dans les provinces de l’ouest, appelé officiellement, pour cette raison, Volontaires de l’Ouest, mais plus connu sous le nom de Zouaves pontificaux, parce qu’il fut formé avec un noyau de cette ancienne troupe et qu’il en garda l’uniforme, acquit une juste réputation de bravoure[1].


Une ardente fièvre patriotique secouait la France.

Comme troupes régulières, il ne restait que six régiments d’infanterie, dix régiments de cavalerie, quelques compagnies de dépôts, des marins, des gendarmes.

La Délégation du gouvernement montra une activité réellement digne d’admiration. Elle appela sous les armes tous les hommes valides et organisa successivement :

280 bataillons d’infanterie 
230 000 hommes
31 régiments de garde mobile 
111 000
Des bataillons de gardes nationaux mobilisés, environ 
180 000
54 régiments de cavalerie 
32 000
Des corps de francs-tireurs 
30 000
————————
Au total
583 000 hommes

Elle se procura 1 400 canons, 1 500 000 fusils, dont 120 000 fournis par les manufactures de l’État et le reste acheté à l’étranger.

Comme les Allemands n’avaient pas de marine de guerre, la mer était libre ; des armes, des munitions, des subsistances en quantité considérable furent envoyées d’Amérique[2].

La France avait conservé assez de crédit pour qu’un emprunt pût être facilement conclu aux États-Unis.


On avait des hommes, de l’argent et des armes, mais il n’était pas possible de donner aux masses ainsi réunies, la solidité qui ne s’acquiert que par l’éducation militaire.

Le patriotisme et le bon vouloir ne peuvent suppléer au manque d’instruction des soldats et à l’inexpérience des chefs ; il ne suffit pas d’un uniforme et d’un fusil pour faire un soldat, ni de galons sur une manche pour faire un officier.

Il fallut nommer des officiers de tous grades et faire appel, pour commander les brigades et les divisions, à des officiers en retraite et à des officiers de marine.

Affronter les Allemands dans des batailles rangées avec des troupes ainsi constituées, c’était s’exposer à des désastres certains. Peut-être aurait-on pu mieux réussir en multipliant des coups de main hardis sur les derrières de l’ennemi, de manière à le harceler, à le fatiguer, à l’empêcher de se ravitailler.

Refuser les grandes batailles, mais organiser la résistance derrière chaque haie, derrière chaque fossé, c’est le seul moyen d’user l’ennemi et de soutenir une guerre nationale, lorsque les armées régulières n’existent plus.


Les forces improvisées par le Gouvernement de la Défense nationale furent ainsi réparties :

Une Armée de la Loire, successivement commandée par les généraux de la Motte-Rouge et d’Aurelle de Paladines[3] ;

Une Armée du Nord, sous les ordres du général Faidherbe[4] ;

Une Armée des Vosges, sous les ordres du général Cambriels[5].

Plus tard, l’Armée des Vosges fut réunie à l’Armée de la Loire ; mais son nom fut conservé et donné aux corps de partisans de Garibaldi.

Au mois de décembre, l’Armée de la Loire se fractionna et forma deux groupes :

L’un, la Deuxième Armée de la Loire, commandée par le général Chanzy ;

L’autre, qui devint l’Armée de l’Est, sous les ordres du général Bourbaki.


La guerre allait donc continuer et prendre un caractère nouveau. Les opérations se groupent de la manière suivante :

Opérations des Armées de la Loire ;

Opérations de l’Armée du Nord ;

Opérations de l’Armée des Vosges et de l’Armée de l’Est ;

Siège de Paris ;

Sièges des forteresses.


Afin d’y mettre plus de clarté, le récit en sera fait séparément ; mais il ne faut pas perdre de vue que le but commun des opérations des Armées de Province était de venir au secours de Paris.

Le siège de Paris est donc l’opération principale, celle à laquelle se rattachent toutes les autres[6].


Défense de Châteaudun

  1. Les zouaves pontificaux étaient des volontaires qui s’étaient organisés en 1860, avec l’assentiment du gouvernement français, pour défendre les États du Pape.

    Jusqu’en 1870, il y eut aussi, à Rome, une brigade de troupes françaises (35e et 42e régiments d’infanterie). Cette brigade ayant été rappelée après nos premiers malheurs, les troupes italiennes entrèrent à Rome et dépossédèrent le Pape.

    Les zouaves pontificaux furent alors licenciés ; ils revinrent en France et demandèrent à former un corps particulier dans lequel entrèrent, par la suite, un grand nombre d’hommes de tout âge, appartenant, en partie, aux familles de noblesse. Ils avaient des sentiments religieux et monarchiques et un patriotisme élevé. Ils combattirent bravement, sans se préoccuper si le gouvernement de la France était celui qu’ils eussent préféré, et ils s’illustrèrent, dans maintes circonstances, en donnant le plus bel exemple de dévouement à la Patrie.

    Les zouaves pontificaux avaient à leur tête M. de Charette, qui avait été leur commandant à Rome et qui reçut, plus tard, le grade de général au titre auxiliaire.

  2. Opérations maritimes. — Il n’en serait plus de même dans une nouvelle guerre, parce que les Allemands ont maintenant une flotte nombreuse.

    Au début de la guerre de 1870, il avait été question de profiter de la supériorité de notre marine pour tenter une opération sur les côtes de l’Allemagne. Ce projet fut abandonné après les premières batailles malheureuses. La flotte de guerre resta dans les ports et les marins furent appelés aux armées. Un corps de 15 000 marins prit part à la défense de Paris.

    Quelques navires seulement furent laissés à la mer. Ils donnèrent la chasse aux navires marchands allemands et en capturèrent un certain nombre.

    Un bâtiment de guerre allemand, la frégate Augusta, trompant leur surveillance, passa au nord de l’Écosse et vint sur les côtes de France ; il surprit et coula plusieurs bateaux de commerce à l’embouchure de la Gironde (4 janvier 1871). Bientôt poursuivi, il alla se réfugier dans un port espagnol et n’en bougea plus.

    Il faut aussi rappeler l’épisode d’un combat naval que se livrèrent deux petits bâtiments de guerre, le Nestor, navire allemand, et le Bouvet, navire français. Ils se trouvaient ensemble dans le port de La Havane et en sortirent pour se battre (12 novembre 1870). Ils se firent beaucoup de mal mutuellement, sans que ce combat singulier eût un résultat décisif ; les autorités espagnoles s’interposèrent pour mettre fin à la lutte.

  3. Les généraux de la Motte-Rouge et d’Aurelle avaient été rappelés du cadre de réserve.
  4. Le général Faidherbe était un officier du génie qui s’était distingué comme gouverneur du Sénégal.
  5. Le général Cambriels, grièvement blessé à Sedan, n’avait pas été fait prisonnier. Mal remis de ses blessures, il n’exerça son commandement que fort peu de temps.
  6. Voir un tableau de concordance à la fin du volume.