La guerre de 1870, simple récit/chap5

Librairie Ch. Delagrave (p. 63-VIII).


V

ARMÉE DE LA LOIRE


Combats d’Artenay. (10 octobre). — Au mois d’octobre, le 15e corps d’armée, fort de 15 000 hommes, était réuni à Orléans, sous le commandement du général de la Motte-Rouge. Le gouvernement lui donna l’ordre de se porter en avant.

Les Allemands opposèrent des forces supérieures.


Après plusieurs combats autour d’Artenay (10 octobre), les troupes françaises battirent en retraite sur Orléans, qui fut occupé le lendemain par l’ennemi, non sans une vigoureuse résistance.

Les Allemands engagèrent à Artenay 14 000 hommes et 100 canons contre 8 000 hommes et 16 canons.


Les combats d’Artenay coûtèrent 900 hommes tués, blessés et prisonniers ; les Allemands ne perdirent que 200 hommes.


Le 15e corps, fort éprouvé, se replia sur la rive gauche de la Loire.


Les Allemands ne dépassèrent pas Orléans. Ayant appris que des rassemblements se formaient du côté de Chartres, ils y envoyèrent une division. Ce détachement devait traverser Châteaudun.

Défense de Châteaudun. (18 octobre). — Il se trouvait à Châteaudun environ 900 francs-tireurs, sous les ordres du commandant de Lipowski[1], et 300 gardes nationaux. Ces braves gens firent une défense héroïque. La ville reçut plus de 2 000 obus et fut totalement brûlée ; le combat dura toute la nuit dans les rues[2]. Cette résistance exaspéra les Allemands, qui incendièrent, le lendemain, les maisons restées debout.


Le général d’Aurelle de Paladines remplaça le général de la Motte-Rouge dans son commandement ; il rassembla au camp de Salbris, en Sologne, les détachements qui arrivaient de toutes les parties de la France, et réussit, par une sévère discipline, à leur donner une certaine cohésion. Ces troupes, dont l’effectif, au commencement de novembre, était de 85 000 hommes, constituèrent le 15e corps, sous les ordres directs du général d’Aurelle, et le 16e corps, sous ceux du général Chanzy[3].

À ce moment, la nouvelle de la capitulation de Metz causait partout une grande douleur. Pour relever les courages, Gambetta résolut de faire reprendre l’offensive et de réoccuper Orléans.

L’armée française passa la Loire et se déploya à l’ouest d’Orléans.


Bataille de Coulmiers. (9 novembre). — Le mouvement ne s’exécuta malheureusement pas avec la rapidité et le secret nécessaires. Les Allemands, avertis à temps, évacuèrent Orléans, prirent position à Coulmiers, et se fortifièrent dans les villages voisins. Leur effectif était de 22 000 hommes ; celui des troupes françaises de 65 000 hommes.

Malgré l’énergie de l’attaque, le résultat de la bataille ne fut pas aussi complet qu’on pouvait l’espérer ; les Allemands se retirèrent sur Artenay.


L’armée française eut 1 500 hommes hors de combat. Les Allemands perdirent 800 hommes et 2 000 prisonniers.


Comme la victoire de Coulmiers était le premier succès obtenu depuis le commencement de la guerre, l’opinion publique en exagéra l’importance et l’espérance revint dans les cœurs.

Les Allemands en conçurent, du reste, quelque inquiétude, et la iie Armée (prince Frédéric-Charles), rendue disponible par la capitulation de Metz, reçut l’ordre de se diriger à marches forcées sur la Loire. Si la résistance de Metz avait été prolongée de quelques semaines encore, peut-être l’Armée de la Loire eût-elle pu obtenir de nouveaux avantages ?

Le général d’Aurelle ne chercha pas, d’ailleurs, à poursuivre son succès ; il trouvait indispensable de compléter l’organisation des troupes ; il fortifia les abords d’Orléans, et, malgré l’impatience que témoignait Gambetta, il s’immobilisa dans cette position.

Cependant, grâce à l’activité déployée par le gouvernement, des forces considérables arrivaient successivement en ligne. Plus de 200 000 hommes avec 250 canons se trouvèrent réunis au nord de la Loire.

Le 17e corps (général de Sonis) était à gauche ; le 18e corps (général Billot) et le 20e corps (général Crouzat) se formaient à droite, du côté de Gien[4].

Gambetta, pour décider le général d’Aurelle à se mettre en mouvement, donna directement des ordres à ces deux derniers corps. Il leur prescrivit de marcher sur Pithiviers et, de là, sur la forêt de Fontainebleau. Toute l’armée les suivrait.


Combats de Ladon et de Maizière (24 novembre). — Le 24 novembre, il y eut un premier engagement du côté de Ladon et de Maizières. Ces combats, peu importants en eux-mêmes, avertirent le prince Frédéric-Charles du mouvement offensif de l’armée française, et une lettre trouvée sur un officier tué lui confirma les projets de Gambetta.


Combat de Beaune-la-Rolande (28 novembre). — Le 28 novembre, le général Crouzat avec le 20e corps et une partie du 18e, c’est-à-dire 30 000 hommes environ, attaqua Beaune-la-Rolande. Malgré la bravoure montrée par les troupes, il ne put réussir à enlever la ville. Il ne recula pas cependant et resta en face des Allemands jusqu’au 1er décembre.


L’armée française perdit 3 000 hommes et 1 600 prisonniers ; les Allemands, environ 900 hommes dont une centaine de prisonniers et un canon.


Le 30, une dépêche, arrivée de Paris par ballon[5], annonça que la garnison devait tenter une grande sortie vers le sud pour opérer sa jonction avec l’armée de la Loire. Il fallait agir sans plus tarder.

M. de Freycinet, qui remplissait les fonctions de ministre de la guerre, vint à l’armée et prescrivit au général d’Aurelle une offensive générale.


Le mouvement commença le 1er décembre.

L’Armée de la Loire comptait alors 170 000 hommes, disséminés sur un front de 100 kilomètres :

À gauche, près de Marchenoir, le 17e corps (Sonis), puis le 16e corps (Chanzy) ;

Au centre, le 15e corps (Martin des Pallières) ;

À droite, vers Bellegarde, le 20e corps (Crouzat) ; le 18e corps (Billot).

En face, se trouvaient la iie Armée allemande (prince Frédéric-Charles) et, à sa droite, la Subdivision d’Armée du grand-duc de Mecklembourg.

La neige couvrait les plaines de la Beauce ; un vent glacial les balayait. Les troupes souffraient cruellement du froid pendant les nuits de bivouac. Beaucoup d’hommes avaient eu les pieds gelés.


Combat de Villepion (1er décembre). — Le 1er décembre, une division du 16e corps (Chanzy) attaqua Villepion et en chassa l’ennemi.

Les pertes s’élevèrent à un millier d’hommes de part et d’autre.


Bataille de Loigny — Poupry (2 décembre). — Le 2 décembre, le combat recommença, et dura toute la journée autour des villages de Loigny, Lumeau, Terminiers, Poupry.

Il y eut en réalité deux batailles séparées : l’une, à gauche vers Loigny, livrée par le 16e corps et des fractions du 17e corps ; l’autre à droite vers Poupry, par une partie du 15e corps.


La lutte fut particulièrement acharnée à Loigny.

Deux bataillons du 37e de marche, retranchés dans le cimetière, résistaient avec une admirable énergie à l’ennemi qui les débordait de toutes parts. En vain, pour les dégager, le général de Sonis entraîna une poignée de 800 hommes (volontaires de l’Ouest, mobiles de la Côte-d’Or, francs-tireurs de Tours et de Blida), qui chargèrent avec un superbe héroïsme et se couvrirent d’une gloire impérissable[6].

À la nuit, l’ennemi resta maître de Loigny.

Le 2 décembre, l’effectif des combattants avait été de 45 000 Français contre 35 000 Allemands.

De chaque côté, il y eut 4 000 hommes hors de combat. Les Français perdirent, en outre, 2 500 prisonniers, et les Allemands, 500.


Dans ces rudes journées de combat, nos jeunes soldats avaient montré le plus brillant courage, et, en réfléchissant sur l’insuccès de leurs efforts, on voit bien qu’il ne suffit pas d’être vaillant et qu’il faut encore que la vaillance soit bien employée.

Comme bien d’autres batailles de cette malheureuse guerre, la bataille de Loigny-Poupry fut décousue ; chaque division s’engagea de son côté, les unes trop tôt, les autres trop tard, sans ensemble dans leurs mouvements. La direction supérieure fit défaut. Il en est souvent ainsi lorsque la lutte s’étend sur un grand front, car le commandant en chef ne peut être partout, ni tout voir. Alors chacun agit pour son compte et pour le mieux.

Les chances sont alors plus ou moins heureuses, mais, presque toujours, la victoire reste aux troupes les plus tenaces et le mieux liées entre elles.


L’aile droite de l’armée française avait été arrêtée par le combat de Beaune-la-Rolande ; le centre et l’aile gauche, par les combats de Poupry et de Loigny. Les Allemands résolurent une attaque concentrique sur Orléans.

Bataille d’Orléans (3 et 4 décembre). — Pendant la journée du 3 décembre, le combat continua sur tout le front.

Il faisait excessivement froid. La rigueur de la température, les ouragans de neige, les privations de toutes sortes causaient de grandes souffrances aux troupes.

Les soldats se battaient bravement ; les officiers faisaient preuve du plus grand dévouement ; mais les uns manquaient de cette discipline qui, seule, peut faire supporter des fatigues exceptionnelles et les autres n’avaient souvent ni l’expérience, ni l’autorité suffisante pour imposer l’obéissance. Aussi la débandade suivait presque toujours un engagement malheureux.

La retraite se fit d’abord avec ordre, en tenant partout tête à l’ennemi ; mais ensuite, avec désordre et précipitation.

Le général d’Aurelle ne jugea plus possible de défendre les lignes fortifiées qu’il avait organisées autour d’Orléans. Il fit enclouer les canons et abandonna la ville pendant la nuit du 4 décembre. Un grand nombre de soldats épuisés de fatigue restèrent en arrière et furent ramassés par l’ennemi.


Les combats du 3 et du 4 coûtèrent 20 000 hommes, dont 2 000 tués ou blessés. Les Allemands ne perdirent qu’environ 1 800 hommes.




L’Armée de la Loire se fractionna en trois groupes :

Au centre, le 15e corps se retira sur Vierzon ;

À droite, le 18e et le 20e corps se replièrent par les ponts de Jargeau, de Sully et de Gien et, de là, dans la direction de Bourges ;

À gauche, le 16e et le 17e corps (environ 100 000 hommes) reculèrent sur Beaugency par la rive droite de la Loire.

Le général d’Aurelle fut relevé de son commandement.

Le 15e, le 18e et le 26e corps (environ 100 000 hommes) furent placés sous les ordres du général Bourbaki[7].

Le 16e et le 17e corps, auxquels se réunit le 21e corps (Jaurès)[8] nouvellement organisé (environ 120 000 hommes), formèrent, sous les ordres du général Chanzy, une armée indépendante qui fut appelée, dans la suite, Deuxième Année de la Loire.

  1. Ancien officier démissionnaire.
  2. Pour perpétuer le souvenir de cette défense, la ville de Châteaudun a été autorisée à placer une croix de la légion d’honneur dans ses armoiries.
  3. Le général Chanzy arrivait d’Algérie.
  4. Le général de Sonis arrivait d’Algérie.

    Le général Billot, évadé de Metz, où il était colonel d’état-major, avait été nommé général à titre auxiliaire.

    Le 20e corps était composé des troupes de l’ancienne Armée des Vosges, qui avaient été ramenées de Besançon avec le général Crouzat voir plus loin, chap. viii).

    .
  5. Le ballon portant cette dépêche était tombé en Norvège ; la dépêche, transmise par télégraphe, arrivait tardivement.
  6. Les volontaires de l’Ouest comptaient 300 hommes conduits par le colonel de Charette ; 18 officiers et 198 hommes furent mis hors de combat. Les mobiles perdirent 110 hommes, les francs-tireurs, 62 hommes. Le général de Sonis tomba la jambe fracassée et resta toute la nuit sur le champ de bataille. Le lendemain, il dut être amputé.
  7. Le général Bourbaki, qui commandait la Garde impériale, était sorti de Metz, comme on l’a vu plus haut. Il reçut d’abord le commandement de l’Armée du Nord, mais il ne le conserva que quelques jours et fut ensuite appelé à l’Armée de la Loire.
  8. Le général Jaurès était un officier de marine.