La guerre de 1870, simple récit/chap3

Librairie Ch. Delagrave (p. 35-54).


III

SEDAN — METZ


Marche sur Sedan. — Pendant que ces événements se passaient autour de Metz, la iiie Armée allemande (Prince royal) avait continué sa marche vers le camp de Châlons, où s’organisait, sous le commandement du maréchal de Mac-Mahon, une nouvelle armée française qui fut appelée, dans la suite : Armée de Châlons.

Le prince Frédéric-Charles resta devant Metz avec la ire et la iie Armée.

Une ive Armée (Armée de la Meuse), formée avec la Garde prussienne, le ive corps et le viie corps, sous les ordres du prince royal de Saxe, se dirigea aussi sur Châlons ; le roi Guillaume marchait avec elle.

La cavalerie allemande arriva, le 24 août, au camp de Châlons ; elle n’y trouva plus personne, et ne put savoir quelle direction avait prise l’armée du maréchal de Mac-Mahon.


Lorsque la nouvelle des batailles livrées sous Metz parvint au maréchal de Mac-Mahon, il jugea impossible de tenir la campagne, contre un ennemi très supérieur en nombre, avec des troupes incomplètement organisées. Il voulut se retirer sur Paris ; mais les ministres redoutaient que le retour de l’Empereur ne fut l’occasion de troubles. Au même moment, arriva une lettre du maréchal Bazaine qui exprimait l’intention de sortir de Metz dans la direction du nord. Ainsi sollicité, le maréchal de Mac-Mahon se décida, contre son gré, à marcher aussi vers le nord, afin de passer la Meuse au-dessous de Verdun, et de chercher à se réunir au maréchal Bazaine ; mais ces hésitations avaient fait perdre un temps précieux. L’Armée de Châlons ne commença son mouvement que le 23.

Jusqu’au 26, les Allemands n’eurent aucun renseignement certain sur sa situation. Un journal saisi à la poste leur donna les premiers indices.

Les journaux français, avides d’informations, publiaient tout ce qu’ils apprenaient sur les opérations des armées ; ils renseignaient ainsi l’ennemi, tandis que les journaux allemands étaient attentifs à ne rien dire de nuisible à leurs intérêts.

La cavalerie allemande fut lancée à la découverte. Le 26, ses reconnaissances annoncèrent la présence de l’armée française du côté de Vouziers et de Grand-Pré. Aussitôt les ordres furent donnés en conséquence.

Un mouvement de conversion générale avait déjà commencé le 26 ; le 27, toutes les colonnes firent franchement par le flanc droit.[1]


Ainsi donc, les corps d’armée allemands marchaient du sud au nord ayant pour point de direction la Meuse du côté de Beaumont ; les corps français marchaient de l’ouest à l’est et avaient également pour point de direction Beaumont et Stenay. Il s’agissait pour eux de forcer de vitesse et de ne pas être rejoints par l’ennemi avant d’avoir fait leur jonction avec l’Armée de Metz, afin de livrer bataille, toutes les forces réunies, entre Metz, Verdun et Montmédy.


L’Armée du maréchal de Mac-Mahon était formée du 1er corps (Ducrot), du 5e corps (de Failly), du 7e corps (Douay), du 12e corps (Lebrun)[2].

L’Empereur marchait avec cette Armée, mais il n’y exerçait aucun commandement. Sur les instances de l’Impératrice et du Conseil des ministres, il avait renoncé à rentrer à Paris où la révolution grondante était sur le point d’éclater. Souverain sans pouvoir et sans autorité, déjà moralement déchu, il suivait tristement et inutilement les troupes, comme un condamné son cortège funèbre. Cette attitude ajoutait à la tristesse des circonstances et impressionnait péniblement.


L’armée allemande qui manœuvrait contre l’armée française et allait l’envelopper, puis la détruire à Sedan, était commandée par le roi Guillaume, assisté du général de Moltke. Officiers et soldats étaient enorgueillis par les victoires récentes ; ils sentaient la main intelligente et vigoureuse de leurs chefs et avaient en eux une confiance énergique. Cette armée comprenait :

La iiie Armée, forte de cinq corps (ier et iie corps bavarois, iVe, ve et vie corps), sous les ordres du Prince royal de Prusse ; environ 160 000 hommes ;

La IVe Armée, ou Armée de la Meuse, forte de trois corps (Garde prussienne, XIIe corps, IVe corps), sous les ordres du Prince royal de Saxe ; environ 90 000 hommes.

Le croquis (Pl. V) indique les fronts de marche des armées pendant les journées du 24 au 29 août. Il montre avec quelle rapidité et avec quelle décision les Allemands changèrent leur direction de marche et se portèrent vers le nord, tandis que l’armée française, qui avait beaucoup moins de chemin à parcourir et dont la manœuvre ne pouvait réussir que si elle était menée rapidement, se traînait avec une lenteur déplorable et finit par être atteinte avant d’avoir passé la Meuse.


Le 27 août, il y eut un combat de cavalerie, à Busancy.

Le 29 août, le 5e corps français, qui était à la droite, eut à Nouart un engagement avec le XIIe corps saxon. Ce combat, d’ailleurs sans grande importance, retarda encore la marche.


Le 5e corps arriva dans la nuit à Beaumont ; il campa. Les troupes étaient très fatiguées ; aucune mesure de sécurité ne fut prise malgré la proximité de l’ennemi. Les Allemands, se dissimulant dans les bois, purent faire, à leur aise, tous leurs préparatifs.

Cette insouciance du service de sûreté, alors que l’ennemi se trouvait à peu de distance, puisqu’on s’était battu la veille, est inexplicable.

Service de sûreté négligé, renseignements inexacts, reconnaissances de cavalerie insuffisantes, ces fautes avaient pour conséquence de laisser les généraux dans l’ignorance des forces, des positions, des marches de l’ennemi. Elles ont été constamment commises en 1870 ; déjà signalées à Wissembourg, à Forbach, à Frœschwiller, à Rezonville, à Saint-Privat, elles se répéteront fréquemment et l’on verra, encore bien souvent, dans la suite de la guerre, les combats commencer par des surprises.

Ces négligences tiennent, en partie, à notre tempérament. Nos précautions sont trop souvent mal prises. Il faut s’efforcer de corriger ces défauts par une attentive et sévère instruction en temps de paix.


Bataille de Beaumont (30 août). — Les troupes du 5e corps étaient donc au repos sans être protégées, bien que des gens de la campagne eussent prévenu de la présence de l’ennemi qui se massait dans les bois voisins ; les soldats s’occupaient, en toute insouciance du danger, aux divers travaux du camp. Vers midi et demi, l’artillerie allemande tira les premiers coups de canon à moins de 1 000 mètres. Malgré la surprise, il n’y eut pas de panique ; les troupes se rassemblèrent en ordre, et lorsque l’attaque de l’infanterie ennemie se dessina, elles firent un vigoureux retour offensif.

Après un combat de deux heures, elles abandonnèrent Beaumont ; la bataille s’étendit jusqu’à Mouzon[3], Le soir, toute l’armée française était passée sur la rive droite de la Meuse, en assez grande confusion[4].

Les Français eurent 4 800 hommes hors de combat ; les Allemands 3 500.


La bataille de Beaumont décida le maréchal de Mac-Mahon à renoncer à sa marche vers l’est ; il donna l’ordre à tous les corps d’armée de se rassembler vers Sedan. Les Allemands le suivirent aussitôt.

Les circonstances étaient graves. Peut-être, en hâtant le mouvement dans la direction de Mézières, le maréchal aurait-il pu éviter la bataille qu’il allait être contraint de livrer adossé à la frontière belge, dans des conditions défavorables ; mais il ne paraissait pas se rendre compte du péril et il s’arrêta, au contraire, pour donner un peu de repos à ses troupes. Une catastrophe était dès lors inévitable.


Combat de Bazeilles (31 août). — Le 31 août, le 1er corps bavarois réussit à passer la Meuse à Bazeilles, au moment où le pont du chemin de fer allait être détruit. Un premier combat très vif s’engagea sur ce point, mais il ne fut pas continué. Les Bavarois se contentèrent de conserver le pont de la Meuse.




BATAILLE DE SEDAN


Le 1er septembre, la bataille commença vers quatre heures du matin. Les effectifs des deux armées en présence étaient d’environ 124 000 hommes pour l’armée française et plus de 200 000 hommes pour l’armée allemande.

Le terrain, qui allait devenir le théâtre de cette lutte suprême, a la forme d’un triangle dont le sommet est marqué, au nord par le calvaire d’Illy, et la base par la Meuse, sur laquelle est située la ville de Sedan, entourée de vieilles fortifications. Les deux autres côtés sont indiqués par deux ravins qui ont leur tête au calvaire d’Illy et qui descendent vers la Meuse, l’un le ravin de Givonne en amont, l’autre le ravin de Floing, en aval de Sedan.

L’armée française était ainsi placée : le 12e corps, à

Bazeilles ; le 1er corps, sur les hauteurs de Givonne ; le 7e corps, faisant face à l’est, du côté de Floing ; le 5e corps en réserve. Elle se tassait dans un espace très étroit où il lui était impossible de manœuvrer et de se déployer. Elle paraissait vouloir s’accrocher à Sedan, où elle ne pouvait cependant trouver, aucune protection.


Les dispositions suivantes furent ordonnées par l’état-major allemand :

Le iie corps bavarois resta sur la rive gauche pour s’opposer, le cas échéant, à un effort de l’armée française dans la direction du sud ;

Le ier corps bavarois dut attaquer Bazeilles ;

Le xiie corps (saxon) et la Garde devaient passer la Meuse au-dessus de Sedan et barrer les routes à l’est ;

Le ve corps et le xie corps reçurent l’ordre de passer la Meuse au-dessous de la ville et de barrer les routes à l’ouest ;

Le ive corps devait suivre le mouvement du xiie corps.

Le vie corps était encore à une assez grande distance en arrière.

Le commandant en chef de l’Armée de la Meuse fit déposer les sacs pour accélérer la marche.

Les Bavarois attaquèrent Bazeilles, héroïquement défendu par l’infanterie de marine. Vers dix heures les défenseurs cédèrent devant le nombre et devant les incendies allumés par l’ennemi ; une poignée de braves soldats, sous les ordres du commandant Lambert[5], prolongea la résistance jusqu’à ses plus extrêmes limites.

À midi, Bazeilles était en flammes. Les Bavarois se déshonorèrent par des cruautés inexcusables. Dans leur rage, ils fusillèrent des prisonniers et massacrèrent les habitants qui avaient concouru à la défense.

Les Allemands perdirent près de 4 000 hommes devant Bazeilles. C’est presque la moitié de leurs pertes totales de la journée. Cet épisode prouve ce que vaut une troupe énergique et bien commandée.

Malheureusement, sur les autres points du champ de bataille, les succès de l’ennemi furent plus rapides. Le maréchal de Mac-Mahon, blessé vers six heures du matin, avait remis le commandement au général Ducrot ; celui-ci prit aussitôt ses dispositions pour battre en retraite vers Mézières ; mais, peu après, le général de Wimpffen montra une lettre du Ministre de la guerre qui le désignait pour remplacer le maréchal, le cas échéant.

Il n’était pas neuf heures du matin et le commandement de l’armée française avait déjà changé trois fois de mains.

Le maréchal de Mac-Mahon avait accepté la bataille sans plan déterminé ; le général Ducrot, jugeant la situation très grave, voulait tenter de dégager l’armée par une retraite rapide vers l’est ; le général de Wimpffen, se faisant les plus étonnantes illusions, contremanda les ordres et prétendait à la victoire.

Cependant, les différents corps de l’armée allemande exécutaient, conformément à leurs instructions, un mouvement enveloppant pour cerner l’armée française.

Vers midi, l’artillerie et la cavalerie des deux ailes ont fait leur jonction. Les troupes françaises sont enfermées dans un cercle de feu qui se rétrécit sans cesse et qu’elles ne peuvent plus rompre malgré leurs efforts désespérés.

Une charge des chasseurs d’Afrique, menée avec intrépidité par le général de Gallifet, se brise sur l’infanterie ennemie du côté du ravin d’Illy.

D’instant en instant, la situation devient plus périlleuse. Le général Ducrot réunit alors au calvaire d’Illy toute


Les dernières cartouches

l’artillerie disponible et donne à la division de cavalerie de réserve l’ordre de charger.

Il est environ deux heures.

Malgré les plus mauvaises conditions de terrain, la cavalerie s’élance à plusieurs reprises avec un admirable dévouement[6] ; elle est décimée. 800 hommes et près de 80 officiers restent sur le terrain, et les lignes ennemies, un instant rompues, se reforment.

Les Allemands ont rendu hommage à cette vaillance ; leurs rapports officiels disent que, malgré l’insuccès de ses efforts, la cavalerie française est en droit de jeter un regard de légitime orgueil sur ce champ de bataille, où elle succomba glorieusement.

On a reproché, non sans raison, à notre cavalerie de ne pas avoir su faire le service d’exploration auquel son instruction ne l’avait pas préparée ; mais, sur les champs de bataille, à Sedan, comme à Frœschwiller, elle ne ménagea jamais son sang.

Pendant ce temps, le général de Wimpffen, toujours dominé par l’idée de se faire jour à travers les masses ennemies, réunit 5 à 6 000 hommes et les entraîne sur Bazeilles, sans pouvoir s’ouvrir un passage.

Le mouvement concentrique des Allemands s’accentue de plus en plus, les troupes françaises refluent vers Sedan, que l’artillerie ennemie couvre maintenant de ses obus.


Il est trois heures ; tout espoir est perdu ; l’empereur Napoléon fait hisser le drapeau blanc sur une maison de la ville.

Le général de Wimpffen refuse encore de se résigner et tente un dernier et infructueux effort de trouée du côté de Bazeilles.

C’est le dernier acte du drame.

L’empereur Napoléon fit porter au roi de Prusse la lettre suivante :

« Monsieur mon frère, n’ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste qu’à remettre mon épée dans les mains de Votre Majesté. Je suis de Votre Majesté le bon frère.

« Napoléon. »


Le roi de Prusse répondit :

« Monsieur mon frère, tout en regrettant les circonstances dans lesquelles nous nous rencontrons, j’accepte l’épée de Votre Majesté et je vous prie de nommer un officier muni de vos pleins pouvoirs pour négocier la capitulation de l’armée qui s’est si bravement battue sous vos ordres. De mon côté, j’ai désigné le général de Moltke à cet effet. Je suis de Votre Majesté le bon frère.

« Guillaume. »


N’exerçant pas de commandement, l’empereur Napoléon ne voulut pas traiter pour l’armée.

Les Allemands ignoraient la présence de l’Empereur Napoléon à Sedan ; lorsque la nouvelle s’en répandit, leur allégresse éclata de toutes parts. Ils croyaient la guerre terminée par cette bataille.

La capitulation fut signée le lendemain matin par le général de Wimpffen. L’armée et tout son matériel (plus de 500 canons) furent livrés à l’ennemi.

La bataille de Sedan coûta 3 000 hommes tués, 14 000 blessés, 100 000 prisonniers. Environ 3 000 hommes s’échappèrent et passèrent en Belgique, où ils furent désarmés.

Les Allemands perdirent près de 9 000 hommes, dont 2 000 tués.


Il serait impossible de citer tous les traits de courage dont s’honorèrent les troupes françaises dans cette lutte désespérée. Partout les premières lignes combattirent avec la plus grande opiniâtreté ; mais, dans les combats, il se produit souvent du désordre sur les derrières ; il en fut ainsi à Sedan.

Tandis que les uns cherchaient à faire trouée et affrontaient bravement la mort, d’autres reculaient sur la ville comme s’ils pouvaient espérer y trouver un abri, et les projectiles ennemis tombaient au milieu de ces masses qui tournoyaient sur elles-mêmes dans la plus grande confusion.


Le lendemain, pendant que le roi Guillaume, parcourant les bivouacs, était acclamé par son armée victorieuse, l’empereur Napoléon, prisonnier de guerre, prenait le chemin de l’Allemagne.

Les troupes françaises, réunies dans une boucle de la Meuse, la presqu’île d’Iges, à laquelle fut justement donné le triste nom de Camp de la faim, y restèrent, du 3 au 7 septembre, sans abris, sans vivres, sous la pluie. Elles eurent à supporter les plus grandes souffrances physiques ; leurs souffrances morales furent plus grandes encore.

Depuis Waterloo, la France n’avait pas vu pareil malheur ; jamais l’armée française n’avait subi pareille humiliation.



BLOCUS DE METZ


Après la bataille de Saint-Privat, le maréchal Bazaine s’était retiré sous les murs de Metz. Il avait prévenu le maréchal de Mac-Mahon que, sous peu de jours, il reprendrait son mouvement dans la direction du nord, de manière à se réunir à lui, entre Thionville et Montmédy, et cet avis détermina, comme on l’a vu précédemment, la marche de l’Armée de Châlons sur Sedan.


Le 26 août, eut lieu, en effet, sur la rive droite de la Moselle, du côté de Noisseville, un simulacre de sortie. Pendant cette opération, le maréchal Bazaine réunit, en conseil de guerre, les commandants des corps d’armée. À cette réunion, le général commandant l’artillerie déclara que l’armée n’avait pas assez de munitions pour livrer plus d’une bataille, et les autres généraux, ainsi influencés, ne combattirent pas l’opinion du maréchal, qui était de rester à Metz.

Vers trois heures, les troupes reçurent l’ordre de rentrer dans leurs camps.

La déclaration du général commandant l’artillerie était inexacte. Il y avait à Metz plus de 100 000 obus, c’est-à-dire de quoi livrer quatre grandes batailles comme celle de Saint-Privat.

Il fut dès lors bien évident qu’aucune décision énergique ne serait jamais prise par le maréchal.


Combat de Noisseville (31 août — 1er septembre). — Cependant la nouvelle du mouvement de l’Armée de Châlons était parvenue à Metz et les troupes frémissaient de leur inaction. Le maréchal prescrivit de recommencer l’opération du 26 août.

Par suite de retards dans la marche, les troupes n’arrivèrent en position qu’à quatre heures du soir, et les Allemands eurent ainsi tout le temps d’amener des forces sur le point menacé. Le combat se prolongea pendant la nuit ; il reprit le lendemain au lever du jour. À midi, le maréchal donna, comme le 26 août, l’ordre de rentrer dans les camps.

Environ 3 500 hommes furent mis hors de combat de part et d’autre.


Quelques jours après, des rumeurs inquiétantes commencèrent à circuler. On disait, d’une manière vague, qu’une grande bataille avait été perdue par le maréchal de Mac-Mahon, que l’Armée de Châlons tout entière et l’empereur Napoléon étaient prisonniers, qu’une révolution avait éclaté à Paris, et que la République était proclamée.

Ce fut une stupeur générale.

Sous prétexte d’échanges, l’ennemi avait renvoyé à Metz quelques-uns des prisonniers de Sedan, et c’est eux qui apportaient ces navrantes nouvelles.

Personne ne pensait alors que Paris pourrait résister à un siège, et il ne restait plus en France aucune armée à opposer aux Allemands.

Le maréchal Bazaine se résolut à attendre les événements ; persuadé qu’une solution serait prochaine, il ne prit aucune mesure pour économiser les subsistances. Le maréchal avait donné dans sa carrière maintes preuves de courage, mais il manquait de l’élévation de caractère qui permet seule à un chef d’armée de se grandir à la hauteur de circonstances difficiles. Indolent, alourdi de corps, sans activité physique ni énergie morale, il se laissait aller à une sorte de fatalisme insouciant et n’avait pas le sentiment de ce qu’exigeait, en ce moment, l’honneur militaire.

Alors commença pour l’armée une longue agonie. L’ennemi ne tenta aucune attaque ; il se contenta d’établir un investissement assez étroit pour que personne ne pût entrer, ni sortir.

Comme les troupes se montraient impatientes, qu’elles manifestaient de l’inquiétude et, par moments, une certaine exaspération, le maréchal ordonnait, de temps à autre, une sortie pour leur tirer du sang comme on en tire à un malade qui a la fièvre. Ces petites opérations permettaient d’enlever, dans les villages, quelques provisions de blé et de paille. Cependant les mesures pour le rationnement n’ayant pas été arrêtées en temps utile, bien des denrées furent gaspillées. À partir du commencement d’octobre, il fallut manger les chevaux.

Si le commandant en chef s’était montré plus prévoyant, la résistance aurait pu être prolongée de plusieurs semaines ; la suite du récit montrera quelles en auraient été les conséquences.


Principaux combats livrés pendant le blocus :

Le 26 septembre sur Peltre, au sud-est de Metz, et sur Ladonchamps, à l’ouest ;

Le 2 octobre, le château de Ladonchamps fut pris une seconde fois, et conservé ;

Le 7 octobre, une sortie plus sérieuse eut lieu en avant de Ladonchamps et 800 prisonniers enlevés à l’ennemi. Ce fut le dernier combat. Il coûta 1 200 hommes tués ou blessés.


Par moments, la colère gagnait les esprits ; mais, comme aucune nouvelle n’arrivait du dehors et que les opérations militaires semblaient suspendues, l’armée supposait que des négociations honorables étaient ouvertes ; elle voulait espérer quand même ; l’idée ne venait encore à personne que 170 000 soldats pleins de courage et d’énergie seraient réduits à capituler par famine, sans avoir livré une dernière bataille.

Cependant les vivres s’épuisaient, les rations étaient réduites à de la viande de cheval et à quelques pommes de terre. Il n’y avait plus de pain, plus de sel ; cette dernière privation fut une des plus pénibles. Il ne restait plus de fourrages ; des pluies continuelles transformaient les camps en bourbiers. Les chevaux tombaient mourant de faim. Les ambulances se remplissaient de malades. L’armée s’affaiblissait de jour en jour. La plus grande préoccupation était de se procurer à manger. Des centaines de soldats, sans armes, allaient, au delà des avant-postes, déterrer les pommes de terre dans les champs, et les Allemands les laissaient ordinairement faire sans les inquiéter.

Si, à ce moment, un suprême effort avait été demandé aux troupes, elles l’eussent fait, la rage au cœur. En mettant à pied les officiers et la cavalerie, et en attelant l’artillerie avec les chevaux qui restaient, il était encore possible de tenter une trouée ; beaucoup auraient succombé, mais beaucoup seraient sans doute passés et l’honneur du drapeau eût du moins été sauvé.

Rien ne fut essayé. Le maréchal continuait à avoir des pourparlers quotidiens avec des parlementaires qui allaient et venaient. Les Allemands, pour l’entretenir dans ces dispositions, l’engagèrent même à envoyer des officiers s’entendre avec l’Impératrice, qui était réfugiée en Angleterre.[7]

Capitulation de Metz (28 octobre). — Enfin, la dernière heure sonna et, le 28 octobre, la capitulation fut signée.

Le maréchal, craignant une mutinerie, mentit à son armée. Il fit déposer les armes dans les forts en disant qu’elles seraient rendues à la paix, qui était prochaine. Il fit porter les drapeaux à l’arsenal sous prétexte de les faire détruire.

Les armes et les drapeaux furent livrés à l’ennemi.

Quelques régiments refusèrent d’obéir ; ils brûlèrent leurs drapeaux ou les déchirèrent, s’en partageant les morceaux comme des reliques.

Mais l’abattement était si général que personne ne se rendait bien compte de la honte d’une pareille capitulation. Par suite de l’habitude d’obéir sans discuter, l’armée resta disciplinée et se résigna, supposant que son sacrifice était commandé par les intérêts mêmes de la Patrie, dont son chef devait avoir le souci.


Le 29 octobre, eut lieu la reddition.

Sur les différentes avenues qui conduisent à Metz, les troupes allemandes étaient rangées en bataille ; les troupes françaises, sans armes, furent amenées par leurs officiers, bien en ordre et très dignement. Les officiers rentrèrent ensuite à Metz. Au moment de la séparation, il y eut de déchirantes scènes de désespoir. Le temps était sombre ; la pluie tombait par rafales ; une poignante tristesse remplissait tous les cœurs. Les vainqueurs, eux-mêmes, s’en montrèrent impressionnés, et leur attitude grave et silencieuse fut un dernier hommage rendu à ces troupes vaillantes vaincues par la faim.


La capitulation livra à l’ennemi 173 000 hommes, dont 20 000 malades ou blessés, plus de 600 canons de campagne et 800 pièces de place.

7 000 hommes étaient morts dans les ambulances de Metz.

Pendant le blocus, les Allemands avaient perdu environ 6 000 hommes, dont 2 000 morts.

On a dit que le maréchal Bazaine était un traître. Si l’on appelle trahison une entente avec l’ennemi pour favoriser ses desseins en échange d’un avantage personnel, il n’y a pas eu trahison, au sens propre du mot, car le maréchal Bazaine n’a profité d’aucun avantage personnel. Mais un chef trahit son devoir lorsqu’au lieu de combattre, il entre en pourparlers avec l’ennemi, et lorsqu’il trompe son armée pour lui imposer une capitulation déshonorante.

Quelles pouvaient être les intentions du maréchal Bazaine ? Supposant, vraisemblablement, que la guerre ne saurait se prolonger et que le gouvernement révolutionnaire installé à Paris ne serait pas reconnu par le reste du pays, le maréchal pensait, sans doute, que son armée intacte serait une garantie pour le respect des conditions de paix.




En 1873 seulement, c’est-à-dire trois ans plus tard, un conseil d’enquête, chargé d’apprécier la conduite des commandants de places fortes, ayant émis, sur la capitulation de Metz, un vote de blâme, le maréchal Bazaine, toujours inconscient des fautes qu’il avait commises, demanda lui-même à être jugé par un conseil de guerre.

Ce conseil de guerre siégea à Versailles sous la présidence du duc d’Aumale[8], qui était le plus ancien général de division de l’armée.

Le maréchal fut déclaré coupable :

D’avoir capitulé en rase campagne ;

D’avoir traité avec l’ennemi sans avoir fait préalablement tout ce que lui prescrivaient le devoir et l’honneur ;

D’avoir rendu la place de Metz sans avoir épuisé tous les moyens de défense.

Il fut condamné à la peine de mort avec dégradation militaire (10 décembre 1873).


Cette condamnation était inévitable, le code de justice militaire n’admettant aucune circonstance atténuante pour un crime contre le devoir militaire ; mais le conseil de guerre, après avoir rendu la sentence, adressa aussitôt une lettre au président de la République, qui était alors le maréchal de Mac-Mahon. Il rappela la bravoure que le maréchal avait montrée au feu dans les batailles de Metz, l’éclat de ses services passés, ses campagnes, ses blessures, et il demanda que, usant de son droit de grâce, le président de la République ne laissât pas exécuter la sentence.

Le maréchal de Mac-Mahon commua la peine en vingt années de détention.

Le maréchal Bazaine fut interné à l’île Sainte-Marguerite, près de Cannes ; il s’en évada, au mois d’août 1874 et se réfugia en Espagne, où il mourut, en 1888, dans la misère et l’abandon.

L’ancien commandant de l’Armée de Metz a durement expié l’oubli de ses devoirs de soldat, et sa mémoire reste chargée non seulement du poids de ses fautes personnelles, mais encore des injustes ressentiments d’un peuple trop disposé à excuser ses propres faiblesses et à expliquer par la trahison les malheurs dont il a été accablé.



  1. Les gens du pays racontent qu’un soir, en arrivant sur une hauteur qui domine le village de Nouart, les cavaliers allemands, harassés par la fatigue de ces journées de marche forcée, poussèrent soudain de bruyants hourras ; ils venaient d’apercevoir à l’horizon la longue ligne de feux des bivouacs qui décelaient les positions de l’armée française. C’était une regrettable coutume prise dans les guerres d’Afrique et qui ne convenait pas à la guerre actuelle. Lorsque les troupes bivouaquent, des précautions doivent être prises pour que les feux ne soient pas vus de l’ennemi.
  2. Le 1er et le 5e corps avaient été ramenés à Châlons après la bataille de Froeschwiller ; le 7e corps avait été rappelé de Belfort ; le 12e corps était un corps de nouvelle formation ; il comprenait les troupes d’infanterie de marine.

    Les corps qui devaient prendre les numéros 8, 9, 10, et 11, ne furent jamais formés.

  3. Le 5e cuirassiers eut la mission de défendre les abords de Mouzon. Il s’y dévoua par une charge à fond, qui coûta 3 officiers supérieurs tués, dont le colonel de Contenson, 7 officiers tués ou blessés, 100 hommes hors de combat.
  4. Un détachement de 200 hommes du 88e, commandé par le lieutenant-colonel Demange, s’était maintenu dans une ferme isolée ; il y passa la nuit et, le 31 au matin, se fit jour à travers l’ennemi pour atteindre le pont de Mouzon. — 90 hommes passèrent ; le reste fut tué ou pris.
  5. Un célèbre tableau du peintre de Neuville : Les dernières cartouches, a popularisé cette héroïque défense.

    L’infanterie de marine perdit 32 officiers tués, dont 5 officiers supérieurs. 3 officiers furent fusillés après le combat.

  6. ler, 3e, 4e chasseurs d’Afrique, 6e chasseurs, 4e lanciers. Le roi de Prusse, qui se tenait sur les hauteurs de la rive gauche de la Meuse, ne put, dit-on, s’empêcher de s’écrier en voyant cette charge héroïque : Ah ! les braves gens !

    Le général Margueritte, commandant la division de cavalerie, fut mortellement blessé en allant reconnaître le terrain de la charge.

  7. C’est ainsi que le général Bourbaki, commandant la Garde impériale, consentit à sortir de Metz. L’Impératrice ne se prêta d’ailleurs à aucune de ces machinations, dont le but était de maintenir le maréchal Bazaine dans son inaction, jusqu’au moment où le manque de vivres le forcerait à se rendre.
  8. Le duc d’Aumale, fils du roi Louis-Philippe, avait commandé en chef l’armée d’Afrique.

    Après la révolution de février 1848, il avait été exilé avec tous les princes de la famille d’Orléans.

    En 1871, l’Assemblée nationale ayant rétabli ces princes dans leurs dignités, le duc d’Aumale reprit son grade de général de division, et c’est ainsi qu’il dut accepter la mission pénible de présider le conseil de guerre devant lequel comparut le maréchal Bazaine.