La guerre de 1870, simple récit/chap2

Librairie Ch. Delagrave (p. 23-V).


II

ARMÉE DU RHIN


Le 31 juillet, la concentration des forces allemandes était terminée. — Des pointes hardies d’officiers de cavalerie pénétrèrent fort loin en Alsace, afin de se rendre compte de nos formations. Leur audace causait une grande émotion.

Bien que l’armée française ne fût pas encore prête, l’Empereur voulut qu’elle prît l’offensive la première.


Combat de Sarrebruck (2 août). — Deux divisions du 2e corps reçurent l’ordre d’attaquer un poste avancé, (un régiment d’infanterie, trois escadrons, deux batteries), que les Allemands avaient à Sarrebruck, près de la frontière.


Ce combat, sans utilité, coûta, de part et d’autre, une quinzaine d’hommes tués et une soixantaine de blessés.


Ce fut la première rencontre.




En Alsace.

Wissembourg. (4 août) — Frœschwiller (6 août)

Combat de Wissembourg (4 août). — La division Abel Douay, du 1er corps, était en pointe avancée à Wissembourg. Les reconnaissances, mal faites, l’avaient laissée dans l’ignorance des dispositions de l’ennemi, dont les partisans signalaient cependant l’approche.

Le 4 août, cette division fut attaquée, à l’improviste, par la IIIe Armée allemande (Prince royal). Elle résista avec acharnement, 5 000 hommes contre 40 000. Le général Douay fut tué.


Il y eut, de chaque côté, 1 200 à 1 500 hommes hors de combat.


La division se replia sur le corps de Mac-Mahon.


Bataille de Frœschwiller[1] (6 août). — Après le combat de Wissembourg, la IIIe Armée allemande continua sa marche en avant.

Le maréchal de Mac-Mahon prit position près des villages de Wœrth, de Frœschwiller et de Reichshoffen.

L’avant-garde allemande attaqua le 6 août et, bien qu’il ne fût pas dans les intentions du Prince royal de livrer bataille ce jour-là, toute son armée se déploya dès qu’elle entendit le canon. Les Allemands avaient 126 000 hommes et 300 pièces contre 46 000 Français et 120 canons.

Le combat fut opiniâtre ; des régiments entiers se firent écraser sans reculer ; l’artillerie montra un superbe courage : elle perdit 28 pièces sous le feu ; mais la supériorité du nombre était trop grande.

Pour dégager l’aile droite qui était débordée, la brigade de cavalerie Michel reçut l’ordre de charger.

Le 8e et le 9e cuirassiers, et deux escadrons du 6e lanciers, se lancèrent à la charge contre l’infanterie ennemie, à travers les houblonnières.

On cultive le houblon en le faisant monter le long de grandes perches ; les chevaux s’embarrassaient dans ces perches. Cependant la charge passa comme un ouragan et vint s’engouffrer dans le village de Morsbronn, dont les rues étaient barricadées. « Semblable au bruit de la grêle, le son des balles résonnait sur les armures[2] ». Les cuirassiers furent anéantis ; un très petit nombre se rallièrent ; beaucoup furent tués ; le reste démonté et fait prisonnier.

Cette charge est restée comme l’exemple du plus héroïque dévouement et de la plus magnifique intrépidité.

Vers la fin de la journée, la division de cuirassiers de Bonnemains fournit une autre charge désespérée, vers l’aile gauche. Elle fut décimée avant d’atteindre les lignes ennemies.

La cavalerie française s’enorgueillit avec raison de ces faits d’armes qui témoignent de son dévouement et de sa valeur, mais le résultat n’a pas été en rapport avec le sacrifice. Cependant, quelques fractions d’infanterie réussirent à se dégager du combat.


Dans cette journée, les Français perdirent 4 000 prisonniers et 8 000 tués ou blessés. Les Allemands eurent plus de 10 000 hommes tués ou blessés[3].


Les Allemands étaient épuisés ; ils laissèrent l’armée française se retirer sans l’inquiéter. Le maréchal de Mac-Mahon hâta sa marche, passa les Vosges, puis la Moselle, et ses troupes furent ensuite transportées par chemin de fer au camp de Châlons, où elles se réorganisèrent.


En Lorraine.

Forbach (6 août).

Combat de Forbach (ou de Spicheren), 6 août. — Le jour même où se livrait la bataille de Frœschwiller, les Ire et IIe Armées allemandes attaquèrent, au sud de Sarrebruck, les hauteurs de Forbach et de Spicheren, défendues par le 2e corps français (général Frossard). Le combat dura jusqu’à la nuit, 30 000 hommes contre 70 000. Le général Frossard ne fut pas soutenu par les corps voisins et dut céder le terrain.

De chaque côté, il y eut 4 à 5 000 hommes hors de combat, dont environ le quart tués.

Le lendemain, 7 août, l’Empereur donna l’ordre de se replier dans la direction de Metz.


Ces combats malheureux affectaient péniblement l’armée ; cependant elle comptait prendre bientôt une revanche. Elle se rassurait en disant que les renseignements sur l’ennemi avaient été inexacts, qu’il y avait eu surprise, que certains ordres avaient été mal donnés ou mal exécutés, que les Allemands avaient toujours eu la supériorité du nombre ; mais des troupes de renfort allaient arriver et la situation se modifierait certainement.

L’Empereur remit le commandement au maréchal Bazaine[4], en qui l’armée avait confiance ; tout le monde espérait que le nouveau commandant en chef réparerait rapidement les premiers insuccès.


BATAILLES AUTOUR DE METZ

Borny (14 août) — Rezonville (16 août)
Saint-Privat (18 août)

Le maréchal Bazaine avait sous ses ordres :

Le 2e corps (Frossard) ;

Le 3e corps ancien corps Bazaine, qui fut successivement commandé par le général Decaen, mortellement blessé le 14 août, puis par le maréchal Lebœuf) ;

Le 4e corps Ladmirault) ;

Une brigade du 5e corps (Lapasset) ; le reste de ce corps avait été entraîné dans la retraite du maréchal de Mac-Mahon ;

Le 6e corps (Canrobert), qui venait d’arriver du camp de Châlons et de Paris ;

La Garde impériale (Bourbaki).

L’effectif total s’élevait à environ 200 000 hommes. C’étaient les meilleures troupes de la France.


Le maréchal Bazaine manifesta d’abord l’intention de se retirer sur Verdun, pour se réunir à l’armée qui se réorganisait au camp de Châlons, avec le maréchal de Mac-Mahon. Les ordres furent donnés en conséquence, mais le mouvement se fit avec beaucoup de lenteur, et les Allemands ne laissèrent pas le temps de l’effectuer.


Bataille de Borny (14 août). — Le 14 août, en arrivant près de Metz, les avant-gardes allemandes, s’étant rendu compte du mouvement de retraite de l’armée française, essayèrent de l’arrêter en attaquant, vers quatre heures du soir, les troupes du 3e corps restées encore en position près de Borny, sur la rive droite de la Moselle. Aussitôt, le 4e corps, qui avait déjà descendu les pentes vers la rivière, fit demi-tour et, avec une ardeur joyeuse, accourut au pas de charge. Les Allemands amenèrent, successivement 70 000 hommes en ligne ; du côté français, 50 000 hommes furent engagés. Après une lutte acharnée, le champ de bataille nous resta, mais ce combat eut pour conséquence de retarder de deux jours la marche de l’armée vers la Meuse.

La bataille de Borny coûta aux Français environ 3 000 hommes dont 500 morts ; aux Allemands, 5 000 hommes dont 1 200 morts[5].

Le mouvement sur Verdun fut repris le 15 août, mais si mal réglé que, ce jour-là, les têtes de colonnes n’arrivèrent qu’à Rezonville et à Vionville, à 10 kilomètres de Metz.


Bataille de Rezonville[6] (16 août). — Le 16 août, au matin, l’armée française était ainsi disposée :

Le 2e et le 6e corps près de Rezonville ;

La Garde à Gravelotte ;

En avant du front, une division de cavalerie ;

Beaucoup plus à droite, le 3e et le 4e corps, dont le mouvement avait été retardé par le combat du 14.

Le 16 au matin, l’empereur Napoléon iii continua sa route sur Verdun avant que la bataille fût engagée.

Quelques troupes allemandes commençaient à franchir la Moselle en amont de Metz.

L’armée française avait conservé les habitudes d’Afrique ; elle campait sous les petites tentes-abris, ne s’éclairait pas au loin, et les avant-postes étaient à très petite distance.

La division de cavalerie, placée en première ligne, ne se tenait pas sur ses gardes. Vers neuf heures du matin, des obus tombèrent dans son camp ; il en résulta une grande confusion. De nombreux chevaux échappés traversèrent au galop les bivouacs de l’infanterie, mais le désordre ne se propagea pas ; les troupes se formèrent rapidement et l’artillerie répondit au feu de l’ennemi.

L’action s’engagea à la gauche française ; elle s’étendit de la gauche à la droite, à mesure que de nouvelles troupes arrivaient en ligne ; la lutte dura toute la journée, et, de part et d’autre, avec une extrême ténacité.

L’ensemble du mouvement des Allemands était une grande conversion, l’aile droite formant le pivot. L’armée française fit un mouvement de conversion semblable sur son aile gauche. Les Allemands voulaient couper la route de Verdun et cherchaient à s’étendre par leur gauche vers le nord. L’armée française, de son côté, s’étendit par sa droite. À la fin de la journée, les deux armées étaient séparées par la route même de Verdun.

Le combat d’infanterie et d’artillerie se développa sur une ligne très étendue, de Rezonville à Mars-la-Tour. Il fut sanglant, sans donner de résultat décisif sur aucun point.

À gauche, le 2e corps souffrit beaucoup, il fut remplacé par une partie de la Garde[7].

Au centre, le 6e corps maintint ses positions.

À droite, le 3e corps, puis le 4e entrèrent successivement en action. Vers cinq heures du soir, la division de Cissey


La charge de Mars-La-Tour

(4e corps), qui arrivait sur le champ de bataille après une marche forcée, heurta la brigade allemande de Wedell, harassée, elle aussi, par une longue marche. Les infanteries se joignirent à la baïonnette. Sur un éffectif de 4 500 hommes, les Allemands laissèrent, en quelques instants, sur le terrain, 72 officiers et 2 500 hommes, dont 300 prisonniers.

Leur situation était critique ; les dragons de la garde royale prussienne s’élancèrent pour dégager l’infanterie et, semant leurs morts sur le terrain, ils traversèrent la première ligne française.

Une grande partie des régiments de cavalerie des deux armées se trouvait, en ce moment, du côté des ailes marchantes. Vers sept heures du soir, ils s’abordèrent près de Tronville[8] ; 5 000 cavaliers s’y chargèrent avec furie, dans une terrible mêlée.

À la nuit tombante, les deux lignes adverses étaient parallèles l’une à l’autre ; la gauche française à Rezonville, la droite en face de Mars-la-Tour. Le combat ne prit fin que vers dix heures du soir. Les troupes bivouaquèrent sur le champ de bataille.

Les pertes étaient considérables des deux côtés. Aucun des deux adversaires ne pouvait s’attribuer la victoire ; mais, en réalité, les Allemands avaient atteint leur but, qui était d’empêcher l’armée française de continuer sa marche sur Verdun.

L’effectif des combattants a été estimé à 95 000 hommes pour les Allemands, 135 000 pour les Français.


Les Allemands eurent 16 000 hommes hors de combat, dont 4 500 tués.

Les pertes des Français s’élevèrent à peu près au même chiffre, dont 1 400 tués et 5 000 disparus[9].

Ce fut la bataille la plus sanglante de la guerre. Le lendemain, toutes les troupes étant en ligne, les deux adversaires s’attendaient à recommencer la bataille, et un insuccès aurait été grave pour les Allemands, qui avaient la Moselle à dos, mais le maréchal Bazaine donna l’ordre de se replier sur Metz sous prétexte de se ravitailler.


Abandonner ainsi le terrain, c’était, en quelque sorte, s’avouer vaincu.

Après une bataille, les parcs doivent amener les munitions aux combattants et ceux-ci ne doivent jamais se porter en arrière pour aller les chercher.

L’armée en éprouva une grande tristesse et se demanda, dès ce moment, si la confiance mise dans le maréchal Bazaine était justifiée.


Le 17 au soir, l’armée française faisait face vers l’ouest :

Le 2e corps à gauche, en face de Gravelotte ;

Le 3e corps, à la droite du 2e ;

Le 4e corps, à Amanvillers ;

Le 6e corps, à Saint-Privat.

Derrière la gauche, était la division de voltigeurs de la Garde ; derrière la droite, la division de grenadiers.


Bataille de Saint-Privat (18 août). — Le 18, au matin, les Allemands attaquèrent par leur droite et, comme le 16, le combat s’étendit successivement de leur droite à leur gauche. Les Français ne manœuvrèrent pas ; ils attendirent l’attaque.

Les positions étaient d’ailleurs très fortes ; à notre aile gauche, elles avaient été renforcées par des tranchées-abris. De ce côté, les attaques des Allemands ne réussirent pas ; les contre-attaques des Français leur firent subir, au contraire de grandes pertes et les contraignirent à reculer.

À notre aile droite, à Saint-Privat, où commandait le maréchal Canrobert, l’artillerie était insuffisante et les munitions manquaient ; les voitures envoyées à Metz pour les chercher, n’étaient pas revenues.

Saint-Privat est sur un dos de terrain, en avant duquel descend un long glacis que les balles d’infanterie balayaient. La Garde prussienne s’empara de Sainte-Marie-aux-Chênes ; vers cinq heures elle attaqua Saint-Privat de front. Elle fut écrasée sous le feu de mousqueterie. En une demi-heure, 6 000 morts et blessés couvrirent le champ de bataille. Presque tous les officiers supérieurs tombèrent.

Vers sept heures du soir, après une longue marche, le XIIe corps (saxon) arriva sur notre flanc droit. Le village de Saint-Privat était en flammes ; la résistance ne pouvait plus s’y prolonger. L’ennemi l’enleva après un dernier assaut sanglant.

À huit heures du soir, le 6e corps se retira sur Metz ; un peu plus tard, le 4e corps dut abandonner Amanvillers ; les autres troupes conservèrent leurs positions.


Pendant toute la journée, la division de grenadiers et l’artillerie de la Garde étaient restées immobiles à quelques kilomètres derrière Amanvillers, sans prendre part au combat.

Le maréchal Bazaine, qui se tenait au fort Saint-Quentin, ne voyait la bataille qu’à son aile gauche ; il ne se rendit pas compte de ce qui se passait à son aile droite et n’envoya pas d’ordres. Mais était-il nécessaire d’avoir des ordres pour marcher au canon[10] ?

À Forbach, à Frœschwiller, à Borny, la bataille fut engagée sans ordre par les avant-gardes allemandes, et aussitôt qu’elles avaient entendu le canon, toutes les autres troupes s’étaient hâtées. Il n’en fut malheureusement pas de même dans l’armée française.

Si, vers cinq heures du soir, la division de grenadiers avait donné à Saint-Privat, comme le maréchal Canrobert le demandait, la Garde prussienne, déjà décimée, eût été anéantie ; le XIIe corps se trouvait coupé du reste de l’armée allemande ; la défaite de l’aile gauche ennemie entraînait celle de l’aile droite. L’armée française, exaltée par sa victoire, poussait les Allemands et les jetait dans la Moselle.


De toute la guerre, aucune heure ne fut plus solennelle.


Que serait-il advenu ensuite ? — Les destinées de la France eussent peut-être été changées !


À la bataille de Saint-Privat, environ 180 000 Allemands combattirent contre 120 000 Français.

Les Allemands perdirent 900 officiers et 20 000 hommes, dont plus de 5000 tués ; les Français, 13 000 hommes, dont 1 200 tués et 6 000 disparus.

Le lendemain, 19 août, les corps, qui avaient conservé leurs positions à l’aile gauche, reçurent l’ordre de se replier également sous Metz. Le maréchal Bazaine s’y laissa investir.



  1. Les Allemands appellent cette bataille bataille de Wœrth. Le nom de bataille de Reichshoffen, qui lui a été souvent donné en France, est inexact, car on ne s’est pas battu à Reichshoffen même.
  2. Général Bonie, La cavalerie en 1870.
  3. Il est très difficile de donner des chiffres exacts pour les pertes. Le lendemain d’un combat, on porte comme disparus et l’on considère souvent comme tués ou prisonniers des hommes qui se sont dispersés, et qui rejoignent plus tard.
  4. Le maréchal Bazaine avait commandé en chef le corps expéditionnaire du Mexique. Depuis son retour, en 1867, il était resté dans une sorte de disgrâce. L’Empereur, peu satisfait de la conduite du maréchal au Mexique, avait défendu qu’on lui rendît les honneurs militaires à son retour en France. Le maréchal en avait été très aigri et il était devenu le centre d’une opposition politique qui groupait les mécontents d’opinion républicaine.

    Plus tard. il fut cependant nommé au commandement de la Garde impériale, et, ensuite, pour l’éloigner de Paris, à un grand commandement, à Nancy. Ses relations avec l’Empereur étaient très froides. Ce fut une des raisons pour lesquelles, dans les circonstances actuelles, alors que l’Empereur était rendu responsable de tous les malheurs, le maréchal profita d’une certaine popularité. Le Corps législatif et les ministres, d’accord avec l’opinion publique, avaient demandé que le commandement en chef lui fût donné.

  5. Le général Decaen, commandant le 3e corps, fut mortellement blessé, et le maréchal Bazaine, contusionné par un éclat d’obus.
  6. Appelée aussi, par les Allemands, bataille de Mars-la-Tour.
  7. À un certain moment, une charge de cavalerie allemande arriva à l’improviste sur l’état-major même du maréchal Bazaine, qui fut dispersé. Le maréchal dut mettre l’épée à la main et un officier allemand galopa quelque temps près de lui sans se douter de l’importance de la prise qu’il était à même de faire.
  8. Le général de division Legrand fut tué en tête de la charge.
  9. L’artillerie allemande a tiré près de 20 000 coups de canon ; c’est une moyenne de plus de 88 coups par pièce.
  10. Les règlements disent formellement, aujourdhui, qu’à moins d’ordres positifs contraires, toute troupe doit marcher à l’ennemi, lorsqu’elle entend le bruit du combat. (Service en campagne.)