La guerre de 1870, simple récit/chap1

Librairie Ch. Delagrave (p. 13-III).


I

PRÉPARATIFS DE GUERRE


Causes de la guerre de 1870. — La guerre de 1866 avait suscité en Allemagne des haines nombreuses contre la Prusse ; celle-ci craignait que l’Autriche et les États du sud de l’Allemagne ne cherchassent un appui près de la France, qui, de son côté, ne pouvait voir sans déplaisir le développement de la puissance prussienne.

Le roi de Prusse, Guillaume, et son ministre Bismarck se rendaient compte du danger, mais ils savaient aussi que les forces militaires de la France étaient, en ce moment, inférieures à celles de la Prusse. Bismarck résolut de provoquer une guerre et de faire en sorte que tous les États allemands s’y trouvassent intéressés. C’était le meilleur moyen de leur faire oublier les humiliations subies en 1866. Il fit surexciter le patriotisme allemand, en rappelant, dans les journaux, les souvenirs des guerres du passé, en représentant la France comme l’ennemie héréditaire de l’Allemagne, en disant qu’elle voulait s’emparer des pays de la rive gauche du Rhin et empêcher les Allemands de s’unir pour former un grand peuple.

De son côté, le général de Moltke[1] s’occupait activement de perfectionner l’organisation de l’armée allemande, en vue de la guerre qui se préparait.

Bismarck voulait, en outre, amener la France à déclarer elle-même la guerre, afin qu’elle parût dans son tort et ne trouvât pas d’alliés. Ses machinations réussirent. Le gouvernement français tomba dans le piège.


Voici ce qui se passa :

En 1870, à la suite d’une révolution, la couronne d’Espagne avait été offerte à un prince de Hohenzollern, parent de la famille royale de Prusse. L’empereur Napoléon s’en était inquiété et avait fait des observations. Bien que ce projet eût été abandonné, Bismarck en tira parti pour irriter les susceptibilités de la France. Ses journaux réussirent à aigrir les rapports entre les deux gouvernements. Cependant, le roi Guillaume hésitant encore à rompre avec la France, Bismarck rendit la guerre inévitable en modifiant les termes d’une dépêche envoyée par le roi à ses agents diplomatiques, et en la rédigeant en termes blessants.

Lorsque la dépêche allemande fut communiquée à la Chambre des députés et au Sénat, il y eut une explosion de colère ; le plan de Bismarck avait réussi.

La guerre fut déclarée par la France le 17 juillet 1870.



MOBILISATION DES ARMÉES


Les avertissements n’avaient pas manqué sur les intentions et sur la force militaire de la Prusse ; cependant la France était loin d’être prête.

D’autre part, l’empereur Napoléon s’était fait l’illusion de compter sur l’alliance de l’Autriche et de l’Italie. Mais l’Autriche ne voulait pas faire la guerre. Quant à l’Italie, que nous avions soutenue en 1859 et qui nous devait son indépendance, elle avait également des obligations à la Prusse, son alliée en 1866.

Le gouvernement français espérait aussi qu’une partie des États allemands saisiraient cette occasion de prendre une revanche ; au contraire, ils s’unirent tous avec la Prusse contre nous.

En Allemagne, tout était prêt pour la mobilisation de l’armée. Il suffisait d’un signal pour tout mettre en mouvement.

En France, rien n’était en ordre : ni les troupes, ni le matériel de guerre, ni les places fortes. L’effectif de l’armée n’était pas suffisant et les réserves n’étaient pas organisées pour entrer rapidement en campagne.

Le souvenir des succès obtenus en Crimée, en Italie, en Afrique, au Mexique, nous entretenait dans une dangereuse confiance ; mais ces campagnes ne ressemblaient en rien à celle qui allait s’ouvrir contre l’armée allemande.


Formation des armées allemandes. — Dès le début de la guerre, les Allemands mobilisèrent 800 000 hommes prêts à entrer en campagne ; ils avaient, en outre, comme troupes de remplacement, 400 000 hommes de Landwehr.

Les troupes de première ligne, dont l’effectif était de 460 000 hommes avec 1 500 canons, furent réparties en trois Armées :

La Ire Armée, sous les ordres du général Steinmetz ;

La IIe Armée, la plus considérable, sous les ordres du prince Frédéric Charles, neveu du roi de Prusse ;

La IIIe Armée, sous les ordres du prince royal de Prusse, Frédéric[2], fils du roi Guillaume ; elle comprenait deux corps d’armée prussiens et les troupes de l’Allemagne du Sud, Bavarois, Badois, Wurtembergeois, etc.


Le roi Guillaume commandait en chef. Le plan de campagne avait été préparé, dans tous les détails, par le général de Moltke, son chef d’état-major.

La mobilisation et les transports par chemin de fer se firent avec ordre et rapidité. À la fin du mois de juillet, c’est-à-dire quinze jours après la déclaration de guerre, les armées allemandes se trouvaient sur la frontière :

La Ire Armée, à droite ;

La IIe Armée, au centre, devant Sarrebruck ;

La IIIe Armée, à gauche, devant Wissembourg ;

Une Armée de réserve se formait plus en arrière, à Mayence ; elle se réunit, peu de temps après, à la IIe Armée.


Formation de l’armée française. — L’armée française comptait alors 375 000 hommes de troupes actives et 175 000 hommes de réserve[3].

Les troupes de première ligne étaient réparties en sept corps d’armée, plus la Garde impériale. Leur effectif ne dépassait pas 250 000 hommes. C’était la moitié de l’effectif des Allemands.

À cette époque, les brigades, les divisions et les corps d’armée n’étaient pas formés dès le temps de paix[4]. Il fallut, au moment de la guerre, tout organiser, créer les états-majors, constituer les services administratifs, répartir l’artillerie. Les généraux ne connaissaient pas les troupes qu’ils allaient commander. Chacun se hâtait de rejoindre isolément son poste.


Bien que sa santé fût alors gravement atteinte et ses connaissances militaires très insuffisantes, l’empereur Napoléon iii prit le commandement en chef de l’armée, qui reçut le nom d’Armée du Rhin. Le maréchal Lebœuf remplit les fonctions de chef d’état-major.

Le système de mobilisation, en usage en Allemagne, n’avait pas encore été adopté en France. L’appel des réserves fut long et compliqué.

Les régiments furent dirigés sur la frontière avec leurs effectifs de paix ; les réserves et le matériel rejoignirent successivement, dans une grande confusion. Comme les réservistes n’étaient pas affectés aux régiments voisins de leurs résidences, les uns devaient traverser la France du nord au sud, les autres du sud au nord. Beaucoup ne purent arriver en temps utile.

Les transports par chemins de fer n’avaient pas été préparés avec soin. Il y eut d’incroyables désordres[5] ; une grande quantité de matériel se perdit ou s’égara. Nous espérions être prêts, avant l’ennemi, il le fut bien avant nous.


Ainsi, d’un côté, sous les ordres du roi de Prusse, entouré des princes des familles régnantes de l’Allemagne, marche une armée solidement constituée et commandée par des généraux expérimentés ; de l’autre, dans l’armée française, où tout s’improvise à la dernière heure, le commandement est mal assuré et la direction suprême en des mains inhabiles.

Tandis que les Allemands s’avançaient en masses compactes sur Sarrebruck et sur Wissembourg, les corps d’armée français se disséminèrent sur la frontière depuis Sarrebruck jusqu’à Belfort, comme en cordon de douaniers :

Le 1er corps (maréchal de Mac-Mahon), composé en grande partie de troupes d’Algérie, se forma à Strasbourg, avec une division en pointe à Wissembourg ;

Le 2e corps (général Frossard), le 3e corps (maréchal Bazaine), le 4e corps (général de Ladmirault), le 5e corps (général de Failly), et la Garde impériale (général Bourbaki) se réunirent au nord de Metz ;

Le 6e corps s’organisa au camp de Châlons sous les ordres du maréchal Canrobert ;

Le 7e corps (général Félix Douay) se concentra à Belfort.


Les Allemands avaient une artillerie beaucoup plus nombreuse et d’une portée supérieure à la nôtre. Leur infanterie était armée du fusil à aiguille, qu’elle possédait déjà en 1866.

L’infanterie française avait un fusil d’une portée et d’une justesse supérieures, mais c’était une arme nouvelle qui n’avait pas été encore complètement expérimentée[6], et dont les réservistes ignoraient le mécanisme. Il fallut le leur apprendre au moment même de se battre.




DESCRIPTION DU THÉÂTRE DE LA GUERRE


La France était alors bornée, au nord, par le royaume de Belgique et par le grand-duché de Luxembourg, pays neutres[7] ; par la province de Prusse rhénane et par le Palatinat bavarois.

À l’est, elle avait pour frontière le Rhin, grand fleuve large et rapide, difficile à traverser.

Dans les temps anciens, le Rhin marquait la séparation entre la Gaule et la Germanie, c’est-à-dire entre les pays qui sont devenus la France et l’Allemagne.

C’est la frontière naturelle de la France.

Sur la rive droite du Rhin, le Grand-Duché de Bade.

Sur la rive gauche, l’Alsace (départements du Haut-Rhin, chef-lieu Colmar, et du Bas-Rhin, chef-lieu Strasbourg).

À l’ouest de l’Alsace, la Lorraine (départements de la Meurthe, chef-lieu Nancy ; de la Moselle, chef-lieu Metz ; de la Meuse, chef-lieu Bar-le-Duc ; des Vosges, chef-lieu Épinal).

On parle allemand en Alsace et dans la partie nord de la Lorraine, mais aucun pays n’est plus attaché à la patrie française ; il a donné à la France un grand nombre de vaillants soldats et de généraux illustres.

Plus au sud, la France touchait à la Suisse, pays neutre comme la Belgique.

Les montagnes des Vosges séparent l’Alsace de la Lorraine.

À l’ouest des Vosges, coule la Moselle et, plus à l’ouest, la Meuse.


À l’ouest de la Meuse, est la grande forêt d’Argonne.

Entre l’Argonne et Paris, s’étendent les vastes plaines de la Champagne, où se trouve le camp de Châlons.


Places fortes. — Les principales places fortes de la frontière étaient :

Strasbourg sur le Rhin, Metz sur la Moselle, Belfort qui défendait les passages entre les Vosges et le Jura.

Les autres forteresses, incapables pour la plupart d’une résistance sérieuse, étaient :

Lichtenberg et la Petite-Pierre, dans les Vosges, petits forts insignifiants ;

Schlestadt et Neuf-Brisach, en Alsace ; Bitche et Phalsbourg, dans les Vosges ;

Thionville au nord de Metz, et Toul au sud.

Entre les Vosges et la Moselle, Marsal, mauvaise bicoque sans valeur.

Sur la Meuse, Verdun, vieille place, assez forte cependant.

Au nord, près de la frontière du Luxembourg, Longwy et Montmédy, très petites places.

Près de la frontière belge, sur la Meuse : Sedan, Mézières et Givet, avec de vieilles fortifications.

Au sud, près des sources de la Marne et de la Meuse, Langres.

Au sud de Belfort, adossée aux plateaux du Jura, la grande place de Besançon, défendue par des fortifications anciennes.

Aucune de ces forteresses n’était protégée par des forts détachés contre un bombardement.




La charge des cuirassiers, à Morsbronnes

  1. Le général de Moltke était chef d’état-major de l’armée prussienne. D’origine danoise, il avait pris du service en Prusse. C’était un officier de grande valeur. Après avoir dirigé la campagne de 1866, ce fut lui qui prépara le plan de campagne contre la France.
  2. Le Prince royal succéda à son père l’empereur Guillaume Ier, en 1888 ; il mourut la même année, laissant la couronne impériale à son fils, l’empereur actuel, Guillaume ii, qui est né en 1859.
  3. La loi militaire de 1868 avait établi le service de cinq ans dans l’armée active et de quatre ans dans la réserve.

    Les jeunes gens aptes au service et qui n’étaient pas incorporés dans l’armée active, étaient inscrits sur les contrôles de la garde nationale mobile ; ils ne recevaient aucune instruction.

    Les cadres n’étaient pas plus instruits que la troupe. Les grades de sous-officiers et d’officiers étaient donnés sans aucune garantie de capacité.

    Il devait y avoir 318 bataillons et 158 batteries de mobiles ; mais cette organisation n’existait que sur le papier.

  4. Seule, la Garde impériale formait un corps d’armée à deux divisions : une division de grenadiers et une division de voltigeurs.

    Il y avait aussi quatre divisions actives de l’armée de Paris et trois divisions de l’armée de Lyon.

  5. Pendant le blocus de Metz, plusieurs millions de cartouches, dont personne ne connaissait l’existence, furent retrouvés dans des wagons.
  6. Le fusil français était appelé vulgairement Chassepot ; c’était le nom d’un contrôleur d’armes qui avait coopéré à sa fabrication.

    Les approvisionnements d’armes n’étaient pas suffisants. Dans le courant de la guerre, des armes de différents modèles furent achetées en Amérique, et d’anciens fusils transformés et appelés fusils à tabatière, parce que leur culasse s’ouvrait comme une tabatière, furent utilisés pour l’armement des troupes.

    L’artillerie avait quelques batteries de mitrailleuses ou canons à balles qui lançaient des gerbes de balles à des distances de 1 200 à 1 800 mètres. Elles rendirent de médiocres services.

  7. On appelle pays neutres des pays qui, par suite des traités conclus entre les puissances européennes, sont sous la garantie de ces puissances. En cas de guerre, il leur est interdit de prendre parti pour les uns ou pour les autres et leur territoire ne peut être traversé par les armées belligérantes.