La guerre de 1870, simple récit/chap10

Librairie Ch. Delagrave (p. 117-124).


X

SIÈGES DES FORTERESSES


Pour compléter ce récit, il reste à parler du rôle des places fortes.

Dans les anciennes guerres du temps de Louis XIV et de Louis XV, l’effectif des armées dépassait rarement 30 à 40 000 hommes. Le but de toute une campagne se bornait souvent à la prise d’une ou de deux petites places. Puis, les troupes s’établissaient dans des quartiers d’hiver et, au printemps, recommençaient les opérations.

Mais, ni en 1814, ni en 1815, les places fortes françaises n’avaient arrêté le flot des grandes armées de l’invasion. Cependant, la plupart des petites forteresses qui bordaient la frontière, avaient été conservées. C’était une erreur.

Personne ne comptait qu’elles fussent en état de résister aux engins de l’artillerie nouvelle ; par conséquent, elles ne protégeaient en rien le territoire national ; elles ne pouvaient même pas retarder la marche des armées ennemies, qui se bornaient à laisser un détachement pour masquer leurs trop faibles garnisons ; la reddition en était inévitable après un bombardement de plus ou moins de durée.

Il en résultait des pertes d’hommes et de matériel, et l’ennemi remportait ainsi des victoires faciles, tandis que nous avions à subir une suite d’humiliations douloureuses.

Au début de la guerre, non seulement les forteresses n’étaient pas à l’abri d’un bombardement, mais la plupart n’étaient pas même en état de défense et n’avaient pas de garnisons constituées.

Après les premières grandes batailles autour de Metz, les Allemands organisèrent une sorte de parc de siège ambulant, qui se promenait d’une place à l’autre et les cueillait successivement. Trop souvent, ils se servirent de canons français, ainsi tombés entre leurs mains, pour bombarder d’autres villes françaises. C’est une histoire triste à raconter.

À quoi bon résister, disait-on ? cela ne changera rien au résultat ; on fera tuer inutilement soldats et habitants ; la ville sera brûlée et exposée aux violences de l’ennemi. Mieux vaut négocier comme ont fait les autres, qui étaient plus capables que nous de se défendre — et l’on capitulait.

On capitulait sans noyer les poudres, sans briser l’armement, sans enclouer les canons, et la garnison s’en allait en Allemagne, augmenter le nombre des prisonniers de guerre[1].


Les gouverneurs des forteresses étaient, pour la plupart, de vieux officiers, nullement à hauteur des devoirs imprévus qui leur incombaient, avec des places mal armées et des garnisons sans valeur militaire. Ils oublièrent qu’il n’est permis à une place assiégée d’écouter aucune proposition de l’ennemi, ni d’avoir aucun pourparler avec lui. Quels que soient les périls auxquels est exposée la population, une place ne doit pas se rendre tant qu’il lui reste un morceau de pain à manger et un coup de canon à tirer.

Et, lorsque la résistance n’est plus possible, il faut détruire tout le matériel et ne réclamer aucune condition.




Le sort de Metz se trouva lié à celui de l’armée qui s’était réfugiée sous ses murs. Ses fortifications ne servirent à rien, et la place fut obligée de capituler par la famine sans avoir été attaquée.


La Petite Pierre, petit fort des Vosges, était gardée par une trentaine d’hommes commandés par un sergent-major, qui détruisit le matériel et parvint à rejoindre l’armée (8 août).


Lichtenberg, autre petit fort des Vosges, avait 200 hommes et 7 vieux canons. Il résista à un bombardement de deux jours et capitula après avoir détruit son matériel (10 août).


Marsal, petite ville avec de vieilles fortifications, était défendue par une garnison de 600 hommes, sans un artilleur. La place tira un seul coup de canon ; puis elle se rendit (14 août).


Vitry n’avait pour garnison qu’un millier de mobiles, qui évacuèrent la place sans la défendre (25 août).


La citadelle de Laon capitula sans résistance. Au moment de la reddition, l’explosion d’une poudrière, due soit à un accident, soit à un acte de désespoir, tua ou blessa 200 Français et 100 Allemands (19 septembre).


Toul résista à deux coups de main, tentés le 16 et le 17 août. La place subit ensuite deux bombardements avec de l’artillerie de campagne, l’un le 23 août, l’autre du 10 au 12 septembre.

Les Allemands amenèrent plus tard un matériel de siège, qu’ils renforcèrent avec des canons français pris à Marsal. La place fut alors violemment bombardée pendant deux jours. Elle avait 2 500 hommes de garnison, dont 15 artilleurs ; elle reçut 12 000 obus ; la ville était en feu lorsqu’elle se rendit, le 23 septembre ; les remparts étaient encore intacts.


Strasbourg (9 août-26 septembre). — Strasbourg était une grande place comme Metz, mais son armement était incomplet. Sa garnison comptait 17 000  hommes.

Aussitôt après la bataille de Frœschwiller, la division badoise avait été dirigée sur Strasbourg ; elle arriva devant la place le 9 août. L’investissement fut complet le 16.

Les Allemands commencèrent le siège régulier le 26 août. Malgré un furieux bombardement[2], la place, commandée par le général Uhrich, ne se rendit qu’après quarante-six jours de siège régulier, une brèche étant ouverte au corps de place (26 septembre).


La garnison perdit 700 hommes tués ou blessés ; la population civile, qui fit preuve des plus ardents sentiments de patriotisme, eut 300 morts et 800 blessés.


Après la prise de Strasbourg, les Allemands assiégèrent successivement les autres places fortes de l’Alsace et de la Lorraine et quelques forteresses de l’intérieur.


Soissons avait 5 000 hommes de garnison. La place se rendit après un bombardement de trois jours ; son matériel était intact (15 octobre).


Schlestadt, — 5 000 hommes de garnison, — capitula après un bombardement de cinq jours (23 octobre).


Verdun fut bombardé sans résultat pendant trois jours (13 au 15 octobre) avec des canons français pris à Toul et à Sedan. La garnison essaya quelques sorties. Après la capitulation de Metz, les Allemands se disposaient à


Bombardement de Strasbourg

en commencer le siège régulier, lorsque la place capitula

avec 6 000 hommes (8 novembre)[3].


Neuf-Brisach, — 5 000 hommes de garnison, — capitula après un bombardement de huit jours (10 novembre).


Thionville, — 4 000  hommes de garnison ; — bombardée pendant trois jours, la place reçut 25 000 projectiles ; elle capitula (24 novembre).


La Fère, — 2 500 hommes de garnison. — Investie le 15 novembre, la place capitula après un bombardement de deux jours.


La résistance de Phalsbourg fut particulièrement honorable. La garnison comptait 1 200 hommes, commandés par le chef d’escadron d’artillerie Taillant. La population supporta courageusement le bombardement, qui détruisit un tiers de la ville.

Le 12 décembre, il n’y avait plus de pain.

La place était investie depuis le 10 août. Le commandant fit détruire l’artillerie, les munitions, tout ce que l’ennemi aurait pu utiliser ; il fit ensuite ouvrir les portes et se rendit à discrétion. C’est ainsi que l’honneur militaire commande de faire, quand tous les moyens ont été épuisés.


Montmédy, — 3 000 hommes de garnison. — La place, dans une position très forte, résista à une attaque par l’artillerie de campagne, le 5 septembre. La garnison fit quelques sorties heureuses ; mais, après la prise de Thionville, un bombardement de deux jours amena la capitulation[4](13 décembre).

Mézières, — 2 000 hommes de garnison, — capitula après un bombardement qui détruisit presque toute la ville. Elle avait reçu 12 000 projectiles (1er janvier 1871).


Rocroy, — 300  hommes, — se rendit après un court bombardement (5 janvier).


Péronne, — 3 500 hommes de garnison, — résista à un bombardement qui détruisit la moitié de la ville ; mais, après la bataille de Bapaume, désespérant d’être délivrée par l’Armée du Nord, elle capitula (10 janvier).


Longwy, — 4 000 hommes de garnison, très petite place, ne fut attaquée que fort tard. Elle capitula après un bombardement violent de quatre jours, pendant lequel elle avait reçu 28 000 obus (23 janvier).


La place de Belfort fut vigoureusement défendue par le colonel du génie Denfert-Rochereau. Sa garnison, forte de 18 000 hommes, fit une défense très active et construisit des ouvrages avancés, qui retardèrent, pendant longtemps, les attaques de l’ennemi sur le corps de place.

Les premières troupes allemandes parurent devant Belfort le 3 novembre. L’artillerie de l’attaque ne put prendre la supériorité sur celle de la défense. Cependant, lorsque le général Bourbaki vint livrer bataille sur la Lisaine, la garnison ne fit aucune tentative de sortie.

Après la retraite de l’Armée de l’Est, les attaques d’un siège régulier furent menées avec plus d’énergie, mais sans beaucoup de résultat. Les Allemands y employèrent plus de 25 000 hommes.

Enfin, le 16 février, les hostilités furent suspendues sur l’ordre du Gouvernement de la Défense nationale. La garnison sortit avec armes et bagages. Le siège avait duré cent trois jours, dont soixante-treize jours de bombardement[5].

Les pertes avaient été d’environ 5 000 hommes.


Le siège de Bitche est un des faits remarquables et consolants de la guerre. La place est située dans les Vosges, sur un rocher difficilement accessible. Elle avait seulement 1 500 hommes de garnison, mais des vivres en abondance. Elle fut attaquée aussitôt après la bataille de Frœschwiller.

Elle subit un bombardement de dix jours, pendant lequel elle reçut 20 000 obus. Cependant, les Allemands ne purent s’en emparer. La ville ne leur fut remise que le 27 mars, sur l’ordre du Gouvernement ; il y avait un mois que le traité de paix était accepté par l’Assemblée nationale. La garnison sortit avec armes et bagages. La résistance avait duré deux cent trente jours.




  1. Après la guerre, une commission d’enquête eut la mission d’examiner la conduite des commandants des forteresses. Presque tous furent sévèrement blâmés.
  2. Plus de 190 000 projectiles furent jetés sur la ville ; 600 maisons furent brûlées.
  3. La capitulation spécifiait que le matériel de guerre serait rendu à la France. Cette clause fut exécutée.
  4. La plus grande partie de la garnison réussit à se sauver en passant sur le territoire belge.
  5. Pour perpétuer le souvenir de cette énergique résistance, la ville de Belfort a été autorisée à placer une croix de la Légion d’honneur dans ses armoiries.