La guerre de 1870, simple récit/chap9

Librairie Ch. Delagrave (p. 97-116).


IX

LE SIÈGE DE PARIS


Depuis la bataille de Sedan et jusqu’à la fin de la guerre, tous les efforts des Allemands eurent pour objet principal de réduire Paris à capituler.


De même, tous les efforts des armées nouvelles formées sur les divers points de la France, tendaient à un seul but : la délivrance de Paris.


Les autres opérations ne furent qu’accessoires.


Le sort de la France paraissait donc lié à celui de sa capitale. C’est qu’en effet, depuis longtemps, le reste du pays était habitué à recevoir d’elle toute l’impulsion. L’idée ne pouvait venir à personne de consentir à la paix tant que Paris résisterait, et lorsque Paris dut capituler, il sembla qu’il était désormais impossible de continuer la guerre.



Organisation de la défense.


Le 17 septembre, les têtes de colonnes des Armées allemandes qui avaient combattu à Sedan commencèrent à arriver sur la Seine.

Paris était alors protégé par l’enceinte qui existe encore et par une ligne de forts, dont la distance moyenne à l’enceinte est seulement de 800 à 1 000 mètres. Construites en 1840, ces fortifications n’étaient plus en rapport avec les portées nouvelles de l’artillerie et ne mettaient pas la ville à l’abri d’un bombardement[1].

D’ailleurs, personne ne croyait que Paris serait susceptible de résister à un blocus d’une quinzaine de jours, étant données les difficultés d’alimentation d’une population de deux millions d’habitants. L’activité déployée au dernier moment permit cependant de faire entrer des subsistances pour quatre mois.

Personne ne supposait non plus que la population aurait assez de calme pour permettre de prolonger longtemps la résistance.

Quelques hommes de désordre étaient, en effet, fort turbulents ; néanmoins la majorité des habitants montrèrent la sagesse patriotique que les circonstances commandaient.

Paris résista jusqu’à sa dernière bouchée de pain.

Il n’y avait ni armes ni munitions en quantité suffisante. Les armes, les munitions, les canons même, furent fabriqués par l’industrie parisienne. Des souscriptions, des dons volontaires contribuèrent à la fabrication de l’artillerie.

À la fin de septembre, la défense disposait de 800 canons de campagne et de 2 400 pièces de rempart. Plus de 500 000 hommes furent armés, mais, dans cette multitude, il n’y avait guère que 60 000 soldats à peu près instruits. Le reste donnait l’illusion du nombre.


Lorsque les avant-gardes allemandes se présentèrent devant Paris, les forces de la défense étaient loin d’être organisées. Elles comprenaient :

Des troupes actives formées de dépôts, de régiments de marche, de marins, etc. ;

Des gardes nationales mobiles ;

Des gardes nationales sédentaires ;

Des corps francs.


Troupes actives. — Leur effectif était de 90 000 hommes environ, sous le commandement du général Ducrot[2] ainsi répartis :

1o — Le 13e corps d’armée (général Vinoy). Ce corps n’avait pu rejoindre l’armée du maréchal de Mac-Mahon. Au moment de la bataille de Sedan, il venait d’arriver à Mézières et il avait échappé au désastre par une retraite rapide.

Il comptait une belle brigade (35e et 42e régiments d’infanterie) qui revenait de Rome et qu’on appelait la Brigade des Drapeaux, parce que, seule, elle avait ses drapeaux. C’étaient les seuls régiments réguliers, — 28 000 hommes ;

2o — Le 14e corps (général Renault), formé avec des dépôts, — 30 000 hommes ;

3o — Des douaniers, des forestiers, des gendarmes, des sergents de ville, — environ 12 000 hommes ;

4o — Neuf régiments de marche de cavalerie ;

5o — 15 000 marins.


Garde nationale mobile. — Son organisation avait été à peine ébauchée. Elle comprenait :

1o — Des mobiles des départements sans instruction militaire, formés les uns en bataillons, les autres en régiments ; quelques-uns acquirent cependant une réelle valeur, — 100 000 hommes ;

2o — Les mobiles de Paris. Au début, ils montrèrent peu de discipline, mais, dans la suite, la plupart firent bravement leur devoir, — 35 000 hommes.


Garde nationale sédentaire. — Avant la guerre, l’effectif de la garde nationale de Paris s’élevait à environ 60 000 hommes ; c’étaient des bourgeois, équipés et armés pour des revues de parade, et qui ne pouvaient être considérés comme troupes de combat.

Au commencement du siège, on inscrivit sur les contrôles tous ceux qui se présentèrent ; plus de 300 000 hommes reçurent des fusils et, parmi eux, dit-on, 25 000 repris de justice. Tous ces hommes étaient loin de représenter des éléments utiles pour la défense ; beaucoup étaient, au contraire, fort dangereux.

Vers la fin d’octobre, des bataillons de marche de la garde nationale, appelés aussi bataillons de guerre, furent constitués avec des célibataires ou des volontaires. Ils devaient prendre part aux sorties, tandis que les autres restaient affectés à la garde des remparts[3].


Corps francs. — Il se forma aussi de nombreux corps francs.

À part quelques exceptions très honorables[4], ceux qui les composaient, souvent désireux d’échapper à toute discipline et à toute subordination régulière, ne rendirent guère de services.


Le général Trochu, président du gouvernement provisoire, commandait en chef.


Investissement. — Les armées allemandes investirent Paris, en passant la Seine, en aval, du côté de Poissy, et, en amont, à Villeneuve-Saint-Georges et à Corbeil[5].

Les forces de la défense étaient encore trop insuffisamment organisées pour qu’il fût possible de s’opposer à l’investissement[6].


Combat de Montmesly (17 sept.). — Un engagement, de peu d’importance d’ailleurs, eut lieu à Montmesly le 17 septembre.


Combat de Châtillon (19 sept.). — Le 19 septembre, le général Ducrot, voulant conserver les hauteurs de Châtillon, de Meudon et de Montretout, attaqua les colonnes allemandes pendant leur marche de Choisy-le-Roi à Versailles.

Ce début ne fut pas heureux. Aux premiers coups de feu, un régiment de zouaves de marche[7], régiment de nouvelle formation et qui n’avait de zouave que le nom et l’uniforme, se débanda dans les bois de Meudon, et s’enfuit jusqu’à Paris, y portant la panique. Il entraîna avec lui la division dont il faisait partie.

Après cette malheureuse affaire, qui coûta environ 600 hommes, dont 100 tués, et 8 canons perdus, le gouverneur décida d’abandonner les ouvrages de défense extérieure commencés sur différents points. Tous les ponts de la Seine furent coupés, à l’exception de ceux de Neuilly et d’Asnières, qui établissaient la communication avec le Mont-Valérien.

À partir du 20 septembre, l’investissement étant complet, les relations avec l’extérieur furent interrompues ; cependant quelques échanges de correspondance purent être établis au moyen de ballons expédiés de Paris et de pigeons voyageurs envoyés de province[8].


Cette absence de nouvelles régulières, l’ignorance de ce qui se passait à l’extérieur étaient des plus pénibles. Des bruits mensongers se répandaient dans la population et contribuaient à exciter les esprits tantôt dans un sens, tantôt dans un autre ; ils faisaient naître parfois de fausses espérances auxquelles succédaient de tristes découragements.

Toutefois la population montrait, en général, les dispositions les plus fermes ; elle comptait sur le secours des armées qui s’organisaient dans les départements.


Combat de Villejuif (23 sept.). — Pour éloigner les lignes d’investissement, le gouverneur prescrivit de reprendre le plateau de Villejuif, au sud de Paris.

Les redoutes des Hautes-Bruyères et du Moulin-Saquet furent réoccupées.


Combat de Chevilly (30 sept.). — Le 30 septembre, le 13e corps (Vinoy), 20 000 hommes environ, attaqua les villages de Chevilly et de l’Hay ; mais les défenses en étaient formidables, l’attaque échoua.

Les pertes furent notables : 2 000 Français, 400 Allemands hors de combat. Le général Guilhem, tué.


Combat de Bagneux (13 octobre). — Le 13 octobre, le 13e corps (25 000 hommes) exécuta une grande reconnaissance offensive sur les villages de Bagneux et de Châtillon. Comme le 30 septembre, les troupes eurent très belle attitude.

Ce combat coûta 400 hommes de part et d’autre.


Combat de la Malmaison (21 octobre). — Le 21 octobre, une opération plus importante eut lieu du côté de l’ouest. Les troupes de sortie, sous les ordres du général Ducrot, comptaient 10 000 hommes environ, choisis dans tous les régiments.

Ce fut un des épisodes les plus honorables du siège.

La Malmaison et Buzenval furent enlevés. Les troupes montrèrent la plus grande vaillance et s’honorèrent, sur bien des points, par des actes véritablement héroïques. L’intention n’étant pas de pousser l’offensive à fond, elles se replièrent en ordre devant les retours offensifs de l’ennemi, qui amena des forces supérieures.

De part et d’autre, les pertes s’élevèrent à environ 500 hommes, dont 150 morts.


Premiers combats du Bourget (28 et 30 octobre). — Du côté nord de Paris, un coup de main heureux nous rendit maîtres du Bourget, le 28 octobre.

Mais la disposition des maisons du village ne permettait pas à la défense de s’y maintenir. Les Allemands reprirent le Bourget le 30 octobre, après un sanglant combat.

Les Français perdirent plus de 1 200 hommes hors de combat et les Allemands environ 500.


Combat aux environs de Paris

La nouvelle de la capitulation de Metz parvint à ce moment à Paris ; l’insuccès du dernier combat du Bourget augmenta l’exaspération des esprits. Les hommes de désordre en profitèrent. Une sédition éclata.

Le 31 octobre, 8 000 hommes de garde nationale se portèrent sur l’Hôtel de Ville et tinrent prisonniers les membres du gouvernement, pendant une partie de la journée. D’autres troupes arrivèrent et purent les dégager ; mais ce fut une grande tristesse et une grande inquiétude de voir qu’en présence de l’ennemi de pareilles tentatives d’insurrection pouvaient se produire. Craignant qu’une répression trop rigoureuse en augmentât le danger, le gouvernement se contenta de destituer quelques commandants de bataillon, et crut nécessaire de consolider son autorité, en consultant par un vote, non seulement la population, mais aussi l’armée.

Tandis que les troupes allemandes, fortement disciplinées, montraient à leur roi un dévouement absolu, l’armée française de Paris est ainsi troublée par les passions politiques, et le Gouvernement de la Défense nationale, issu d’une révolution, manque de confiance et doute de l’obéissance. La direction de la défense devait en être fâcheusement influencée.

Le vote populaire ayant été favorable, le gouverneur ordonna de nouvelles mesures pour préparer des sorties.


Cependant quelques pourparlers d’armistice avaient eu lieu ; mais, l’ennemi exigeant la remise d’un fort et n’ayant pas voulu consentir à laisser ravitailler Paris pendant l’armistice, les négociations ne continuèrent pas.


Les forces de la défense furent alors réparties en trois Armées :

La 1re Armée, formée de la garde nationale, sous les ordres du général Clément Thomas[9] ;

La 2e Armée, plus particulièrement destinée aux sorties, forte de 100 000 hommes, sous les ordres du général Ducrot ;

La 3e Armée, sous les ordres du général Vinoy.

Un corps d’armée séparé, formé, en grande partie, de marins, sous les ordres de l’amiral de la Roncière.


De grands préparatifs furent commencés pour une opération dans la direction du nord. Mais, la nouvelle de la victoire de Coulmiers étant arrivée le 14 novembre, le gouverneur modifia ses projets et, dans l’espoir de donner la main à l’Armée de la Loire, il décida que la sortie s’effectuerait sur le front sud.

Il fit partir un ballon pour en prévenir la Délégation de Tours[10].


Bataille de Champigny (du 30 novembre au 2 décembre). — L’Armée du général Ducrot devait passer la Marne, le 29 novembre, dans la boucle de la rivière entre Joinville et Bry.

Une crue ayant gêné la construction des ponts, le passage ne s’effectua que le 30 novembre ; malheureusement, la veille, plusieurs démonstrations avaient été faites sur divers points, et les Allemands, ainsi prévenus, se tenaient sur leurs gardes.

L’attaque fut menée très vigoureusement ; mais toutes les difficultés n’ayant pu être prévues, les mouvements des colonnes ne se firent pas avec la précision désirable. Certaines fractions attaquèrent trop tôt, d’autres arrivèrent trop tard. Leurs efforts restèrent décousus.

L’ennemi avait organisé une ligne de résistance extrêmement forte.

Le parc de Villiers, particulièrement, était transformé en une véritable citadelle dont les feux battaient les glacis en avant. Plusieurs attaques, héroïquement répétées, vinrent échouer devant cette position. À la nuit tombante, le combat cessa ; nous restâmes maîtres de Champigny et de Bry.

Environ 50 000 hommes avaient été engagés de part et d’autre.


Les Français eurent 4 000 hommes environ hors de combat ; les Allemands moitié moins.


Tandis que la bataille principale se livrait à Champigny, une offensive était également dirigée sur Montmesly et une autre sur Choisy-le-Roi.

Ces deux actions, insuffisamment liées entre elles et avec l’action principale, n’eurent aucun résultat. Le combat de Montmesly avait été cependant très sérieux.


Les troupes françaises perdirent, à Choisy, une centaine d’hommes hors de combat ; à Montmesly, environ 1 200 hommes dont 130 morts ; les Allemands, environ 500 hommes.


Le froid, dans la nuit suivante, fut exceptionnellement rigoureux.

Pendant la journée du 1er décembre, les troupes se reconstituèrent et reçurent des ravitaillements.

La nuit du 1er au 2 décembre fut encore plus rude : 10° au-dessous de zéro.

La bataille recommença le 2 décembre. Les Allemands reprirent partout l’offensive, sans réussir à enlever nos positions.

Une quatrième nuit dut être passée au bivouac, par une température glaciale.

Le 3 au matin, voyant l’état lamentable de ses soldats,


Le Lendemain de Champigny

cruellement éprouvés par le froid et épuisés de fatigue, le général Ducrot les ramena de l’autre côté de la Marne. La retraite se fit en ordre.


Les pertes du 30 novembre au 3 décembre furent d’environ 12 000 hommes, dont 2 000 tués, 800 blessés, et 2 000 disparus ; celles de l’ennemi, moitié moindres.




Le 5 décembre, l’état-major allemand fit connaître au gouverneur de Paris le résultat des batailles livrées près d’Orléans et la réoccupation de cette ville. C’était, en réalité, une sorte d’avance pour de nouvelles négociations. Mais ces malheurs ne firent que surexciter le patriotisme. Un nouveau plan de sortie fut préparé dans la direction du Bourget.


Deuxième combat du Bourget (21 décembre). — Le 21 décembre, l’armée de Paris attaqua le Bourget.

Le combat fut acharné dans le village ; marins et soldats rivalisaient d’ardeur ; mais que faire devant des murs que l’artillerie ne parvenait pas à démolir ? En outre, un certain nombre de projectiles lancés par le fort d’Aubervilliers tombaient dans les rangs français. Il fallut battre en retraite.


Cette affaire coûta un millier d’hommes.


Cependant les rigueurs de l’hiver augmentaient chaque jour. Le froid atteignit 14° au-dessous de zéro. Plusieurs centaines d’hommes eurent les membres gelés ; les troupes durent être ramenées dans des cantonnements.


Bombardement. — C’est alors que commença le bombardement, jusqu’alors retardé par la difficulté du transport des lourds canons et de leurs munitions.

La longue résistance de Paris, les efforts continuellement répétés pour briser le blocus surprenaient les Allemands. Ils n’étaient pas à même d’entreprendre un siège en règle. Ils pensaient, d’ailleurs avec raison, que s’emparer de quelques forts et faire brèche dans l’enceinte ne les avancerait guère, et ils redoutaient de s’engager ensuite dans une guerre de rues. Attendre que la ville capitulât par la famine pouvait être encore long. Le bombardement fut résolu et l’Allemagne accueillit avec une joie sauvage la nouvelle que Paris allait être brûlé.


Le 27 décembre, les Allemands concentrèrent leur tir sur les forts de l’est et sur le plateau d’Avron, où la défense avait réuni 72 pièces d’artillerie. La position étant devenue intenable, elle fut désarmée et évacuée avec le plus grand ordre, dans la nuit du 28 au 29 décembre.


Des batteries de bombardement avaient été également construites sur la butte de Brimborion (au-dessus du pont de Sèvres), sur la terrasse de Meudon, sur les hauteurs de Clamart, de Châtillon, de Fontenay.

275 pièces ouvrirent le feu, le 5 janvier, contre les forts du sud ; puis, elles lancèrent leurs projectiles sur les quartiers de la rive gauche.

Les forts d’Issy, de Vanves, celui de Montrouge surtout, souffrirent beaucoup. Leurs murailles furent ruinées ; mais les marins, qui en formaient la garnison, montraient une admirable contenance ; chaque nuit, ils réparaient les brèches de la veille. Après un mois de bombardement, les forts étaient encore en état de résistance[11]. L’ennemi tirait aussi sur le front nord.

Les batteries jetaient, chaque jour, 200 à 300 obus sur la ville[12]. Paris supporta avec la plus grande fermeté et même avec une certaine insouciance ce bombardement, qui dura, presque sans interruption, pendant vingt-trois jours. Quelques familles s’installèrent dans les caves. Beaucoup d’autres ne changèrent rien à leurs habitudes. L’effet moral fut nul.

Mais les vivres s’épuisaient. La ration était réduite, pour les habitants, à 300 grammes de pain de siège[13] et à 30 grammes de viande de cheval.


Cependant, une partie de la garde nationale demandait à faire une sortie. Beaucoup d’hommes de cœur n’avaient pas vu le feu, ni combattu l’ennemi en face ; il leur semblait qu’il restait quelque chose à faire pour remplir tout leur devoir vis-à-vis de la Patrie. Ils n’avaient guère l’espoir de vaincre, mais, avant de succomber, ils voulaient livrer un dernier combat. C’est ainsi que le soldat blessé sur le champ de bataille tire sa dernière balle avant de mourir.

Le général Trochu se résigna à donner les ordres pour une grande sortie dans la direction de Buzenval, sans d’ailleurs se faire aucune illusion sur le résultat possible.


Bataille de Montretout-Buzenval (19 janvier). — Dans la nuit du 18 au 19 janvier, 90 000 hommes se massèrent au pied du Mont-Valérien, en trois colonnes, chacune comprenant des gardes nationaux, des mobiles et des troupes de ligne ; le général Vinoy commandait l’aile gauche ; le général de Bellemare, le centre ; le général Ducrot, la droite.

Le 19, au matin, le général Vinoy enleva la redoute de Montretout et le parc de Buzenval, mais le mouvement de l’aile droite se fit tardivement ; l’artillerie, retardée par l’encombrement des routes, puis embourbée dans les terrains détrempés, ne fut pas à même d’appuyer les attaques de l’infanterie. Les murs du parc, que le canon ne pouvait battre, étaient des obstacles infranchissables.

Il y eut, en certains points, une extrême confusion ; quelques bataillons lâchèrent pied. Des gardes nationaux, se troublant sous la pluie de balles qu’ils recevaient pour la première fois, tiraient au hasard, sur amis et ennemis.

Bien que les retours offensifs des Allemands eussent été arrêtés et que la redoute de Montretout restât en notre pouvoir, la retraite dut être ordonnée à la nuit tombante. Dans l’obscurité, elle dégénéra en débandade.


Les pertes dépassèrent 4 000 hommes dont le tiers tués. Les Allemands n’avaient eu qu’environ 600 hommes hors de combat.


Ce fut le dernier acte de la résistance, le dernier effort possible pour l’honneur du drapeau.




Proclamation de l’Empire allemand.Le 18 janvier, la veille de ce suprême effort tenté par l’Armée de Paris, le roi de Prusse avait été proclamé Empereur allemand, dans les salles du palais de Versailles, en présence de tous les princes de l’Allemagne. C’est sur la terre de France, dans l’ancien palais de ses rois, qu’était consacrée la suprématie prussienne sur l’Allemagne entière. On a dit, avec raison, qu’il y avait du sang français dans le ciment qui a servi aux fondations de l’Empire allemand.




Le 22 janvier, une nouvelle insurrection éclata dans Paris.

Le général Trochu, que l’opinion publique rendait injustement responsable de l’insuccès de la sortie du 19, remit le commandement au général Vinoy ; il conserva, d’ailleurs, la présidence du gouvernement. Par ses mesures énergiques, le nouveau commandant en chef comprima rapidement l’émeute qui essaya, comme le 31 octobre, de se rendre maîtresse de l’Hôtel de Ville.


Le 23 janvier, les négociations d’armistice commencèrent. Paris n’avait plus que pour dix jours de pain et moins encore de viande de cheval.


Capitulation de Paris. — Le 28 janvier, la capitulation fut signée en même temps qu’un armistice de vingt et un jours, qui devait expirer le 19 février et qui fut ensuite prolongé.

L’armistice était étendu à la province ; mais le négociateur français[14], bien qu’il n’ignorât pas la situation critique des troupes du général Bourbaki, consentit, comme on l’a vu précédemment, à une clause qui en exceptait Belfort et les départements du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône et de la Côte-d’Or ; il négligea de prévenir de cette restriction la Délégation du Gouvernement en province et M. de Bismarck ne rectifia pas cette omission. Les Allemands eurent ainsi la possibilité d’achever la ruine de l’Armée de l’Est.

Il fut convenu que les troupes de la garnison de Paris seraient désarmées, à l’exception d’une division de 12 000 hommes et de 3 500 gendarmes pour le maintien de l’ordre. La garde nationale conserva ses armes. Les partis révolutionnaires eurent ainsi la possibilité de préparer la guerre civile de la Commune.


Le 29 janvier, les Allemands prirent possession des forts extérieurs. 600 canons de campagne, environ 1 400 pièces de place et 177 000 fusils leur furent livrés. Paris dut payer une contribution de guerre de 200 millions.


Les pertes du siège ont été évaluées à 4 000 tués, 15 000 blessés, 5 000 disparus. Les Allemands eurent environ 12 000 hommes hors de combat.

Ces pertes sont relativement faibles, si on les compare à celles d’une seule des journées de bataille du 16 et du 18 août.


La population parisienne avait supporté avec constance les épreuves de ce long blocus et encouragé le gouvernement à la résistance. Les agitateurs provoquèrent, il est vrai, à plusieurs reprises, des séditions criminelles ; cependant il est juste de rappeler que, si leur but était de s’emparer du pouvoir, ils n’avaient pas l’intention de hâter la reddition.

Bien des esprits étaient surchauffés et malades ; de plus, dans une si grande agglomération d’hommes, il se trouvait des gens de désordre et des bandits prêts à tous les crimes ; ce furent eux qui formèrent plus tard les bataillons de fédérés de l’armée de la Commune, entraînant un trop grand nombre d’égarés qui ne savaient ce qu’ils faisaient.

Lorsque de grands malheurs accablent ainsi un pays on est trop souvent disposé à ne voir que les faiblesses des uns et les fautes des autres. Il faut honorer cependant ceux qui, sans regarder en arrière, se dévouèrent généreusement et payèrent de leur sang la dette à la Patrie. Le nombre en fut grand.

Dans les combats autour de Paris comme dans ceux livrés par les armées de province, les hommes de cœur n’ont jamais manqué au premier rang.




À peine la paix était-elle signée que, le 18 mars, les partis révolutionnaires proclamaient la Commune à Paris et arboraient le drapeau rouge.

Le gouvernement se retira à Versailles avec toutes les troupes et fit même abandonner les forts, à l’exception du Mont-Valérien.

Les généraux Clément Thomas et Lecomte furent massacrés. Des otages pris dans la haute société, l’archevêque de Paris, plusieurs prêtres, de malheureux sergents de ville et des gendarmes, qui n’avaient pas quitté Paris, furent fusillés.

Lorsque la résistance leur devint impossible, les fédérés allumèrent des incendies, brûlèrent le palais des Tuileries, l’Hôtel de Ville, le Ministère des finances, etc.

Le 25 mai seulement, après de sanglants combats, l’armée reprit possession de Paris ; la répression fut rigoureuse, mais pouvait-elle être trop sévère pour punir les crimes commis et dont la seule excuse doit être cherchée dans une sorte de folie et d’exaspération, causées par les événements de la guerre et la longue durée du siège ?



  1. Anciens forts :

    Rive gauche de la Seine : Mont-Valérien, Issy, Vanves, Montrouge, Bicêtre, Ivry.

    Rive droite : Charenton, Nogent, Rosny, Noisy, Romainville, Aubervilliers, Fort de l’Est et Double Couronne de Saint-Denis.

    Le nombre des ouvrages de défense a été considérablement augmenté depuis 1870 ; on estime qu’il faudrait plus d’un million d’hommes pour en faire l’investissement.

    Forts nouveaux :

    Rive gauche : Ouvrages de Marly, Saint-Cyr et batteries annexes, Haut-Buc, Villeras, Châtillon, Palaiseau, les Hautes-Bruyères.

    Rive droite : Villeneuve-St-Georges, Sucy, Champigny, Villiers, Vaujours, Stains, Écouen, Montmorency, Cormeilles.

  2. Le général Ducrot, fait prisonnier par la capitulation de Sedan, n’avait pas engagé sa parole. Ayant réussi à tromper la surveillance des Allemands, il était revenu à Paris.
  3. Dans les grandes villes comme Paris, il y a toujours beaucoup de gens, les uns malheureux, les autres criminels, habitués à vivre en dehors de tout devoir. Ce sont les irréguliers de la vie ; ils se plaisent au désordre. Les opinions politiques leur sont assez indifférentes ; mais, par tempérament, ils sont toujours en guerre permanente contre la société, et toujours prêts à suivre les agitateurs lorsqu’il y a quelque mal à faire. Le courage ne leur manque souvent pas, mais ils sont peu disposés à en faire preuve pour la même cause que les honnêtes gens. Ces hommes devaient être dangereux et il avait été imprudent de leur donner des armes, sans pouvoir les soumettre à une discipline suffisante. Pendant le siège, ils constituèrent une sorte d’armée insurrectionnelle qu’il fallait surveiller, et grâce à laquelle les partis révolutionnaires tentèrent plusieurs coups de main pour s’emparer du pouvoir.

    Après la capitulation, ils restèrent en armes ; ce furent eux qui formèrent l’armée de la Commune et qui donnèrent l’odieux spectacle de la guerre civile, en présence des Allemands encore campés devant Paris.

    Les divers bataillons de la garde nationale présentaient donc de grandes différences. Les uns étaient désignés sous le nom de bataillons du parti de l’ordre ; les autres, sous celui de bataillons révolutionnaires. Les bataillons de guerre même étaient fort dissemblables, et les officiers, nommés à l’élection, représentaient l’esprit de leurs troupes, tantôt bon, tantôt très fâcheux. Il fallut, plusieurs fois, destituer des officiers qui manquaient de courage au feu et d’autres qui donnaient le spectacle attristant de la plus honteuse ivresse.

  4. Tels que les Éclaireurs à cheval de la Seine du commandant Franchetti, les Francs-tireurs de la Presse, et quelques autres.
  5. Le roi Guillaume et le grand quartier général de l’armée allemande s’installèrent à Versailles, le 7 octobre. À la fin d’octobre, l’armée d’investissement comptait environ 200 000 hommes et 700 canons.
  6. Tel était le désordre causé par les agitations politiques que, le 19 septembre, le jour même du combat de Châtillon, les mobiles furent appelés à nommer leurs officiers à l’élection. Il faut reconnaître d’ailleurs que la plupart des anciens officiers furent élus. Cependant, le 20 septembre, au matin, un bataillon de mobiles de la Seine, après avoir destitué ses officiers, abandonna le Mont-Valérien qu’il était chargé de garder et le fort resta quelques heures sans défenseurs.
  7. Ce régiment se réhabilita dans la suite.
  8. 65 ballons partirent de Paris pendant le siège.

    Les ballons réussirent, pour la plupart, à échapper à l’ennemi. Trois seulement furent pris par les Allemands. Plusieurs allèrent atterrir fort loin, à l’étranger ; l’un d’eux tomba en Norvège ; un se perdit en mer.

    Les ballons emportaient des pigeons voyageurs qui rapportaient des nouvelles. Les dépêches étaient réduites par la photographie, de manière qu’une page tenait dans quelques millimètres. Un seul pigeon pouvait ainsi porter des correspondances nombreuses, qui étaient ensuite amplifiées pour être lues.

  9. Clément Thomas avait été député et colonel de la garde nationale en 1848. C’était un vieux républicain, honnête et énergique. Il fut assassiné pendant la Commune.
  10. Il a été dit plus haut que ce ballon alla tomber en Norvège et que la dépêche arriva à Tours très tardivement.
  11. Au moment de la capitulation, lorsque les Allemands entrèrent dans les ouvrages, ils ne purent s’empêcher d’admirer l’énergie de cette défense et lui rendirent un hommage mérité.
  12. Du 5 au 26 janvier 3 700 projectiles tombèrent dans Paris. Environ 400 personnes furent atteintes. C’était, en définitive, fort peu sur une population de plus de deux millions d’âmes. Les dégâts furent relativement peu importants.
  13. Le pain de siège était fabriqué avec du blé mélangé de riz et d’autres grains. ⁁Note manuscrite: (et pas mal de paille, surtout : c’était une horrible saleté). Cependant on ne manqua jamais de vin, la récolte de l’année ayant été abondante et excellente.
  14. C’était M. Jules Favre, membre du Gouvernement.