La guerre de 1870, simple récit/chap11

Librairie Ch. Delagrave (p. 125-132).


XI

FIN DE LA GUERRE


Les conditions de paix imposées par les Allemands étaient si dures pour la fierté nationale que beaucoup de patriotes eussent été disposés à continuer la lutte. Gambetta et le général Chanzy étaient du nombre.

Ils n’avaient certainement aucun espoir de vaincre l’ennemi en rase campagne, puisque, depuis longtemps, il n’existait plus de troupes régulières ; mais, plutôt que d’abandonner l’Alsace et la Lorraine, ils voulaient prolonger la guerre, imiter l’exemple de l’Espagne qui, après une lutte de cinq années, 1808 à 1813, contre les armées françaises, avait conservé son indépendance[1] et sauvegardé l’intégrité de son territoire.

Il fallait, disait le général Chanzy, refuser les grandes batailles, abandonner le système de la guerre de masses, si malheureusement suivi jusqu’alors, résister derrière tous les obstacles, harceler l’ennemi, couper ses communications, empêcher son ravitaillement, l’user en détail, et faire le vide devant lui.


Un heureux coup de main effectué par une troupe de partisans venait de montrer ce qu’il eût été possible d’espérer.


Destruction du pont de Fontenoy-sur-Moselle (22 janvier). — Au commencement de décembre, un camp d’instruction avait été créé près de Lamarche, à cinquante kilomètres au nord de Langres. Autour d’un noyau de troupes régulières, dont les éléments provenaient de soldats évadés des prisons de l’ennemi, se groupèrent des forestiers, des volontaires alsaciens et lorrains.

Ces partisans eurent avec l’ennemi plusieurs escarmouches heureuses, qui éprouvèrent leur solidité. Des officiers énergiques formèrent alors le projet de faire sauter un pont de chemin de fer sur la ligne de Strasbourg à Paris, principale ligne de ravitaillement du corps de siège de Paris, et le capitaine Coumès reconnut lui-même soigneusement l’itinéraire à suivre pour traverser les lignes des postes allemands.

250 hommes déterminés, sous les ordres du commandant Bernard, partirent le 18 janvier au soir, par un froid de 21° au-dessous de zéro. Ils marchaient la nuit et se reposaient le jour, dans des fermes isolées.

Dans la nuit du 21 au 22 janvier, ils traversèrent la Moselle, près du village de Fontenoy, entre Toul et Nancy. Ils surprirent le poste de la gare, et découvrirent la chambre de mine qui était ménagée dans une pile du pont.

À sept heures du matin, le pont sautait et la petite troupe s’éloignait avec sept prisonniers sans avoir perdu un seul homme.


Ce coup de main exaspéra les Allemands ; ils brûlèrent le village de Fontenoy, dont les malheureux habitants n’avaient eu connaissance de rien ; ils imposèrent à la Lorraine une contribution de dix millions de francs. Ils prirent des otages et les forcèrent de monter sur les locomotives, pour empêcher les partisans de faire dérailler les trains. Ils réquisitionnèrent des ouvriers dans les chantiers de Nancy, menaçant de fusiller les surveillants s’il ne s’en présentait pas, etc. Leurs violences dépassèrent toute mesure.




CONCLUSION DE LA PAIX


À ceux qui voulaient continuer la guerre, les gens prudents répondirent que le pays serait dévasté et la France ruinée, qu’il n’y avait aucune chance de lasser les Allemands, ni aucune espérance d’une intervention des puissances étrangères.

Une Assemblée nationale se réunit à Bordeaux. M. Thiers, nommé chef du pouvoir exécutif de la République française, fut chargé des négociations.


Les Allemands exigeaient la cession de l’Alsace et de la Lorraine, et une indemnité de guerre de cinq milliards.


Le négociateur français insista pour conserver Belfort, qui résistait encore. Les Allemands finirent par y consentir ; mais ils exigèrent, en retour, qu’une partie de l’armée allemande entrât dans Paris.


Les préliminaires de paix furent signés le 26 février, et acceptés le 1er mars par l’Assemblée nationale à la suite d’un vote silencieux.


Le 1er mars, un corps de 30 000 Allemands entra dans Paris. Il suivit l’avenue des Champs-Elysées jusqu’aux Tuileries et y resta quarante-huit heures.

Cette entrée n’eut rien de triomphal. Elle se fit dans le vide, les rues adjacentes étant soigneusement barrées par des postes de garde nationale, afin d’éviter tout contact entre la population et l’ennemi. D’ailleurs, les Allemands appréhendaient beaucoup la surexcitation du peuple parisien, d’où pouvaient résulter les conflits les plus graves.

Traité de Francfort. — Le traité définitif fut signé à Francfort, le 10 mai.

La France céda à l’Empire allemand : les départements du Haut-Rhin, chef-lieu Colmar ; du Bas-Rhin, chef-lieu Strasbourg ; et une partie des départements de la Moselle, avec Metz, de la Meurthe et des Vosges. Ces territoires forment, depuis cette époque, un Pays d’Empire (Reichsland) qui n’est pas incorporé à la Prusse, mais qui est administré directement par un lieutenant de l’Empereur (Statthalter).

Les parties des départements de la Meurthe et de la Moselle laissées à la France, ont été réunies pour former le département nouveau de Meurthe-et-Moselle, dont le chef-lieu est Nancy.




Au début de la guerre, l’Allemagne mobilisa 1 180 000 hommes. Au mois de février 1871, elle avait 1 350 000 hommes sous les armes ; — plus de 1 100 000 hommes passèrent la frontière française.

La France mit sur pied plus de 1 900 000 hommes. Au moment de la signature des préliminaires de paix, 380 000 hommes étaient prisonniers en Allemagne et 90 000 internés en Suisse.


On compte approximativement que la France a perdu près de 139 000 hommes morts et qu’elle a eu 137 000 blessés.

Les Allemands accusent seulement 34 300 tués, 12 300 morts de maladie, et 128 000 blessés. Ces chiffres paraissent au-dessous de la réalité.




Cette histoire, dont chaque page rappelle une douleur, contient de graves enseignements.


Pendant de longues années, insouciante du danger, la France s’était, en quelque sorte, engourdie dans le bien-être. Ni moralement, ni matériellement, la nation n’était préparée à la guerre.

Le réveil fut terrible.


Un peuple ne doit jamais s’abandonner ; le premier devoir du citoyen est de se tenir prêt à défendre la Patrie : les jeunes hommes en prenant les armes et en se portant au-devant de l’ennemi, les anciens en gardant les lignes d’étapes et les places fortes ; ceux qui ne sont pas aptes au service armé doivent se rendre utiles dans les hôpitaux et dans les services de l’administration et des ravitaillements.

Le service militaire est obligatoire pour tout le monde. Cette obligation ne peut paraître dure qu’à ceux dont le cœur n’est pas à la bonne place.

Tous les hommes, depuis vingt et un ans jusqu’à quarante-cinq ans, sont classés, suivant leur âge, dans l’armée active, dans la réserve, dans l’armée territoriale, et dans la réserve de l’armée territoriale. Les moins valides sont employés dans les services auxiliaires. Les femmes même apportent leur concours à la défense nationale en s’associant pour assurer des secours aux blessés.

Mais il est nécessaire aussi que tout soit bien organisé à l’avance. La guerre peut éclater comme un coup de foudre, et telle est aujourd’hui l’activité de l’ennemi dont nous serions menacés, que, moins d’une semaine après la déclaration de guerre, 800 000 hommes seraient sur nos frontières.

Nous devons en avoir autant à leur opposer.

Il faut que le soldat soit instruit, entraîné à la fatigue, et animé du sentiment du devoir ; qu’il soit attentif aux ordres de ses chefs, et marche toujours en avant.

Sans instruction militaire, une troupe ne peut acquérir la cohésion, c’est-à-dire le contact des coudes, dont manquaient les armées de la Défense nationale.

Les rassemblements d’hommes qui furent formés en bataillons et en régiments, n’étaient pas des soldats. Ils en donnaient l’illusion, et le Gouvernement de la Défense nationale, contrairement à l’avis des vieux généraux, espérait des victoires qu’ils n’étaient pas à même de remporter.


Quoi qu’il en soit, ce sont eux qui ont relevé le drapeau tombé de nos mains à Metz et à Sedan et qui, combattant sans espoir de vaincre, ont sauvé l’honneur de la France. C’est grâce à eux que la France est toujours crainte et respectée.

« Aucune nation en Europe, a écrit un général allemand, n’aurait été capable de faire ce que la France a fait. »

Aux armées aguerries de l’Allemagne, nous n’avions à opposer que des soldats improvisés ; ils ont cependant inspiré à l’ennemi l’étonnement, le respect, et parfois l’admiration.

S’il a fallu quatre mois de rudes combats pour réduire la France, alors qu’il n’y avait plus ni armée, ni matériel de guerre, ni gouvernement régulier, quels seraient les efforts à faire par l’ennemi, aujourd’hui que la mobilisation de tous les hommes en état de porter les armes est préparée dans les plus petits détails ?

Puis, nous aurions le souvenir des défaites à venger.

Le temps des capitulations est passé ; chacun serait prêt à une guerre sans merci, car l’existence même de la France serait en jeu.

La guerre de 1870, laissant la France vaincue et démembrée, n’avait pas cependant brisé son énergie.

Les Allemands lui imposèrent une contribution de guerre de cinq milliards de francs[2], somme énorme à laquelle s’ajoutèrent encore 567 millions, représentant les intérêts, les frais, etc.

Cette contribution devait être payée avant 1875 et le territoire des provinces de l’Est, occupé jusqu’à paiement complet.

Le paiement fut terminé en 1873, et le territoire libéré à cette époque.


On peut estimer également à cinq milliards les pertes de toute nature causées par la guerre, et au double ce qu’il fallut dépenser pour reconstruire les forteresses et reconstituer le matériel.

La France a trouvé ces ressources avec une facilité qui prouve sa richesse.

Elle a réparé ses désastres avec une rapidité qui a, d’une part, inquiété ses ennemis, et qui, d’autre part, lui a ramené des amis, car on n’aime ordinairement que les gens forts et dont l’amitié est utile.

Nous ne savons pas à quel moment la guerre peut recommencer et nous attendons l’avenir. Il faut, jeunes gens, toujours y penser, et conserver dans vos cœurs le souvenir des épreuves que vos pères ont eu à supporter.

Je ne vous parle ni de haine, ni de revanche. Ce sont des mots qui font beaucoup de bruit et qu’on entend souvent dans la bouche de ceux qui aiment mieux parler qu’agir.


Je vous dis seulement :

Que chacun connaisse son devoir et soit à même de le remplir !


Soyez fermes dans le danger ; aimez votre Patrie !


Dévouez-vous jusqu’à la mort au Drapeau qui en est le symbole !



  1. Voir l’Appendice.
  2. Cinq milliards de francs représentent un poids de 25 millions de kilogrammes en pièces d’argent ; plus de 1 600 000 kilogrammes en pièces d’or. En or, c’est le chargement de 200 wagons portant chacun 8 tonnes de 1 000 kilogrammes.

    Mais, en réalité, il ne fut payé que 512 millions de francs en numéraire ; le reste fut soldé en papiers de commerce, dont le paiement fut garanti par un emprunt que la France, grâce à son crédit, trouva d’ailleurs à négocier facilement et qui fut souscrit dans le monde entier.