La folie érotique/La perversion sexuelle/Les Pédérastes

Librairie J.-B. Baillière et Fils (p. 141-149).

III

les pédérastes


On sait que les peuples les plus éclairés de l’antiquité n’ont point considéré la pédérastie comme un vice.

À Sparte, la loi commandait aux vieillards de prendre pour amants des jeunes gens pour leur inculquer la vertu et leur inspirer le courage militaire. Dans tout le reste de la Grèce, la pédérastie, sans être formellement sanctionnée par la loi, était ouvertement pratiquée.

Nous avons l’habitude de considérer l’antiquité à travers un prisme qui nous la montre sous les plus brillantes couleurs et nous empêche d’apercevoir ses turpitudes. Mais il faut bien se rappeler que plusieurs de ces figures héroïques, pour lesquelles nous avons conçu la plus juste admiration, étaient souillées par ce vice, qui ne diminuait en rien l’estime dont les entouraient leurs contemporains.

Epaminondas, l’homme le plus vertueux de l’antiquité, était l’amant de ses propres soldats, et lorsqu’il tomba glorieusement à la bataille de Mantinée, deux jeunes guerriers, ne voulant pas lui survivre, se tuèrent sur son cadavre.

Le grand Alexandre, suivant l’expression d’un de ses historiens, était φιλόπαις έχμανῶς, et son aversion pour les femmes était tellement prononcée qu’il fut difficile de lui faire prendre les soins nécessaires pour perpétuer sa dynastie.

Mais ce sont là les effets du vice, et nous avons à nous occuper de la maladie.


La pédérastie est une passion qui touche de près à l’aliénation mentale.

Un exemple célèbre et presque historique de cette disposition morbide est celui du comte Caïus dont l’histoire nous a été rapportée par Casper.

Cet homme, qui appartenait à une des grandes familles de Prusse, avait largement usé des femmes jusqu’à l’âge de trente-deux ans. Vers cette époque, blasé sur ce genre de jouissances, il s’était adonné à la pédérastie et avait bientôt choisi le rôle passif. Il avait des amants pour lesquels il éprouvait tous les sentiments d’une maîtresse ardente et jalouse : il leur adressait des lettres brûlantes qui ont été lues au cours du procès, et leur faisait des scènes de jalousie, parce qu’il croyait avoir à se plaindre de leur fidélité.

Il avait fondé une société composée de sept pédérastes. Il donnait des soirées dans lesquelles des hommes se déguisaient en femmes et jouaient un rôle féminin.

Il fut enfin dénoncé et traduit en justice, et lorsqu’il parut devant les tribunaux, il déclara « qu’il ne croyait pas avoir violé les lois de son pays. »

Grâce aux puissantes influences dont disposait sa famille, il fut considéré comme aliéné. Il est certain qu’il devait avoir l’esprit malade.


Une société analogue à celle qu’avait fondée le comte Caïus, a existé à Paris, dans les dernières années du second Empire.

On y voyait figurer quelques-uns des plus beaux noms de France. On organisait des réunions où la moitié des invités se déguisaient en femmes ; et un personnage qui s’affublait du costume de l’archevêque de Paris, bénissait les mariages.

Un hasard singulier fit découvrir cette association. Elle se réunissait dans une petite maison écartée, dans un quartier excentrique de Paris. Le gouvernement de l’époque, qui redoutait perpétuellement un danger politique, crut y voir une conspiration. La maison fut cernée et les personnages qui s’y trouvaient furent arrêtés : c’est ainsi que le secret fut découvert.


Il est incontestable que chez beaucoup de sujets, comme le fait très justement observer Casper[1], la pédérastie se produit en vertu d’une prédisposition originelle chez des sujets qui ont dès le principe des tendances efféminées (viri molles), qui aiment la toilette, qui portent des bijoux ; qui se chargent les doigts de bagues et dont le langage a souvent une tournure singulière.

Un pédéraste appelé à déposer en cour d’assises à la suite d’une rixe, s’écriait en parlant d’un agresseur qui l’avait attaqué par derrière : « Ah ! le misérable ! il m’a frappé dans le bassin ! »

Souvent, chez ces individus, on trouve des signes non équivoques d’une maladie mentale. Leur arbre généalogique renferme les preuves d’une hérédité pathologique. Leurs accès d’érotisme reviennent périodiquement. Enfin certains d’entre eux sont atteints de mal comitial. C’est ce que Tarnowski[2] appelle la pédérastie épileptique.

C’est surtout aux sujets de cette espèce qu’on peut appliquer l’épithète de congénitaux. Ils ont apporté en naissant une prédisposition cérébrale qui devait, plus tard, les rendre tributaires d’un vice qui n’était chez eux que la manifestation d’une maladie.

Ce sont encore, dans une certaine mesure, des aliénés plutôt que des coupables.

La pédérastie en pareils cas est plutôt un symptôme de dégénérescence psychique qu’un état pathologique spécial.


Il existe aussi ce qu’on peut appeler la pédérastie acquise ; c’est un penchant contre nature, qui peut résulter d’habitudes vicieuses, telles que l’alcoolisme ou la masturbation, mais qui reconnaît souvent pour cause d’autres maladies, telles que la paralysie générale au début, la cystite et les maladies de la prostate chez les vieillards.

La pédérastie se montre souvent chez les hermaphrodites, c’est-à-dire chez des sujets dont les organes génitaux mal développés laissent planer un doute sur leur véritable sexe. Dans ces circonstances, on voit souvent des sujets, qui malgré les apparences appartiennent au sexe masculin, se prêter au rôle de la femme, et la réciproque est également vraie.

On comprend que l’organisation physique du sujet est responsable ici de la perversion de l’appétit sexuel.

Il faut bien déclarer, toutefois, que la très grande majorité des pédérastes ne sont nullement des aliénés, mais des hommes profondément vicieux et souvent des criminels ordinaires.

  1. Casper, Médecine légale. — Voyez aussi Amb. Tardieu, Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs. 7e édition, Paris, 1878.
  2. Tarnowski, Die Krankhaften Erscheinungen des Geschlechtsinns, eine forsichen psychatrische studien, Berlin, 1886, et Reuss, Aberrations du sens génésique chez l’homme (Ann. d’hyg., 1886, tome XVI, p. 125).