La flamme qui vacille/01/08

Éditions Édouard Garand (p. 10-11).

VIII

LETTRE DE JULIEN À SA MÈRE


« Ma chère maman,

« C’est à vous-même que j’adresse cette lettre, car je désire que vous la lisiez la première. Ne la montrez à mon père qu’après avoir bien compris tout ce qui se passe dans mon cœur.

« D’abord je dois vous rassurer au sujet de ma blessure, qui est en bonne voie de guérison. Dans cette véritable maison du Bon Dieu, où je suis en convalescence, je suis entouré de soins si maternels qu’ils me rendent un peu moins pénible la tristesse de ne pas vous avoir près de moi. Mais je veux tout de suite vous parler du but de cette lettre.

« Ma chère maman, dans son exil, votre fils a trouvé un ange gardien, et je dis cela sans exagération car elle est belle et bonne, comme seuls les anges peuvent l’être. Ne froncez pas les sourcils ; je vous assure que son âme, pure et limpide, laisse paraître toutes les vertus. Si vous pouviez seulement la voir et causer avec elle, vous seriez entièrement de mon avis, mais puisque cela, hélas ! est impossible, je dois me contenter de vous dire qui elle est et ce qu’elle est.

« Mademoiselle Cécile de Kerlegen n’a pas encore vingt ans. Elle est de vieille noblesse bretonne, ce qui vous fera mieux comprendre qu’elle est très croyante et très pieuse.

« Son enfance a été quelque peu solitaire, sa mère étant morte en lui donnant le jour et son père étant capitaine au long cours.

« Cependant, elle s’est fait une vie intérieure très belle, une âme très élevée, qu’a modelée un vieux prêtre savant qui lui servait de précepteur.

« Actuellement, il ne lui reste qu’une tante, très bonne et dévouée, mais je crois qu’elle consentirait à la quitter pour suivre son mari.

Voilà le grand mot lâché ! Oui, ma chère maman, je rêve de faire d’elle ma femme. Et vous êtes la première à connaître mon secret, car croyez bien que je n’ai rien laissé deviner de mon amour à celle qui l’inspire, avant d’avoir votre consentement. Mais je vous assure que cet amour est profond et que ce n’est pas sans avoir longuement réfléchi que je vous en parle.

« J’attendrai votre réponse et le consentement de mon père pour me déclarer, mais soyez persuadés tous deux qu’il y va du bonheur de ma vie.

« Je ne sais même pas si je serai agréé ; je me demande si cet ange terrestre peut m’aimer et surtout m’aimer assez pour renoncer aux partis plus brillants qu’elle trouvera sans peine et s’exiler de France, car, bien entendu, c’est près de vous, au Canada, que je ferai ma vie.

« Tout ce que je sais, c’est que je serais très malheureux si je devais renoncer à mon beau rêve.

« J’attends avec hâte votre réponse et, vous embrassant de tout mon cœur, je demeure votre fils aimant et respectueux. »

JULIEN MERVILLE.