Éditions Albert Lévesque (p. 9-11).

LETTRE-PRÉFACE


Lettre de Monsieur l’abbé Victorin Germain, Directeur du Placement des Enfants Abandonnés de la Crèche, à Maxine, concernant son roman social « La Blessure ».


Chère Madame,

Je viens de lire, tout d’un trait, la primeur de votre nouveau roman.

Un roman ? Un récit fictif ? Mais non, une histoire de tous les jours, un peu enjolivée, romancée, comme on dit, mais, encore une fois, une histoire renouvelée maintes fois chaque année.

Des nombreux enfants de la Crèche que nous avons placés depuis 1901, très peu n’ont pas donné satisfaction, et, sur ce petit nombre, quelques-uns doivent à la maladresse même de leurs éducateurs, bien plus qu’à une prétendue hérédité, le résultat déplorable de leur prise en adoption. Les autres, le très grand nombre, il y en a de trois mois, il y en a de trente années passé, font l’ordinaire ou l’extraordinaire consolation de leurs parents.

Élevés vertueusement, plusieurs nous sont connus qui offrent pour l’expiation et le salut de leurs parents, loin de les maudire, les épreuves morales que leur ont values et que leur valent encore parfois de la part de personnes grossières, l’humilité même de leur origine.

Cette origine, à part certains cas qui tiennent beaucoup du roman, reste difficilement secrète ; c’est la bonne éducation, c’est la respectabilité de vie, c’est la valeur morale, c’est l’esprit de devoir qui la fait oublier autrement mieux qu’un acte d’adoption.

N’allez pas croire, cependant, que je sous-estime les avantages de l’adoption légale, telle qu’elle se pratique maintenant dans notre province, et telle que la prône votre roman social. Vous n’ignorez pas, en effet, qu’après six mois ou plus d’essai, le couple qui aime le pupille de la Crèche, comme s’il était son propre enfant, peut désormais lui procurer tous les avantages et privilèges d’un héritier naturel ; munis de la permission de la Crèche et de l’acte de naissance, les parents ou leur procureur se présentent devant un juge de la Cour Supérieure, en chambre ; le juge constate l’origine de l’enfant, mais toute trace en reste là. Ce pupille, par décision judiciaire, est désormais, devant la loi, l’enfant tout court, le fils ou la fille de M. et Madame Un Tel.

Aussi, est-ce sagesse que de se prévaloir de cette procédure ; car advenant la mort de l’un ou l’autre des conjoints, l’adoption légale d’un enfant de sexe différent se trouve interdite à toute personne seule ; et ni le nom, ni les biens ne sont dévolus de droit à tel enfant privé de l’adoption légale ; et les complications surviennent de toutes sortes…

Votre livre, en intéressant l’imagination du lecteur, par son affabulation, ne manquera pas de le faire réfléchir, non seulement sur la thèse principale, mais sur tous les à-côtés d’un sujet aussi pathétique et qui fait tant appel à toute conscience où n’est pas entièrement éteint le sens des responsabilités.

Au nom des religieuses de la Crèche S.-Vincent-de-Paul, et au nom des enfants placés en adoption depuis 1901, je vous remercie bien vivement pour tant d’intelligente sympathie et un aussi précieux service intellectuel.

J’ajoute mes félicitations personnelles et l’hommage de mon profond respect en N.-S.

V. GERMAIN, Ptre.


Québec, le 10 juin, 1932.