Traduction par un livret français d’Alfred Ernst.
Éditions Schott (p. xxviii-xxxii).
NOTES.

(1) Hunding. Ce nom signifie « Qui est de la race des chiens », « Fils de chien ». Il s’oppose au nom que prend Siegmund, Wölfing, « Descendant de Wolfe » (Loup), c’est-à-dire « Fils de loup », « Louveteau ». Le nom de Hunding a été emprunté par Wagner à la Völsunga-Saga.

(2) (5) Wehwalt. Ce nom, imaginé par Wagner, signifie « Qui est possesseur de la douleur », « Qui exerce la douleur » (der das Weh’ besitzt, der Wehwaltender), c’est-à-dire celui à qui la douleur est attachée, qui apporte et répand la douleur, qui, par son action, éveille la douleur. M. H. S. Chamberlain rapproche ingénieusement Wehwalt, et Frohwalt son analogue, du nom forgé par Wolfram von Eschenbach dans Parzival, « Repanse-de-Joie» (ce qui conduirait à prendre pour la traduction de Wehwalt - toute philologie mise de côté — un nom tel que « Repanse-de-Douleur »). On pourrait traduire Wehwalt par « Porte-Douleur», à condition de donner au verbe « porter » le sens indiqué plus haut, ou par « Apporte-Douleur ». Cette signification de Wehwalt est clairement précisée par le récit même de Siegmund au premier acte, en particulier par ces vers :

Gehrt’ ich nach Wonne,
weckt’ ich nur Weh’. —

(3) Friedmund. En vieux haut allemand et en moyen haut allemand, mund = Hand, c’est-à-dire « la main », et, par extension, protection, aide, possession, puissance, maîtrise ; ce sens est demeuré dans Vormund et Mündel. M. Wolfgang Golther, docteur en philologie, professeur à l’Université de Rostock, — un maître en la matière — qui a bien voulu m’aider de ses conseils et de ses précieux éclaircissements dans l’interprétation exacte de ces noms wagnériens, traduit Friedmund par « Qui tient la paix » (der den Friedeu hölt). C’est évidemment là le sens de ce nom, et la conclusion du récit de Siegmund confirme cette manière de voir :

–––––––––––Nun weisst du,
–––––––––––fragende Frau,
––––––warum ich Friedmund nicht heisse !

(4) Frohwalt. La correspondance de Frohwalt avec Wehwalt rend son explication facile. Frohwalt signifie « Qui est possesseur de la joie » (der die Freude besitzt), qui exerce la joie, qui la porte et la répand autour de lui.

(6) Wälsung, fils de Wälse, descendant de Wälse.

(7) Siegmund. Ce nom, emprunté par Wagner aux cycles germaniques non moins qu’aux poèmes Scandinaves, est formé comme Friedmund, mais avec un autre radical. Siegmund, d’après le sens de mund indiqué plus haut, est « Celui qui tient la victoire », « le Victorieux » (der den Sieg hält, der Siegrcallender).

(8) Nothung. Nom donné par Siegmund à l’épée que Wotan lui réserve, épée forgée dans Nibelheim par les Nibelungen, dédaignée par les Géants lorsqu’ils réclament l’Or pour salaire du Walhall, et gardée par le maître des Dieux, qui en fait l’arme et la force des Héros qu’il suscite. Ce nom propre, analogue à quelques égards à d’autres noms de glaives légendaires (en France Durandal et Hauteclere, par exemple), a été inventé par Wagner en imitation de Balmung, l’épée de Siegfried dans le Nibelungen-Nöt. Nothung, nom dérivé de Noth, qui signifie détresse, péril, angoisse, besoin, circonstance difficile, misère, urgence, veut dire par conséquent « l’Epée de la Détresse», le glaive que l’excès de la détresse indique et fait conquérir, l’arme urgente, réclamée dans le péril, conquise par ce danger même et qui doit en délivrer. M. M. Catulle Mendès et Schuré ont ingénieusement traduit Nothung par « Urgence ». Victor Wilder avait donné « Détresse », traduction qui, par exception, est assez fidèle, mais qui exigeait l’adjonction d’une note d’attaque.

(9) Sieglinde. Observons d’abord que, dans la pensée de Wagner, ce nom de Sieglinde est avant tout l’appellation féminine correspondant au vocable masculin Siegmund. Je suis absolument d’accord avec M. H. S. Chamberlain lorsque celui-ci considère Siegmund et Sieglinde comme les deux formes masculine et féminine d’un seul et même nom, et lorsqu’il prend pour exemple, en français, Victor et Victorine. Les noms affirment ainsi, à chaque instant, l’origine commune des deux jumeaux, et l’entreprise de Wotan en eux manifestée. Au point de vue du sens étymologique, Sieglinde — nom trouvé par Wagner aux mêmes sources que Siegmund — s’explique par le mot Sieg (victoire), et par le vieux haut allemand linda, signifiant le bouclier en bois [de tilleul], der Lindenschild (der Schild aus Lindenkolz). Cette interprétation est préconisée par M. W. Golther. Siegmunde signifie donc « la Victorieuse au bouclier », « la Femme au bouclier de victoire » (die Frau mit dem Siegesschilde). Cependant il n’est pas impossible que Wagner, voulant exprimer avant tout le « féminin » de Siegmund, ait pensé au sens de l’adjectif lind, qui, en allemand moderne, évoque un sens général de douceur.

(10) Brünnhilde. Ce nom, commun au Nibelungenlied, à plusieurs autres poèmes germaniques et aux légendes norraines, est formé, étymologiquement, de deux mots : 1° Brünne = Panzer (cuirasse), en vieux haut allemand brunnia, en moyen haut allemand brüne, brünne ; 2° hilt (en vieux haut allemand) = Kampf (combat, bataille). Brünnhilde signifie donc « la Combattante cuirassée », « la Guerrière à la cuirasse » (die Kampf erin in der Brünne). On ne peut affirmer néanmoins que Wagner n’ait pas choisi, de son plein gré, une signification légèrement différente, où le mot hilde serait considéré comme une terminaison féminine générale, qui se retrouve en beaucoup d’autres noms, et qui évoque, par analogie avec Huld, holde, etc — bien que son origine soit véritablement hilt — une idée de grâce et de beauté. Ce qui porterait à le croire, c’est l’explication que Wotan semble donner de ce nom, lorsqu’il interpelle sa fille (acte III, scène II) :

––––––––––Hörst du’s, Brünnhilde ?
––––––––––du, der ich Brünne,
––––––––––Helm und Wehr,
––––––––––Wonne und Huld,
––––––Namen und Leben verlieh ?

Brünne, Helm und Wehr se rapporte â la première partie du nom ; Wonne und Huld doit vraisemblablement en interpréter la deuxième partie ; Namen und Leben correspond au nom tout entier et à l’être même qui le porte.

(11) Gerhilde. Nom formé des deux mots gêr = Speer (lance, épieu, arme de hast ; ce mot est constamment employé dans le Nibelungenlied), et hilt = Kampf (combat, bataille). Gerhilde est donc « la Porte-Lance », la Combattante à la lance » (die mit dem Speer Kâmpfende).

Ortlinde. Ce nom, dont M. W. Golther me paraît avoir définitivement fixé le sens, est formé de deux termes de vieux haut allemand, ort = Spitze (pointe de lance ou de glaive), et hinda = Schild, Lindenschild, Schild aus Lindenholz (bouclier de bois). Ortlinde est « la Combattante avec la pointe [de la lance] et le bouclier » (dte mit Spitze und Schild Kämpfende). — On trouvera aussi une interprétation très analogue de ces divers noms des Walküren dans le beau livre de M. E. Meinck sur « les sources scientifiques » de l’Anneau du Nibelung.

Waltraute. Le vieux haut allemand Wal signifie die Kampftodten (les guerriers morts en combattant), et der Walplatz (le champ de mort, le champ de bataille). Ce dernier mot, comme son équivalent Walstatt, est demeuré dans la langue courante. Wagner, qui utilise également Wal dans Walhall, Walvater, Walküre, a joué plus d’une fois sur ce mot Wal, de même sonorité que Wahl (choix), comme certains passages du deuxième et du troisième acte en témoignent (Zu Walvater, der dich gewählt, etc.) ; pour rendre ces intentions de l’auteur, il m’a fallu traduire quelquefois Wal par « choix » comme si Wagner eût écrit Wahl, en appliquant ce choix aux héros morts, aux guerriers tombés dans la lutte, S’autorisant de l’adjectif traute, on pourrait voir en Waltraute celle qui est habituée au champ de bataille, à la mort des guerriers. Mais le sens exact du nom, au point de vue étymologique, n’est pas tout à fait celui-là. La deuxième partie de cette appellation vient de drûta = die starke (la forte, la puissante) ; du reste, M. Golther rappelle que l’Edda fait mention d’une Walkyrie nommé Thrud ; Waltraute correspondrait donc à la forme primitive waledrûta, et signifierait « la Forte sur le champ de bataille », « la Puissante sur la mort des héros» (die auf der Wal starke).

Schwertleite. Ce mot est un terme de chevalerie, en moyen haut allemand swertleite = Schuertführung (conduite du glaive , action de porter et de diriger l’épée). L’expression das swert leiten (das Schwert führen) exprimait l’action d’armer un chevalier. Wagner en a fait un nom propre, signifiant « Celle qui tient et dirige l’épée ». Dans son beau livre, le Drame musical, M. E. Schuré avait déjà donné Conduirépée comme nom propre équivalent.

Helmwige. Helm désigne le casque (d’où notre mot « heaume ») ; quant à wig, ce vieux mot signifie « combat » (wîg = Kampf). Mais Wagner a-t-il pensé au verbe wiegen (bercer, balancer) ? En tout cas, se tenant au point de vue étymologique, il faut traduire Helmwige par « Celle qui combat avec le casque » (die im Helm Kämpfende).

Siegrune. En vieux haut allemand, rûna désigne le charme des runes, la puissance des runes (der Runeuzauber) ; quant au mot Sieg, il se traduit immédiatement par «  victoire». Siegrune, par conséquent, est « Celle qui sait les runes de victoire, les paroles qui annoncent la victoire ou le charme qui la fixe » (die Siegraunende).

Grimgerde. Le sens ordinaire de Grim (Grimm) est « colère », « fureur ». Gerd est une terminaison commune à beaucoup de noms féminins, dans les vieux langages du Nord ; plus tard, en Allemagne, elle a pris la forme gard (Hilde - gard), qui est demeurée dans Hildegarde, Hermengarde, etc. Si on interprète donc Gerd comme une désignation générale, un nom de femme, Grimgerde signifiera « la Gerd irritée », « la Gerd furieuse ». D’autre part, M. Golther et M. Chamberlain rappellent que grîma , dans l’ancienne langue germanique, signifie « casque », et M. Golther montre que l’on peut identifier ainsi le nom de Grimhild, par exemple, avec cet autre nom, Hehlwige. D’où une deuxième interprétation de Grimgerde, qui rendrait ce nom très voisin de Helmwige, de même qu’Ortlinde, au point de vue de la signification, est très proche de Gerhilde.

Rossweisse. Nom créé par Wagner, qui a librement interprété le nom propre bas allemand Roswit, faisant correspondre ros à Ross (cheval de guerre), et wît (en moyen haut allemand wîz) à weiss (blanc) ; en réalité, si l’on remonte aux origines, c’est l’ancien nom Hrotswitha ou Rotswitha, qui, d’après M. Golther, apparaît comme prototype de Rossweisse ; ce nom se compose de hrod = Ruhm (gloire, renommée), et de swîth = stark (fort, forte) ; d’où sa signification primitive. Wagner a voulu dire, par Rossweisse, « Celle qui chevauche le coursier blanc ».

(12) Siegfried. Ce nom, emprunté par Wagner aux nombreux poèmes et récits de la Siegfriedssage et au Nibelungenlied (Siegfried correspond au Sigurd de l’Edda), signifie étymologiquement « la Paix par la Victoire » ou « la Paix dans la Victoire », de Sieg (victoire), et de Friede (paix). Mais Friede, comme l’observe M. G. S. Chamberlain, signifie aussi « sûreté », « sécurité » (d’où, aujourd’hui encore, le verbe einfrieden). Ce deuxième sens conviendrait mieux au nom que Wagner donne à son héros, et Siegfried signifierait alors « la Sécurité dans la victoire », car le fils de Siegmund est assuré de vaincre. Mais Wagner, selon moi, a choisi délibérément une autre signification, qui exprime mieux encore le caractère de Siegfried, car Brünnhilde s’écrie, au troisième acte :

––––––Den Namen nehm’ er von mir :
––––––« Siegfried » — erfreu’ sich des Sieg’s !

Il confond volontairement, par l’analogie des sonorités, Friede et Freude, et fait de Siegfried « Celui qui se réjouit de la victoire », « le Joyeux dans la victoire ».