La Ville charnelle/les mosquées désirantes

E. Sansot & Cie (p. 7-9).

II

LES MOSQUÉES DÉSIRANTES

Plus haut que les murailles et surplombant les plaines,
deux mosquées ivoirines guipurées de créneaux,
mi-cachées sous l’argent poudreux des oliviers,
bombent en plein azur leurs coupoles rosées.

L’Aurore éclate ! et voilà que là-haut
des guetteurs ont soudain arboré des drapeaux…
Ô drapeaux enthousiastes d’amour ou de folie,

rougissants de pudeur ou flambants d’incendie ?…
Je ne sais !… Mais de loin ou de près, si l’on veut,
les nègres tatoués qui poussent vers la ville
leurs grands buffles barbus, par des sentiers de boue,
se trompent en prenant ces drapeaux excités
pour les boutons friands
de deux beaux seins gonflés de prurits amoureux…
Et les créneaux en flammes étincellent à leurs yeux
comme une frêle broderie de galabieh
qui voile les rondeurs d’une gorge de femme.

En montant vers la ville, je vis la porte rouge
s’ouvrir avec l’ardeur d’une bouche amoureuse
et des jeux de lumière y faire scintiller
trente-deux sentinelles toutes casquées de nacre,
rangées en demi-cercle, plus blanches que des dents…
Presqu’aussitôt sur le chemin de ronde
qui passe tout le long des terrasses fleuries,
je vis monter des chars remplis de gerbes blondes,

que je pris tout d’abord pour des biscuits dorés
s’effritant lentement sur les vantaux pourprés
et les casques pointus
de ces mordantes sentinelles.