La Ville charnelle/le soleil mulâtre

E. Sansot & Cie (p. 11-15).

III

LE SOLEIL MULÂTRE

Mais tout à coup le grand Soleil mulâtre
me découvrit en contre-bas… Il cria par trois fois
des ordres virulents en me sommant de m’éloigner.
Puis enjambant les hanches puissantes de la Ville
il s’élança courant vers moi par bonds géants,
en agitant contre la voûte embrasée du zénith
ses longs bras cliquetants de lourds anneaux de cuivre
et de verroteries multicolores.

Et le Soleil criait : « Tu n’entreras jamais
dans la ville sacrée aux terrasses heureuses,

que l’aurore et la mer ont parfumées de miel !
Maudit chien enragé qu’a mordu le serpent
pustuleux et fétide de l’orgueil millénaire,
j’ai broyé de mes dents tes chevilles poudreuses,
et, depuis, le poison de mon ambition
circule dans tes veines et obscurcit tes yeux !…
Tu te roules à jamais dans mes rayons sonores,
plus pesants que des chaînes, car tu n’es qu’un esclave
condamné à m’offrir ton cœur mûr,
chaque jour, comme un fruit.
Je le happe en mordant tes doigts, dont je savoure
le lent et méthodique faisandage ! »

Et le Soleil gonflait ses joues éblouissantes
et sa vaste poitrine aux longs poils phosphoreux
embreloquée de joyaux bleus qui tintinnabulaient.
Mais je fuyais courbant mon dos comme un esclave,
parmi son souffle énorme de four et de levain.


Le Soleil me cria des injures atroces
en me crachant sa lave
et sa terreur en plein visage ; il me lança
des pierres fumantes et corrosives…
Le Soleil disloqua les muscles de sa bouche
liquéfiant sa voix de clair métal en fusion
pour me vomir sa haine et sa fureur de plomb.

Ses bras chauffés à blanc, ravageaient les campagnes
tandis que ses cris durs broyaient tous les échos,
mettant en pièces les miroirs explosifs de la mer…
Et le Soleil creva les gros yeux des marais,
leurs grands yeux recouverts d’une chassie verdâtre.
Ah ! l’effroi de courir en allongeant mon cou
comme une autruche,
sous des coups de chaleur fracassante,
parmi les hurlements crépitants du Soleil !…
Et je grimpais ainsi sur la rondeur brûlante

des collines moulées tels des genoux de femme,
parmi des flots de linge éblouissant de chaux.

Mais le Soleil fougueux mordait déjà mes trousses
et je sentais sa rage incandescente sur ma tête,
quand je touchai l’orée des jardins sauvages
et leur ramage d’eaux vives et d’oiseaux…
Aussitôt s’arrêtant, secoué de fureur,
le Soleil hulula un grand cri tubulaire de feu
et me sangla un coup de massue formidable
dans la nuque, si bien que je tombai à plat,
le nez dans l’herbe embaumée des jardins.

Alors, d’un tour de reins je redressai ma taille,
pour lui jeter à pleins poumons tout mon dédain,
mon mépris et mes lourds crachats par blocs d’airain.
« Je te bafoue, Soleil infâme,
et je conspue ton corps d’écorché vif !
Pouah ! ta peau rôtie, ton odeur d’abattoir

et tes yeux qui larmoient de pus incandescent.
Ah ! ce sont donc mes funérailles que tu proclames
avec ces longs houhous de pleureuse funèbre !
Mais je nargue, ô Soleil, ta démence criarde
de jongleur haletant sur les tréteaux du ciel !…
J’en ai assez de ton sinistre boniment
pour marchander tes sceptres noirs et les lauriers
que tu vends feuille à feuille aux pèlerins fourbus,
ô marchand d’orviétan à la voix glapissante !…
Je veux dormir dans les cheveux de la Luxure,
et boire à la fontaine attendrie de la Vulve,
qui peut seule étancher la soif de mes artères. »