La Ville charnelle/la grotte amoureuse

E. Sansot & Cie (p. 17-21).

IV

LA GROTTE AMOUREUSE

Les jardins cachottiers de la ville charnelle
emmitouflèrent mon corps brisé.
Ils étaient adorables, accueillants et paisibles
tous trempés d’ombres bleues et ventilés suavement
d’haleines capiteuses de miel et de jasmin…
Ô cèdres parfumés aux fruits étincelants,
orangers, acacias dont l’odeur sexuelle
me griffe et me caresse d’un plaisir angoissé,
je viens à vous et je pénètre dans la béatitude
de vos ombrages complaisants !…
En marchant à longs pas soyeux et jouisseurs,

j’obéis aux conseils de la brise naïve…
Mon cœur enveloppé par les tièdes murmures
des ruisseaux amoureux, vient d’oublier l’horreur
effrénée des voyages et la bouche éclatée
des horizons engloutisseurs.

J’entends déjà tes frais éclats de rire
sous le gazon !… Enfin je te savoure
et sans te voir je puis te boire
dans ta voix argentée qui baigne les échos,
ô divine fontaine qui murmures ta joie
lente et frileuse et tour à tour brûlante !…

Voici tes belles rives arrondies, fléchissantes
et lisses comme des cuisses
aux duvets chatouilleux !
Non, vrai, ton parfum bleu m’enlace,
et je dois bien m’agenouiller pour approcher mes lèvres
de ta bonne chaleur persuasive.

Je sais le sacrilège
que je commets, et dont tous les sorciers d’Égypte
et de Chaldée m’ont dit l’horreur, baissant la voix,
levant les bras au ciel.
Il m’advint, qu’en touchant le sable sensitif,
je pus apercevoir entre les lèvres roses
de la grotte profonde, un rocher de corail
qui tressaille d’ivresse et s’enfièvre au contact…
Et je songeai, avec effroi, à la pierre torride
qui, selon les devins recélait le trésor
de la Joie infinie.

Alors, en m’inclinant, je voulus écarter
la broussaille odorante où la source est cachée.

Ivresse des ivresses ! bonheur épouvantable !…
Trois fois la grotte entière sursauta
si violemment, que je tombai à la renverse
et je pus admirer l’étrange tremblement

qui partout secouait le grand corps de la Ville.
Ses cuisses granitiques
bondissaient, par instants, plus haut que les coupoles
des mosquées vénérables ;
et les deux rues, s’entrecoupant en forme d’X,
comme deux bras croisés sur la poitrine,
s’ouvrirent tout à coup, en se tordant
à droite à gauche des minarets pointus,
dont les drapeaux claquaient au vent rouge du diable.

Longtemps, longtemps, grisé par les frissons de joie
que j’imprimais aux fondements de la ville charnelle
j’enfonçai mon visage dans la grotte vermeille.
Le plaisir souterrain déferlait à miracle
du fond des cuisses blanches jusqu’au ventre éclatant,
toujours plus haut, de tous côtés, précipitant le rythme
et le doux gonflement des mamelles glorieuses
qui ruissellent d’une sueur précieuse.
Longtemps je m’acharnai parmi la chaleur fauve,

à caresser la mousse gluante et embrasée
pataugeant dans les chauds ruisseaux de la luxure
et tour à tour léchant les parois palpitantes,
et tour à tour suçant l’arête de corail.

Par instants, les sursauts des rochers disloqués
me rejetaient au loin, couché à la renverse ;
mais je me relevais pour empoigner la pointe
de la roche mouillée, et la mordre à nouveau
avec une reprise de rage bienfaisante,
car je sentais qu’un délice intense
possédait pleinement la Ville enamourée
et la gorgeait de jouissance.