La Ville charnelle/mon cœur chanta

E. Sansot & Cie (p. 23-27).

V

MON CŒUR CHANTA…

« À quoi bon s’acharner sur la mer turbulente,
virant vers la promesse illusoire des caps ?
C’est ici ! c’est ici l’ivresse des ivresses !
C’est bien toi que je veux absorber d’un seul trait,
Vulve rose embaumée par l’haleine des Astres !

Vous pouvez haleter de rage et de dépit,
je fais fi de vos longs hurlements de colère,
ô galopants Simouns de mon ambition,
oui piaffez lourdement sur le seuil de la ville !

Vous ne m’atteindrez plus malgré votre vitesse !
Vous ne franchirez pas les murailles charnelles !
Vous avez beau hennir ; j’ai bouché mes oreilles !
Mieux encore, mes oreilles sont déjà assourdies
par le rose murmure de sa voix souterraine,
tels de frais coquillages qu’emplit le chant des mers.

Ô rage de creuser ma tombe en sa chair bleue !
Oh ! loin de toi, bien loin de toi, Soleil
qui me guettes en plein ciel !
Car j’entends sans te voir le bruit que font tes ailes
frappant aux parois du Zénith !
Je ne crains plus la bouche de l’horizon glouton,
qui voudrait m’avaler d’une seule lampée !
Ô Soleil envieux, affolé de grandeurs,
esclave travesti en l’absence du maître,
j’ai déjà oublié tes grands gestes brutaux,
tes regards et tes cris plus lourds que des marteaux.
Je veux creuser ici ma fosse et mon berceau !

Vulve chantante, au frais glouglou de source vive,
oh ! la joie frétillante de reposer en toi,
dans ton humidité chaude et fraîche à la fois !

Je veux enfin tremper mon cœur dans ton odeur
de rouille humide et de rose pourrie !
Reflets d’acier vaincu, tronçons de glaive épars,
fumant encore du sang qu’ont versé les héros
trucidés sur ton seuil, et pour l’amour de toi !
Oh ! joie de te donner ma vie, mon sang, ma force,
et de prendre la tienne en un baiser sans fin !
Héroïsme du sang qui s’élance vers toi
éclaboussant de joie tes lèvres chaudes
comme un jet d’eau pourpré par l’aurore vermeille !

Bonheur de se noyer dans ton immensité
illusoire et brûlante,
d’océan tropical, Vulve inondante,
mignonne et si fragile, et pourtant

plus vaste que mon âme en ce moment !…
Le monde est aboli ! Le désir est tué !
L’infini est comblé, puisque c’est toi le but !

Et pourtant c’est si doux de te faire du mal,
en te mordant comme un beau fruit,
pour te manger à pleine bouche,
pour boire les sanglots et les sursauts farouches
de ta liquide volupté !

Tu vois bien, je me tords de délice et d’extase
dans ton creux jaillissant et moelleux de source !
Je veux creuser ton sable avec mes dents, mes doigts,
toujours plus bas, plus loin, jusqu’à d’imperscrutables
profondeurs, pour savoir
et trouver le filon de la joie,
le filon merveilleux du bonheur métallique !

Malheur à moi ! Je sens le feu d’une blessure !
C’est le Soleil qui m’a mordu à la cheville !

Oh ! le chien enragé !…
Je devrais m’endormir, la bouche sur ta bouche,
Vulve rose et sacrée, dont le sable est sucré,
et pourtant je me tords comme un serpent blessé
qui voudrait rebondir de douleur, de désir
et d’espoir éternel !…

Malheur à moi ! malheur à moi ! Car voici je me lève
et j’éloigne mon cœur et je pense déjà
à votre joie sublime, vitraux dominateurs,
vastes prunelles d’or, qui grandissez toujours
parmi la parfumante retombée
des jardins suspendus !…
Hélas ! Je pense à vous, vitraux qui reflétez
sans fin, l’allure conquérante des soleils
et le pèlerinage des voiliers, toile au vent,
que l’on voit de très haut, figés dans leur vitesse,
sur le tressaillement de la nappe marine.