Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 149-152).

XIX

JASMIN

« J’ai nom Jasmin : clopin-clopant,
            Je m’achemine.
Clopin-clopant, je vais grimpant
            Sur la colline.

« Un pied trop long, l’autre trop court :
Ma personne étant ainsi faite,
Je ne suis pas le dieu d’amour,
Et mainte fille me rejette.
Hélas ! en me mettant au jour,
Ma mère, étiez-vous donc distraite ?


« J’ai nom Jasmin : clopin-clopant,
            Je m’achemine.
Clopin-clopant, je vais grimpant
            Sur la colline.

« Mon métier pour moi n’est pas bon :
Garder un troupeau qui m’échappe.
Quand un cabri fuit, bond par bond,
Faut-il pas que je le rattrape ?
Aussi, malheur au vagabond…
Les témoins savent si je tape !

« J’ai nom Jasmin : clopin-clopant,
            Je m’achemine.
Clopin-clopant, je vais grimpant
            Sur la colline.

« Qu’un autre, avare de sa peau,
En lieu tranquille mange et dorme.
Je voudrais, moi, sous le drapeau,
M’aligner en bel uniforme.
Mais, pauvre gardeur de troupeau.
Tu seras mis à la réforme !


« J’ai nom Jasmin : clopin-clopant,
            Je m’achemine.
Clopin-clopant, je vais grimpant
            Sur la colline.

« Si je n’ai pas l’air d’un vainqueur,
Si je sois écourté de taille,
Je marche du moins droit du cœur,
Et n’entends pas que l’on me raille.
Demandez à Roch, le moqueur,
Ce que je vaux à la bataille.

« J’ai nom Jasmin : clopin-clopant,
            Je m’achemine.
Clopin-clopant, je vais grimpant
            Sur la colline.

« Les vers que je vous chante là,
Ce n’est pas moi qui les compose.
Un oiseau, qui vers moi vola
Sur un arbuste en fleurs tout rose,
Un jour d’avril, me les siffla.
Le plus souvent je parle en prose.


« J’ai nom Jasmin : clopin-clopant,
            Je m’achemine.
Clopin-clopant, je vais grimpant
            Sur la colline. »


Ce disant, je le vis, drapé d’un court manteau,
Dessiner son profil au sommet du coteau.
Une plume de coq à son feutre nouée
Frissonnait dans l’azur, par le vent secouée.
Suivi de ses chevreaux qui marchaient en broutant,
Vraiment il avait l’air d’un petit capitan.
Son chien raccompagnait, songeant : « Quel noble maître ! »
Puis, chef et peloton, je les vis disparaître
Au versant du coteau. Le chant aérien
S’éloigna lentement. Je n’entendis plus rien ;
Sinon, de temps en temps, quelques notes ailées,
Ou quelques vagues sons de clochettes fêlées.