Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 147-148).

XVIII

L’ODEUR DES FOINS

Le jour baisse ; les pins, qu’un vent tiède balance,
Du couchant sur nos fronts bercent les reflets d’or ;
Le vallon se recueille et le champ fait silence :
Dans le pré cependant les faneurs sont encor.

Les laboureurs lassés, remontant à la ferme,
Ramènent les grands bœufs au pesant attirail ;
Chacun songe au repos, chacun rentre et s’enferme ;
Les faneurs dans le pré sont encore au travail.

Les voyez-vous là-bas, au bord de la rivière,
Marcher à pas égaux, d’un rhythme cadencé ?
Ils mettent à profit ce reste de lumière
Pour unir le travail dès l’aube commencé,


Sous le feu du soleil, sans trêve ni relâche,
Ils ont coupé les foins au village attendus ;
Ils ne partiront pas sans achever leur tâche :
Ils veulent qu’à la nuit tous leurs prés soient tondus.

De la rapide faux l’éclair par instants brille,
À travers la distance il éblouit nos yeux ;
Par instants, une voix d’homme ou de jeune fille
Arrive à notre oreille en sons clairs et joyeux.

Dans le calme du soir, il fait bon de l’entendre !
Il fait bon d’aspirer, dans un air frais et doux,
Ces odeurs de gazons, ces parfums d’herbe tendre
Qui, du talus des prés, s’élèvent jusqu’à nous !

Le jour s’efface au loin ; ses lueurs étouffées
Meurent sur les hauteurs, s’éteignent sur les eaux ;
Et chaque vent qui passe apporte par bouffées
L’enivrante senteur des herbes en monceaux.

Et ce qu’on ressent là, c’est un calme suprême,
C’est une volupté sans ardeur ni transport,
C’est le recueillement de la nature même,
Qui, sous l’aile de Dieu, confiante s’endort !