Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 9-14).


LIVRE PREMIER



PENDANT

QUE

LA TERRE EST EN FLEURS


I

CE QUE DIT L’HIRONDELLE

Faites-moi bon accueil, j’arrive !
Du soleil, de la gaîté vive
Je vous ramène la saison.
Jour et nuit, j’ai fendu l’espace :
À la voyageuse un peu lasse,
Vieux amis, laissez prendre place
Sous le toit de votre maison !

C’est bien là : voici la fenêtre,
La tuile, aisée à reconnaître,
Où fut posé mon premier nid.
Fermière, pour moi toujours bonne,
Chez vous ne manque-t-il personne ?

Bien ! fêtons le jour qui rayonne
Et l’heure qui nous réunit.

Depuis que, par un soir de brume,
Je partis, secouant ma plume,
J’ai traversé les cieux entiers ;
J’ai vu bien des mers, bien des plages.
Abritée ici des orages.
Je vous dirai tous mes voyages,
Car je babille volontiers !

De sa voix, sonore merveille,
Le rossignol ravit l’oreille ;
Moi, je n’ai pas d’aussi doux chants ;
Je ne sais que jaser sans cesse,
Jaser pour amuser l’hôtesse,
Et pour écarter la tristesse
De l’homme qui travaille aux champs.

Dans l’air du matin qui m’enivre,
Sur le coteau j’aime à le suivre,
Rasant de l’aile ses cheveux.
Par quelques mots d’heureux présage,
Gaîment je l’excite à l’ouvrage :

« Brave homme, lui dis-je, courage !
Les blés répondront à tes vœux. »

Aux gens dont le toit m’est propice
Je rends plus d’un utile office :
Abusés par un temps serein,
S’ils ont laissé leurs foins à terre,
Je dis à propos : « Qu’on les serre ! »
Et, sans merci, je fais la guerre
Aux vers qui rongent le bon grain.

Que le faucon, l’œil sur sa proie.
Que l’épervier là-haut tournoie,
Prompte à les voir, je pousse un cri.
À mon signal, on se rassemble ;
La poule et son poussin qui tremble,
Et les pigeons, qui vont ensemble,
S’empressent tous vers leur abri.

Je saisis au vol ma pâture,
Je bois au vol dans une eau pure,
J’y prends un bain, toujours au vol !
Je suis l’essor, l’aile rapide,
Je ne me plais que dans le vide,

Et je plains l’homme, cœur timide,
Qui n’ose pas quitter le sol !

Faites-moi bon accueil, j’arrive !
Du soleil, de la gaîté vive
Je vous ramène la saison.
Jour et nuit, j’ai fendu l’espace :
À la voyageuse un peu lasse,
Vieux amis, laissez prendre place
Sous le toit de votre maison !