Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 15-16).

II

ERATO

Dans les vils pensers, dans les œuvres viles,
Quand la décadence, hélas ! est partout ;
Quand de plus en plus, au tableau des villes,
Le cœur se soulève empli de dégoût ;

Des princes du jour quand l’impure bande
Exploite au comptoir la guerre et la paix ;
Que la nation, si fière et si grande,
N’est plus qu’un troupeau de marchands épais ;

Quand le vieil honneur fléchit sous la honte ;
Des instincts mauvais, des grossiers penchants,
Quand l’invasion de toutes parts monte.
Il n’est plus d’abri, si ce n’est aux champs.


Si ce n’est parmi les forêts lointaines,
Sous la profondeur des arceaux fleuris ;
Si ce n’est au bord des claires fontaines,
Pour l’âme blessée il n’est plus d’abris.

De cœurs purs alors cherchant ce qui reste,
Pour eux tu reprends tes attraits connus,
Ô muse rustique, ô chanteuse agreste
Qui dans nos prés verts marches les pieds nus.
Tes yeux ont encor leur douce magie ;
Le sourire aux pleurs s’y mêle toujours ;
De la chanson folle ou de l’élégie
Tu fais, à ton gré, le chant des amours.

Le front ceint d’épis, légère tu passes
Le long des blés mûrs, et, comme autrefois.
On voit en cortége aller sur tes traces
Les pâtres mêlés au nymphes des bois.

Et tu viens l’asseoir sous les aubépines ;
Et, charmant au loin bergers et troupeaux,
Tu jettes au vent des tièdes collines,
Tu jettes les sons de tes frais pipeaux.