La Vie nouvelle/Commentaires/Chapitre XXIX


La Vita Nuova (La Vie nouvelle) (1292)
Traduction par Maxime Durand-Fardel.
Fasquelle (p. 185-187).


CHAPITRE XXIX


Giuliani pense qu’en s’exprimant ainsi le Poète fait allusion par avance à la place que Béatrice tiendra dans le Paradis (Rose mystique) auprès de Marie, cette reine bénie, et qu’il faut voir là un « témoignage de l’architecture qui a présidé à toute son œuvre[1] ».

C’est voir les choses de loin. Si l’on suppose que le nom de Marie est invoqué ici parce que la place de Béatrice près de Marie dans la Rose mystique se trouvait déjà déterminée dans l’esprit du Poète, on pourrait aussi bien supposer que l’épisode paradisiaque de Marie n’est qu’un souvenir de la Vita nuova.

D’ailleurs Dante nous dit qu’il avait lui-même une dévotion particulière à la Sainte Vierge, et l’invocation qu’il lui adresse (nel paradiso della Divina Commedia) est une des plus belles pages du Poème.

L’idée que, peu après la mort de Béatrice (1292), fût arrêté le plan du Paradis de la Comédie, qu’il devait travailler encore et terminer vingt ans après, c’est-à-dire l’année même de sa mort, me paraît tout à fait inadmissible. Je suis déjà revenu à plusieurs reprises sur ce sujet[2].

On peut s’étonner de voir exprimées d’une façon aussi dogmatique les raisons pour lesquelles le Poète ne parlera pas de la mort de Béatrice.

M. Scherillo, dans le livre si intéressant que j’ai cité plusieurs fois, s’est livré sur ce sujet à une longue dissertation où, comme d’habitude, on voit chercher à relier avec l’œuvre future du Poète les passages dont l’interprétation paraît douteuse. Cette interprétation me paraît cependant assez simple.

Je ne dis pas cela pour la première raison, peu importante du reste, parce qu’on ne comprend pas bien en quoi, de la préface (proemio) du livre, il résulterait que ceci n’entrait pas dans son plan. La seconde raison renvoie ce récit, qu’il ne saurait entreprendre lui-même (sans doute parce qu’il lui serait trop douloureux), à un autre glossatore : ceci peut être pris dans un sens général sans qu’il soit nécessaire de chercher si l’auteur a entendu faire allusion à un glossateur en particulier. Quant à la troisième raison, il ne saurait faire ce récit sans s’y introduire lui-même, et dans un sens plutôt laudatore. Or il a établi quelque part qu’il est toujours blâmable de parler de soi, sans une nécessité formelle[3].



  1. Giuliani, Commentaires de la Vita Nuova.
  2. Se reporter au commentaire du chapitre III.
  3. Il Convito, Tratt. I, chapitre II.