La Vie nouvelle/Chapitre XXVIII


La Vita Nuova (La Vie nouvelle) (1292)
Traduction par Maxime Durand-Fardel.
Fasquelle (p. 90-91).


CHAPITRE XXVIII


Après cela, je me mis un jour à songer à ce que j’avais dit de ma Dame, c’est-à-dire dans les deux sonnets précédents, et, voyant dans ma pensée que je n’avais rien dit de l’influence qu’elle exerçait présentement sur moi, il me parut qu’il manquait quelque chose à ce que j’avais dit d’elle, et je me proposai d’exprimer comment je me sentais soumis à son influence, et ce que celle-ci me faisait éprouver.

L’amour m’a possédé si longtemps[1]
Et m’a tellement habitué à sa domination
Qu’après avoir été d’abord douloureux à supporter
Il est devenu d’une grande douceur pour mon cœur.
Aussi quand j’ai perdu tout mon courage
Et que mes esprits semblent m’abandonner,
Alors mon âme débile sent
Une telle douceur que mon visage pâlit.
Puis l’amour prend un tel pouvoir sur moi
Que mes soupirs se mêlent à mes paroles,
Et en sortant implorent
Ma Dame pour qu’elle me rende à moi-même.
Cela m’arrive toutes les fois qu’elle me voit,
Et à un point tel qu’on aurait de la peine à le croire.



  1. Si lungamente m’ha tenuto amore