La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 10

L’Édition d’art (p. 229-232).



X


Devadatta était plein d’orgueil ; il supportait mal le joug, et il aurait voulu tenir la place du Bouddha. Mais il sentait bien que les moines ne le soutiendraient pas dans une révolte ouverte, et il cherchait un roi ou un prince sur qui s’appuyer.

« Le roi Vimbasâra est vieux, pensa-t-il un jour ; le prince Ajâtaçatrou, qui est jeune, qui est brave, brûle de lui succéder au pouvoir. Je pourrais donner au prince d’utiles conseils, et, à son tour, il m’aiderait à prendre la tête de la communauté. »

Il alla trouver Ajâtaçatrou. Il lui adressa des paroles flatteuses ; il lui vanta sa force, son courage, sa beauté.

« Ah, disait-il, si tu régnais, quelle serait la gloire de Râjagriha ! Tu conquerrais les royaumes voisins ; tous les souverains du monde viendraient te rendre hommage : tu serais le maître tout-puissant, on t’adorerait à l’égal d’un Dieu. »

Par de telles paroles, Devadatta gagna la confiance d’Ajâtaçatrou. Il recevait des dons précieux, et son orgueil croissait encore.

Maudgalyâyana remarqua les visites fréquentes de Devadatta au prince, et il crut bon d’en avertir le Bienheureux.

« Seigneur, commença-t-il, Devadatta ne cesse de voir le prince Ajâtaçatrou. »

Le Bienheureux l’interrompit :

« Laisse Devadatta agira sa guise : nous ne tarderons guère à apprendre ce qu’il est au vrai. Je sais les hommages que lui rend Ajâtaçatrou : ils ne lui font pas faire un pas dans le chemin de la vertu. Que Devadatta s’enorgueillisse ! Il court à sa ruine. Le bananier et le bambou n’ont de fruits que pour leur mort, et les honneurs que reçoit Devadatta ne feront que hâter sa perte. »

Devadatta, cependant, atteignait l’extrême de la vanité. Il ne pouvait plus souffrir la grandeur du Bouddha, et, un jour, il en vint à lui dire :

« Maître, te voici très vieux ; pour toi, le gouvernement des moines est une fatigue cruelle : abandonne-le. Médite en repos la loi sublime que tu as découverte, et confie à mes soins toute la communauté. »

Le Maître eut un sourire railleur.

« Ne te soucie point de mon repos, Devadatta ; tu es d’une excessive bonté. Je saurai quand viendra l’heure d’abandonner ma tâche. Pour l’instant, je garderai la conduite de la communauté : d’ailleurs, je ne la laisserai pas à Çâripoutra même ni à Maudgalyâyana, ces grands esprits, ces flambeaux splendides, et tu la voudrais, toi, Devadatta, toi, dont l’esprit est si médiocre, toi, qui éclaires moins encore qu’une veilleuse ! »

Devadatta fit au Maître un salut respectueux, mais il ne pouvait éteindre la flamme furieuse de ses yeux.

Le Maître alors manda le sage Çâripoutra.

« Çâripoutra, dit-il, va-t’en par la ville de Rajagriha, et crie bien haut : « Qu’on se défie de Devadatta ! Il a quitté la bonne route. Le Bouddha ne répond plus de ses paroles ni de ses actes ; la loi ne l’inspire plus, la communauté lui est étrangère. Devadatta ne relève, désormais, que de lui-même. »

Çâripoutra fut affligé d’avoir à accomplir une si dure mission ; il comprit pourtant les raisons du Maître et il alla crier par la ville la honte de Devadatta. Les habitants l’écoutaient, et les uns pensaient : « Les moines envient à Devadatta l’amitié du prince Ajâtaçatrou. » Mais les autres disaient : « Il faut que Devadatta ait commis des fautes graves pour que le Bienheureux le dénonce à la ville. »