La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 7
VII
Le Bienheureux se rappela que le roi Vimbasâra lui avait manifesté, jadis, le désir de connaître un jour la loi. Il décida donc d’aller à Râjagriha, et il se mit en route avec l’aîné des Kâçyapas et quelques autres de ses nouveaux disciples. Il s’établit dans un bois, près de la ville.
Vimbasâra sut bientôt l’arrivée des moines ; il résolut de les voir, et, avec une suite nombreuse, il vint au bois. Il reconnut le Maître, et il s’écria :
« Tu n’as pas oublié mon désir, ô Bienheureux ; je te remercie et je te vénère. »
Il se prosterna ; et, quand le Maître l’eut relevé, il se tint à distance pour marquer son respect.
Mais, dans la foule, quelques-uns connaissaient Kâçyapa ; ils le tenaient pour un homme très saint ; nul encore n’avait vu le Bouddha, et l’on s’étonnait fort des honneurs que lui rendait le roi.
« Sans doute, il s’est trompé, dit un brahmane ; c’est devant Kâçyapa qu’il devait se prosterner.
— Oui, dit un autre, Kâçyapa est un grand maître.
— Notre roi a commis une singulière erreur, ajouta un troisième ; il a pris l’élève pour le maître. »
Ils ne parlaient pas à voix haute ; le Bienheureux, pourtant, les entendit : quelle parole, d’ailleurs, pouvait lui échapper ? Il dit à Kâçyapa :
« Qui t’a décidé, homme d’Ourouvilva, à quitter ton ermitage ? Qui t’a fait avouer ta faiblesse ? Réponds, Kâçyapa : comment as-tu abandonné le lieu où, depuis si longtemps, tu vivais ? »
Kâçyapa comprit ce que voulait le Maître ; il répondit :
« Je sais maintenant où tendaient mes anciennes austérités ; je sais toute la vanité de ce que j’enseignais. Mes leçons étaient impures, et j’ai pris en dégoût la vie que, depuis si longtemps, je menais. »
Et, quand il eut dit ses paroles, il se jeta aux pieds du Maître, et il reprit :
« Je suis ton élève obéissant. Que je puisse poser ma tête sur tes pieds ! Tu es le Maître et tu commandes. Je suis ton élève, et je suis ton serviteur. Je t’écouterai et je t’obéirai. »
Sept fois il se prosterna, et la foule eut des cris d’admiration :
« Qu’il est puissant, celui qui a convaincu Kâçyapa d’ignorance ! Kâçyapa se croyait le plus grand des maîtres et le voici qui s’incline devant un autre ! Qu’il est puissant celui qui domine Kâçyapa ! »
Alors, le Bienheureux parla des quatre grandes vérités, et, quand il eut fini, le roi Vimbasâra vint à lui, devant tous les autres ; d’une voix assurée, il dit :
« J’ai foi en le Bouddha, j’ai foi en la loi, j’ai foi en la communauté des saints. »
Le Bienheureux permit au roi de s’asseoir à son côté. Et le roi dit encore :
« J’ai eu, dans ma vie, cinq grandes espérances : j’ai espéré qu’un jour je serais roi ; j’ai espéré qu’un jour le Bouddha viendrait dans mon royaume ; j’ai espéré qu’un jour je le contemplerais, de toute la force de mes yeux ; j’ai espéré qu’un jour il m’enseignerait la loi ; j’ai espéré qu’un jour je lui dirais ma foi. Toutes mes espérances, aujourd’hui, sont satisfaites. J’ai foi en toi, seigneur, j’ai foi en la loi, j’ai foi en la communauté des saints. »
Il se leva :
« Daigne, ô Maître, venir prendre ton repas dans mon palais, demain. »
Le Maître consentit, et le roi s’en alla : son bonheur était extrême.
Le plus grand nombre de ceux qui avaient accompagné le roi suivirent l’exemple qu’il avait donné, et dirent leur foi en le Bouddha, en la loi et en la communauté des saints.
Le lendemain, les habitants de Râjagriha quittèrent en foule leurs demeures ; ils brûlaient de voir le Bienheureux. Bientôt, le bois fut envahi par eux ; tous admiraient le Maître, tous chantaient sa puissance et sa gloire.
L’heure vint pour lui d’aller au palais du roi ; mais les curieux se pressaient sur la route, si nombreux qu’il n’était guère possible d’y faire un pas. Tout à coup un jeune brahmane surgit devant le Maître, on ne sait d’où. Il dit :
« Le doux Maître est avec les doux : il apporte la délivrance ; celui qui brille comme l’or est entré dans Râjagriha. »
Sa voix était aimable à entendre ; il faisait signe à la foule de s’écarter, et, sans même une pensée de résistance, on lui obéissait. Il chantait maintenant :
« Le Maître a chassé les ténèbres ; la nuit ne renaîtra jamais ; celui qui sait la loi suprême est entré dans Râjagriha. »
On se demandait : « D’où vient ce jeune brahmane, dont la voix est si pure ? »
Et il chanta encore :
« Celui qui sait tout, le doux Maître, le Bouddha sublime est ici. Il est souverain dans le monde : je suis heureux de le servir. Ne pas servir les ignorants, mais servir humblement les sages et vénérer ceux qui sont nobles, est-il plus sainte joie au monde ? Demeurer dans un pays calme, faire souvent de bonnes œuvres, chercher le triomphe du droit, est-il plus sainte joie au monde ? Avoir l’adresse et la science, aimer les actes généreux, marcher toujours vers la justice, est-il plus sainte joie au monde ? »
Le jeune brahmane sut frayer au maître un chemin jusqu’au palais du roi Vimbasâra. Puis, sa tâche accomplie, on le vit qui s’élevait de terre, et il eut bientôt gagné les plus hautes régions du ciel. Il disparut dans la lumière, et l’on comprit qu’un Dieu avait tenu à honneur de servir le Bouddha et d’exalter sa grandeur.
Vimbasâra fit au Bienheureux la plus respectueuse des réceptions. Et, à la fin du repas, il lui dit :
« Ta présence me réjouit, seigneur, il faudra désormais que je te voie souvent, que j’entende souvent ta parole sacrée. Reçois de moi le don que voici. Plus près de la ville que la forêt où tu t’es établi, il y a un bois aimable, et qu’on nomme le Bois des bambous. Il est vaste, et toi et tes disciples pourrez y demeurer à l’aise. Je te donne le Bois des bambous, et, si tu l’acceptes, j’estime que tu m’auras rendu un grand service. »
Le Bouddha eut un sourire de contentement. On apporta un bassin d’or, tout rempli d’eau parfumée ; le roi prit le bassin, et il versa l’eau sur les mains du Maître, en disant :
« Comme, de mes mains, cette eau va sur tes mains, seigneur, que, de mes mains, le Bois des bambous aille en tes mains, seigneur. »
La terre trembla : la loi, maintenant, avait un sol où prendre racine. Et, le jour même, le Maître et ses disciples allèrent habiter le Bois des bambous.