La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 5

L’Édition d’art (p. 112-117).



V


Des cinq moines, Kaundinya, le premier, s’approcha du Bienheureux, et lui dit :

« Je t’ai écouté, ô Maître, et je te suivrai, si tu m’en juges digne.

— M’as-tu compris, Kaundinya ? demanda le Bienheureux.

— Au Bouddha je veux m’attacher d’une foi pure, reprit Kaundinya. À celui qui sait, je veux m’attacher ; à celui qui est saint, qui connaît les mondes, qui dompte les êtres comme on dompte des taureaux, à celui dont les Dieux et les hommes écoutent les leçons, au suprême Bouddha je veux m’attacher. À la loi je veux m’attacher, d’une foi pure. Le Bienheureux l’a exposée, et elle s’est manifestée clairement ; elle mène au salut, et, en eux-mêmes, les sages doivent avouer sa force bienfaisante. Selon tes préceptes, je veux me conduire, selon tes préceptes saints, selon tes préceptes que loueront les sages.

— Tu as compris, Kaundinya, dit le Bienheureux. Approche. La loi est bien prêchée. Vis en sainteté, et mets un terme à la douleur. »

Puis Vâshpa vint au Bouddha confesser la foi qu’il avait en lui ; puis vinrent Bhadrika, Mahânaman et Açvajit. Et, désormais, il y eut six saints dans le monde.

Le Bienheureux était encore dans le Parc aux gazelles qu’un jeune homme nommé Yaças y arriva. Yaças appartenait à une famille riche de Bénarès ; il avait mené, jusqu’alors, la vie mondaine, mais il en comprenait maintenant toute la vanité, et il cherchait le repos sacré des bois. Le Bienheureux vit Yaças, il lui parla, et Yaças se déclara prêt à marcher dans la voie sainte.

Le marchand, père de Yaças, vint trouver son fils dans le Parc aux gazelles. Il voulait le détourner des routes pieuses. Or il entendit le Bouddha, il admira sa parole, et il crut en lui. La mère de Yaças et sa femme reconnurent aussi la vérité de la loi. Mais, tandis que Yaças se joignait aux moines, son père, sa mère, sa femme continuèrent à vivre dans la maison de Bénarès.

Quatre amis de Yaças, Vimala, Soubâhou, Pournajit et Gavâmpati, trouvaient assez ridicule la résolution qu’il avait prise. Ils se dirent :

« Allons dans le Parc aux gazelles. Nous verrons Yaças. Nous le convaincrons de son erreur, et nous le ramènerons parmi nous. »

Au moment où ils entrèrent dans le bois, le Bouddha donnait quelques enseignements à ses disciples.

« Autrefois, contait-il, habitait dans une gorge des montagnes un ascète qui vivait misérablement. Il était vêtu d’écorce, ne buvait que de l’eau et ne mangeait que des fruits sauvages et des racines. Il avait pour seul compagnon un lièvre. Ce lièvre savait parler comme les hommes, et il aimait à causer avec l’ascète. Il profitait de ses leçons et s’efforçait vers la sagesse. Or, vint une année de sécheresse ; les sources de la montagne étaient taries, et il n’y avait plus, aux arbres, ni fleur ni fruit. L’ascète ne trouvait plus à manger ni à boire ; il se déplaisait dans sa retraite, et, un jour, il jeta son vêtement d’écorce. Le lièvre le vit et lui demanda : « Ami, que fais-tu ? — Tu le vois, répondit l’ascète. Je ne veux plus de cet habit. — Eh quoi, reprit le lièvre, vas-tu quitter la gorge de la montagne ? — Oui. J’irai où il y a des hommes. Là, je recevrai des aumônes et je pourrai manger ; et la nourriture qu’on me donnera vaudra mieux que des fruits et des racines. » Ces paroles attristèrent le lièvre ; il était comme un enfant que son père abandonne, et il cria : « Ne t’en va pas, ami ! Ne me laisse pas seul ! Ne sais-tu pas, d’ailleurs, qu’on se perd à habiter dans les villes ? Seule est méritoire la vie solitaire de la forêt. » Mais l’ascète était inébranlable : il avait résolu de partir, il partirait. Le lièvre, alors, lui dit : « Tu veux quitter les montagnes, quitte-les donc ! Pourtant, accorde-moi la grâce d’attendre un jour encore, un seul jour. Reste ici aujourd’hui, demain, tu agiras à ton gré. » L’ascète pensa : « Les lièvres sont habiles à trouver des vivres, et ils en ont souvent des réserves. Demain, sans doute, celui-ci m’apportera quelque nourriture. » Il promit donc de ne partir que le lendemain, et le lièvre s’en alla, tout joyeux. L’ascète était de ceux qui vénèrent Agni, et il veillait à tenir toujours, dans la gorge, un feu allumé. « Faute de manger, se dit-il, je me chaufferai, en attendant le lièvre. » Le lendemain, dès l’aube, le lièvre parut ; il n’apportait aucune nourriture. L’ascète en prit une mine dépitée. Mais voici que le lièvre le salue, et qu’il dit : « Nous autres, animaux, n’avons ni sens ni jugement ; pardonne-moi, grand ascète, si j’ai commis quelque faute envers toi. » Et, d’un bond soudain, il tomba dans le feu. « Que fais-tu ? » s’écria l’ascète, et il s’élança vers le feu ; il en retira le lièvre, qui lui dit : « Je ne veux pas que tu manques au devoir, je ne veux pas que tu quittes ta retraite. Il n’y a plus ici rien qui puisse te nourrir ; j’ai consacré mon corps au feu ; prends-le, ami, nourris-toi de ma chair, et reste dans la gorge de la montagne. » L’ascète, tout ému, répondit : « Je n’irai point vers les villes, et, dussé-je mourir de faim, je resterai ici. » Le lièvre fut tout heureux, il regarda le ciel, et il fit cette prière : « Indra, j’ai toujours vécu dans l’amour de la solitude ; daigne m’entendre, et permets à la pluie de tomber. » Indra entendit la prière du lièvre ; une grande pluie tomba, et, bientôt, l’ascéte et son ami eurent, dans la gorge de la montagne, toute la nourriture dont ils avaient besoin. »

Après un court silence, le Bienheureux ajouta :

« En ce temps-là, moines, le lièvre, c’était moi. Quant à l’ascète, c’était un des jeunes hommes qui viennent d’entrer dans le Parc aux gazelles, avec des intentions méchantes. C’était toi, Vimala ! »

Il se leva.

« Comme, au temps où j’étais lièvre dans la gorge de la montagne, je te gardai de suivre les mauvais chemins, Vimala, devenu maintenant le suprême Bouddha, je te montrerai la voie sainte ; tes yeux verront, tes oreilles entendront, et voici que tu rougis déjà d’avoir voulu ravir au salut ton ami le plus cher. »

Vimala était aux pieds du Bienheureux. Il disait sa foi, et il fut reçu parmi les disciples. Soubâhou, Pournajit et Gavâmpati résolurent aussi d’être fidèles à la parole sacrée.

Chaque jour, le nombre des disciples augmentait, et bientôt le maître eut autour de lui soixante moines prêts à propager la science. Il leur dit : « Ô disciples, je suis délivré de toutes les chaînes divines et humaines. Et vous aussi, vous êtes délivrés. Mettez-vous donc en route, ô disciples, et marchez, par pitié du monde, pour le bonheur du monde. C’est à vous que les Dieux et les hommes devront la santé et la joie. Ne soyez jamais deux à suivre le même chemin. Enseignez, ô disciples, la loi glorieuse, la loi glorieuse en son commencement, glorieuse en son milieu, glorieuse en sa fin ; enseignez l’esprit de la loi, enseignez la lettre de la loi ; publiez aux yeux de tous la vie parfaite et pure, la vie de sainteté. Il y a des êtres que ne rend pas aveugles la poussière de la terre ; mais, s’ils n’entendent pas la loi, ils n’arriveront pas au salut. Allez, ô disciples, et enseignez la loi. »

Les disciples se dispersèrent, et le Bienheureux prit la route d’Ourouvilva.