La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 4

IV


Le Bienheureux entra dans la grande ville de Bénarès. Il la parcourut en demandant l’aumône, il mangea ce qu’on lui avait donné, puis il alla vers le Parc aux gazelles, où il savait trouver les cinq anciens disciples de Roudraka.

Les cinq l’aperçurent de loin ; ils crurent le reconnaître, et ils se dirent :

« Celui qui vient à nous, là-bas, ne le connaissons-nous pas depuis longtemps ? C’est l’homme qui nous étonna, jadis, par ses austérités, et qui, un jour, se relâcha de la rude discipline à laquelle il s’était soumis. Si, quand il se mortifiait, il n’a pas atteint la science suprême, que vaut sa pensée, aujourd’hui que sa conduite est celle d’un gourmand et d’un lâche ? Nous n’irons pas au-devant de lui ; nous ne nous lèverons pas en sa présence ; nous ne le débarrasserons pas de son manteau ni de son vase à aumônes ; nous ne lui offrirons aucun siège. « Nous n’avons ici, lui dirons-nous, que les sièges que nous occupons. » Nous ne lui donnerons ni à boire ni à manger. »

Ainsi résolurent-ils. Mais le Bienheureux ne s’était pas arrêté, et, plus il approchait, moins les cinq se trouvaient à l’aise sur leurs sièges. Ils se sentaient pris d’un grand désir de se lever. Que, sous une cage pleine d’oiseaux, on allume du feu, et les oiseaux ne chercheront qu’à s’envoler. Les cinq étaient pareils à des oiseaux tourmentés par le feu. Ils s’agitaient. Ils semblaient malades. Enfin, ils manquèrent à leur convention. Tous, à la fois, se levèrent ; ils coururent vers le Bienheureux, ils le saluèrent. L’un prit son vase à aumônes, l’autre son manteau ; on lui présenta un siège. On lui apporta de l’eau pour laver ses pieds. Et tous n’avaient qu’un cri :

« Sois le bienvenu, ami, sois le bienvenu et assieds-toi parmi nous. »

Quand le Bienheureux se fut assis et qu’il se fut lavé les pieds, il dit aux cinq ascètes :

« Ne me nommez pas ami, ô moines. Je suis le Saint, le Parfait, le suprême Bouddha. Ouvrez l’oreille, ô moines ; la voie est trouvée qui mène à la délivrance. Je vous montrerai la voie, je vous enseignerai la loi. Si vous m’écoutez, vous saurez la vérité sainte. »

Mais les cinq lui répondirent :

« Si tu n’as pu jadis, par tes pratiques austères, arriver à la science parfaite, comment l’atteindras-tu, maintenant que tu vis dans l’abondance ?

— Moines, reprit le Bienheureux, je ne vis pas dans l’abondance, je n’ai renoncé à nul des biens où j’aspirais. Je suis le Saint, le Parfait, le suprême Bouddha. Ouvrez l’oreille, ô moines ; la voie est trouvée qui mène à la délivrance. Je vous montrerai la voie, je vous enseignerai la loi. Si vous m’écoutez, vous saurez la vérité sainte. »

Il ajouta : « Reconnaissez-vous, moines, que jamais encore je ne vous ai parlé ainsi ?

— Nous le reconnaissons, Maître.

— Je vous le dis : je suis le Saint, le Parfait, le suprême Bouddha. Ouvrez l’oreille, ô moines ; la voie est trouvée qui mène à la délivrance. Écoutez-moi. »

Les cinq moines écoutèrent le Bienheureux, et il parla.

« Il y a deux extrêmes dont il faut que s’éloigne l’homme qui mène la vie de l’intelligence. Les uns s’adonnent aux plaisirs ; ils vivent parmi les fêtes et ne cherchent que la jouissance : ces êtres-là sont vils ; leur conduite est ignoble et vaine ; elle est indigne de qui veut arriver à l’intelligence. Les autres s’adonnent aux mortifications ; il n’est rien dont ils ne se privent ; leur conduite est triste et vaine ; elle est indigne de qui veut arriver à l’intelligence. De ces deux extrêmes, ô moines, le Parfait se tient éloigné ; il a découvert la voie du milieu ; en la suivant, on va vers la lumière qui éclaire les yeux et l’esprit, on parvient au repos, à la science, au nirvâna. Cette voie sacrée, ô moines, a huit branches : foi pure, volonté pure, parole pure, action pure, conduite pure, aspiration pure, mémoire pure, méditation pure. Telle est, ô moines, la voie du milieu, la voie que moi, le Parfait, j’ai découverte, la voie qui mène au repos, à la science, au nirvâna. »

Les cinq pour mieux l’entendre retenaient leur respiration. Il se tut un instant, puis il continua :

« Je vous dirai, ô moines, la vérité sur la douleur. Douleur est la naissance, douleur la vieillesse, douleur la maladie, douleur la mort. Vous êtes unis avec ce que vous n’aimez pas : douleur ; vous êtes séparés d’avec ce que vous aimez : douleur ; vous n’obtenez pas l’objet de votre désir : douleur. S’attacher au corps, aux sensations, aux formes, aux impressions, à la connaissance : douleur, douleur, douleur. Je vous dirai, ô moines, la vérité sur l’origine de la douleur. La soif d’exister conduit de renaissance en renaissance ; le plaisir et la convoitise l’accompagnent. La convoitise n’est satisfaite que par la puissance. La soif de puissance, la soif de plaisir, la soif d’existence : voilà, ô moines, l’origine de la douleur. Je vous dirai, ô moines, la vérité sur la suppression de la douleur. Éteignez votre soif par l’anéantissement du désir. Bannissez le désir. Renoncez au désir. Délivrez-vous du désir. Ignorez ce qu’est le désir. Je vous dirai, ô moines, la vérité sur la voie qui mène à l’abolition de la douleur. C’est la voie sacrée, la voie aux huit branches : foi pure, volonté pure, parole pure, action pure, conduite pure, aspiration pure, mémoire pure, méditation pure. Vous connaissez, ô moines, la vérité sainte sur la douleur : personne, avant moi, ne l’avait aperçue ; mes yeux se sont ouverts, et à moi s’est découverte la douleur. La vérité sur la douleur, je l’ai comprise : il faut que vous la compreniez, ô moines. Vous connaissez, ô moines, la vérité sainte sur l’origine de la douleur : personne, avant moi, ne l’avait aperçue ; mes yeux se sont ouverts, et à moi s’est découverte l’origine de la douleur. La vérité sur l’origine de la douleur, je l’ai comprise : il faut que vous la compreniez, ô moines. Vous connaissez, ô moines, la vérité sainte sur la suppression de la douleur : personne, avant moi, ne l’avait aperçue ; mes yeux se sont ouverts, et à moi s’est découverte la suppression de la douleur. La vérité sur la suppression de la douleur, je l’ai comprise : il faut que vous la compreniez, ô moines. Vous connaissez, moines, la vérité sainte sur la voie qui mène à l’abolition de la douleur : personne, avant moi, ne l’avait aperçue ; mes yeux se sont ouverts, et à moi s’est découverte la voie qui mène à l’abolition de la douleur. La vérité sur la voie qui mène à l’abolition de la douleur, je l’ai comprise : il faut que vous la compreniez, ô moines. »

Les cinq écoutaient avec ravissement la parole du Bienheureux. Il leur parla encore :

« Tant que de ces quatre vérités je n’avais pas, ô moines, la connaissance entière, je savais que, dans ce monde, non plus que dans le monde des Dieux, dans le monde de Mâra ni dans le monde de Brahmâ, je savais que parmi les êtres, hommes, Dieux, ascètes ou brahmanes, je savais que je n’étais pas arrivé au rang suprême de Bouddha. Mais, ô moines, depuis que de ces quatre vérités j’ai la connaissance entière, je sais que, dans ce monde, comme dans le monde des Dieux, dans le monde de Mâra et dans le monde de Brahmâ, je sais que parmi les êtres, hommes, Dieux, ascètes, ou brahmanes, je sais que je suis arrivé au rang suprême de Bouddha. Je suis à jamais délivré : je n’aurai plus de naissances nouvelles. »

Ainsi parla le Bienheureux, et les cinq moines, joyeux, l’acclamaient et le glorifiaient.