La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 3



III


Le Bienheureux se demandait qui, parmi les hommes, serait digne d’entendre, le premier, la parole de salut.

« Quel est, se disait-il, quel est l’homme pur, intelligent, actif, à qui je pourrai d’abord enseigner la loi ? Il faut qu’il n’ait pas de haine, qu’il n’ait point l’esprit troublé, et qu’il ne veuille point garder la science comme un impénétrable secret. »

Il songea que Roudraka, fils de Râma, s’efforçait de mener une vie pure, ignorait la haine et n’était pas homme à faire un secret de la science. Il résolut de lui enseigner la loi. Il eut cette pensée : « Où est Roudraka, maintenant ? » Et il connut alors que Roudraka, fils de Râma, était mort depuis sept jours. Et il se dit :

« C’est grand dommage, vraiment, que Roudraka, fils de Râma, soit mort sans avoir entendu la loi. Il l’eût comprise et il l’eût enseignée à son tour. »

Il songea qu’Arâta Kâlâma tendait à la pureté de la vie, avait l’intelligence claire, et aurait plaisir à propager la science acquise. Et il eut cette pensée : « Où est Arâta Kâlâma, maintenant ? » Mais il connut qu’Arâta Kâlâma était mort depuis trois jours. Et il se dit :

« Arâta Kâlâma, sans doute, a beaucoup perdu d’être mort avant d’avoir entendu la loi. »

Il réfléchit encore, et il se rappela que jadis cinq disciples de Roudraka s’étaient attachés à lui. Ils étaient purs, ils étaient actifs, et ils comprendraient certainement la loi. Le Bienheureux connut, par la pensée, que les cinq disciples de Roudraka vivaient à Bénarès, dans le Parc aux gazelles. Et il marcha vers Bénarès.

Au mont Gaya, il rencontra un moine nommé Oupaka. À l’aspect du Bienheureux, Oupaka ne put retenir un cri d’admiration.

« Que tu es beau, dit-il, que le teint de ton visage est éclatant ! Un fruit mûr est moins brillant que toi, et tu sembles un clair automne. Puis-je te demander, seigneur, qui fut ton maître ?

— Je n’ai pas eu de maître, répondit le Bienheureux. Aucun être n’est pareil à moi ; seul, je suis sage, calme, incorruptible.

— Tu es donc un grand maître ! reprit Oupaka.

— Oui, je suis le seul maître en ce monde, et, parmi les Dieux ni les hommes, je n’ai point de semblable.

— Où vas-tu ? demanda encore Oupaka.

— J’irai à Bénarès, dit le Bienheureux, et là j’allumerai la lumière qui éclairera le monde, la lumière qui éblouira les yeux même des aveugles. J’irai à Bénarès, et là je battrai le tambour qui éveillera les êtres, le tambour qui frappera les oreilles même des sourds. J’irai à Bénarès, et là j’enseignerai la loi. »

Il continua sa route, et il arriva sur le bord de la Gangâ. La rivière était très haute, et le Bienheureux chercha un batelier qui le passât. Il en vit un et lui dit :

« Veux-tu, ami, me faire traverser la rivière ?

— Je veux bien, répondit le batelier ; mais donne-moi d’abord le prix du passage.

— Je n’ai pas de quoi payer, » reprit le Bienheureux. Et aussitôt, par les airs, il vola vers l’autre rive.

Le batelier fut tout triste. Il s’écriait : « Je n’ai pas fait passer la rivière à un homme aussi vénérable ! Malheur ! malheur ! » Et il se roulait à terre, misérablement.