La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 18
XVIII
Le Maître, après avoir séjourné quelque temps à Çrâvastî, jugea bon de reprendre le chemin de Râjagriha, où l’attendait le roi Vimbasâra.
Or, comme il se reposait dans un village, à mi-route, il vit sept hommes qui venaient à lui. Il les reconnut : six étaient de ses parents ; ils se nommaient Anourouddha, Bhadrika, Bhrigou, Kimbila, Devadatta et Ananda, et ils étaient des plus puissants et des plus riches parmi les Çâkyas ; le septième était un barbier, du nom d’Oupâli.
Anourouddha s’était dit un jour qu’il était honteux pour les Çâkyas qu’aucun d’eux n’eût suivi le Bouddha, et il avait résolu de donner un pieux exemple. Il crut bon de ne point taire son projet, et il s’en ouvrit d’abord à Bhadrika, qui était son meilleur ami. Bhadrika approuva fort Anourouddha, et même, à la réflexion, il pensa qu’il devait l’imiter. Ananda et Bhrigou, Kimbila et Devadatta s’étaient, eux aussi, laissé persuader, les uns par Bhadrika, les autres par Anourouddha, que nul état n’était préférable à celui de moine.
Les six princes se mirent donc en route pour joindre le Bouddha ; mais, à peine étaient-ils sortis de Kapilavastou, qu’Ananda dit à Bhadrika :
Eh quoi, Bhadrika, tu veux vivre la vie sainte, et tu as gardé tes bijoux ? »
Bhadrika rougit d’abord ; mais il vit qu’Ananda n’avait, non plus que lui, dépouillé ses parures ; il rit alors, et répondit seulement : « Regarde-toi, Ananda. »
Et ce fut Ananda qui rougit.
Cependant, ils entre-regardèrent, et ils s’aperçurent qu’aucun d’eux n’avait quitté ses bijoux. Ils étaient très confus ; ils baissaient les yeux, et ils n’osaient parler, quand les croisa le barbier Oupâli.
« Barbier, lui dit Ananda, prends mes bijoux, je te les donne.
— Prends aussi les miens, » dit Bhadrika.
Tous imitérent Ananda et Bhadrika et tendirent leurs bijoux à Oupâli. Lui ne savait que répondre : pourquoi les princes, qui ne le connaissaient guère, lui faisaient-ils un pareil don ? Devait-il l’accepter ? Devait-il le refuser ? Anourouddha comprit l’hésitation du barbier et il lui dit :
« Tu peux accepter nos bijoux sans crainte. Nous nous rendons auprès du grand ascète qui est né parmi les Çâkyas, auprès de Siddhârtha, qui, maintenant, est devenu Bouddha. Il nous enseignera la science, et nous nous soumettrons à sa discipline.
— Princes, demanda le barbier, allez-vous donc vous faire moines ?
— Oui, » lui fut-il répondu.
Il prit alors les bijoux. Il fit quelques pas vers la ville ; mais, tout à coup, il pensa : « J’agis en fou. Qui croira que des princes m’ont, ainsi, comblé de richesses ? On me traitera de voleur, d’assassin peut-être. Le moins qui puisse m’arriver est d’étre en butte à la haine des Çâkyas. Je ne garderai pas les bijoux. » Il les pendit à un arbre, sur le bord du chemin. Et il pensa encore : « Ces princes donnent un noble exemple. Ils ont eu le courage de quitter leurs palais, et moi, qui ne suis rien, j’aurais la faiblesse de rester dans ma boutique ? Non. Je vais les suivre. Comme eux, je verrai le Bouddha, et puisse-t-il m’admettre parmi les moines ! »
Il suivit les princes. Il n’osait pas se joindre à eux. Mais Bhadrika, par hasard, vint à tourner la tête. Il aperçut Oupâli. Il l’appela.
« Pourquoi, barbier, as-tu dédaigné nos bijoux ? demanda-t-il.
— Comme vous, répondit le barbier ; je veux me faire moine.
— Marche donc avec nous », reprit Bhadrika. Mais Oupâli se tenait encore en arrière des princes. Anourouddha lui dit :
« Marche sur le même rang que nous, barbier. La vertu seule et l’ancienneté mettent quelque différence entre les moines. Il faudra même, quand nous serons en face du Bienheureux, que tu lui parles le premier, que tu lui demandes, le premier, à être admis parmi les moines. Les princes, en te cédant le pas, prouveront qu’ils ont dépouillé tout l’orgueil des Çâkyas. »
Ils continuèrent leur route. Et, tout à coup, voici qu’un faucon fondit sur la tête de Devadatta. On remarqua alors que, dans les cheveux, il avait gardé un diamant. On connaissait sa vanité, on en sourit. Le faucon emporta le diamant. Devadatta maintenant n’avait plus de bijou, mais ses compagnons se demandaient, en eux-mêmes, si sa foi était sincère.