La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 17

L’Édition d’art (p. 174-179).



XVII


Le Maître était à Râjagriha quand y arriva un riche marchand de Çrâvasti, nommé Anâthapindika. Anâithapindika était très pieux, et, dès qu’il eut appris qu’un Bouddha habitait dans le Bois des bambous, il brûla du désir de le voir.

Un matin, il se rendit au Bois, et, dès qu’il y fut entré, une voix divine le guida vers le Maître. Il fut accueilli par des paroles bienveillantes, il fit un don magnifique à la communauté, et le Maître lui promit d’aller bientôt à Çrâvasti.

Quand il fut de retour chez lui, Anâthapindika se demanda où il pourrait recevoir le Bienheureux. Ses jardins ne lui semblaient pas dignes d’un pareil hôte. Le plus beau parc de la ville appartenait au prince Jéta : il résolut de l’acheter.

« Je veux bien te vendre mon parc, lui dit Jéta, mais il faudra que tu en couvres de pièces d’or le sol entier. »

Le marché fut conclu. Anâthapindika fit apporter au parc des pièces d’or, par chariots ; il ne restait plus à couvrir qu’une petite bande de terre, quand Jéta, tout heureux, s’écria :

« Le parc est à toi, marchand ; je te donne avec joie la bande qui n’est pas encore couverte. »

Anâthapindika fit préparer pour le Maître le parc de Jéta, puis il envoya le plus fidèle de ses serviteurs le prévenir, au Bois des bambous, qu’on pourrait, maintenant, le recevoir à Çrâvastî.

« Vénérable, dit le messager, mon maître se prosterne à tes pieds ; il espére que l’inquiétude et la maladie t’ont épargné, et qu’il ne te répugne pas de tenir la promesse que tu lui as faite. Tu es attendu à Çrâvastî, vénérable. »

Le Bienheureux n’avait pas oublié la promesse faite au marchand Anâthapindika ; il tenait à l’accomplir ; aussi dit-il au messager : « J’irai. »

Il laissa passer quelques jours, puis il prit son manteau et son vase à aumônes, et se mit en route vers Çrâvastî. De nombreux disciples l’accompagnaient. Le messager le précéda, pour annoncer au marchand qu’il arrivait.

Anâthapindika jugea bon d’aller à la rencontre du Maître. Sa femme, son fils, sa fille le suivaient, ainsi que les plus riches habitants de la ville. Tous furent éblouis quand parut le Bouddha ; il semblait marcher sur un chemin d’or fluide.

Il fut conduit au parc de Jéta, et Anâthapindika lui dit :

« Seigneur, que ferai-je de ce parc ?

— Donne-le à la communauté, pour le présent et pour l’avenir, » répondit le Maître.

Anâthapindika fit apporter un vase d’or, plein d’eau ; il versa l’eau sur les mains du Maître, et il dit :

« Je donne ce parc à la communauté dont est chef le Bouddha, pour le présent et pour l’avenir.

— C’est bien, dit le Maître. J’accepte le don. Ce parc sera pour nous un heureux asile ; nous y vivrons en paix, abrités du chaud et du froid. Les animaux méchants n’y entrent pas ; on n’y entend point le sifflement des moustiques ; on y est protégé de la pluie, du vent âpre et du soleil violent. Ce parc est propice au rêve ; nous saurons y méditer longuement. Il sied de faire à la communauté de pareils dons. L’homme sensé, celui qui ne néglige point ses intérêts, doit donner aux moines d’honnêtes demeures ; il doit leur donner le manger et le boire ; il doit leur donner des vêtements. Les moines, en récompense, lui enseigneront la loi, et celui qui connaît la loi est délivré de ses fautes et parvient au nirvana. »

Le Bouddha et ses disciples s’établirent dans le parc de Jéta.

Anâthapindika était heureux ; mais, un jour, il eut de graves réflexions :

« On me loue très haut, pensait-il ; et, pourtant, qu’ont mes actes de si admirable ? Je fais des dons au Bouddha et aux moines, et j’acquiers ainsi des droits aux récompenses futures : mais ma vertu ne profite qu’à moi. Il faut que j’amène d’autres êtres à partager mes droits. J’irai par les rues de la ville, et, de ceux qui passeront, je recueillerai des offrandes volontaires pour le Bouddha et pour les moines. Ils seront nombreux, alors, ceux qui participeront au bien que je ferai. »

Il alla trouver le roi de Çrâvastî, Prasénajit, qui était un homme juste et sage. Il lui dit ce qu’il comptait faire et il fut approuvé. Un héraut royal parcourut la ville en proclamant ceci :

« Écoutez, habitants de Çrâvastî. Dans sept jours, le marchand Anâthapindika, monté sur un éléphant, se promènera dans les rues de la ville. À tous il demandera des aumônes qu’il offrira ensuite au Bouddha et à ses disciples. Que chacun de vous lui donne ce qu’il pourra. »

Anâthapindika, le jour venu, monta sur le plus beau de ses éléphants ; il alla par les rues, et, de tous, il sollicitait des offrandes qu’il remit au Maître et à la communauté. On se pressait autour de lui : celui-ci donnait de l’or, celui-là de l’argent ; une femme détachait son collier, une autre son bracelet, une troisième l’anneau qui parait sa cheville. Les dons les plus humbles étaient acceptés.

Or, il y avait dans Çrâvastî une jeune fille qui était très pauvre. En trois mois, elle avait péniblement gagné de quoi acheter une pièce d’étoffe grossière, et elle venait de s’en faire une robe. Elle vit Anâthapindika et la foule qui l’entourait.

« Le marchand Anâthapindika me semble mendier, dit-elle à un passant.

— Il mendie, en effet, lui fut-il répondu.

— On le prétend l’homme le plus riche de Çrâvastî. Pourquoi donc mendie-t-il ?

— N’as-tu pas entendu la proclamation que fit un héraut royal, il y a sept jours ?

— Non pas.

— Ce n’est pas pour lui que mendie Anâthapindika. Il veut que tous aient leur part dans le bien qu’il fait, et c’est pour le Bouddha et ses disciples qu’il recueille des offrandes. Qui lui donne aura droit aux récompenses futures. »

La jeune fille se dit : « Je n’ai jamais accompli d’acte méritoire. Il me serait bon de faire une offrande au Bouddha. Mais je suis bien pauvre. Qu’ai-je à donner ? » Elle marchait, toute pensive. Elle regarda sa robe neuve : « Je n’ai que ma robe à donner. Mais je ne puis aller nue par la ville. »

Elle rentra chez elle, ôta sa robe, et guetta à la fenêtre le passage d’Anâthapindika ; et, quand elle vit le marchand devant sa maison, elle lui jeta la robe. Il la prit et la montra à des serviteurs.

« La femme qui m’a jeté cette robe, dit-il, n’avait pas d’autre bien, sans doute ; il faut qu’elle soit nue pour ne point sortir de chez elle, et faire son aumône par la fenêtre. Allez, et tâchez de la trouver et de savoir qui elle est. »

Les serviteurs eurent quelque peine à trouver la jeune fille ; ils la virent enfin, et ils apprirent que leur maître avait supposé vrai : la robe jetée était toute la richesse de la pauvre enfant. Anâthapindika fut très ému, et à celle qui, par piété, s’était dépouillée d’une robe vulgaire, il fit apporter de nombreux habits, tous des plus beaux et des plus rares.

Elle mourut le lendemain, et elle alla renaître Déesse au ciel d’Indra. Mais elle n’oublia pas comment elle avait mérité une pareille récompense, et, une nuit, elle descendit sur terre et vint voir le Bouddha qui lui enseigna la loi sainte.