La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 16
XVI
La sage Gopâ regardait un jour son fils Râhoula.
« Que tu es beau, mon enfant ! lui disait-elle. Quelle clarté brille déjà dans tes yeux ! Ton père te doit un pieux héritage, et il faudra que tu ailles le lui réclamer. »
La mère et l’enfant montèrent sur la terrasse du palais. Le Bienheureux passait dans la rue. Gopâ dit à Râhoula :
« Râhoula, tu vois ce moine ?
— Oui, mère, répondit l’enfant. Il a le corps tout doré.
— Il est beau comme les Dieux du ciel. C’est une sainte lumière qui lui dore la peau. Aime-le, mon enfant, aime-le, il est ton père. Jadis, il possédait de grands trésors, il avait des métaux précieux et d’éclatantes pierreries ; maintenant, il va de maison en maison, mendiant sa nourriture : mais il a conquis un trésor merveilleux : il s’est éveillé à la science suprême. Descends, mon fils. Dis-lui qui tu es, et demande-lui ton héritage. »
Râhoula obéit à sa mère. Il fut vite auprès du Bouddha. Il se sentait tout heureux.
« Moine, dit-il, il est doux d’être à ton ombre. »
Et comme le Maître le regardait d’un œil bienveillant, il marcha à son côté. Il se souvint des paroles de sa mère, et il dit :
« Seigneur, je suis ton fils. Je sais que tu possèdes le plus riche des trésors. Père, donne-moi mon héritage. »
Le Maître sourit. Il ne répondit rien. Il continuait à mendier son repas. Mais Râhoula ne l’abandonnait point. Il le suivait et ne cessait de répéter :
« Père, donne-moi mon héritage. »
Le Maître parla enfin :
« Tu ne sais pas, enfant, de quelle nature est le trésor qu’on t’a vanté. En me réclamant ton héritage, tu crois me réclamer quelques biens périssables. Comme trésors, tu connais ceux-là seulement qu’adore la vanité humaine, et que ravit aux faux riches l’âpre avidité de la mort. Mais pourquoi te laisserais-je dans l’ignorance ? Tu as raison, Râhoula, de me réclamer ton héritage. Tu auras ta part des joyaux qui sont les miens. Tu verras les sept joyaux, tu connaîtras les sept vertus, et tu sauras ce que valent la foi et la pureté, la modestie et la pudeur, l’obéissance et le renoncement et la sagesse. Viens, et je te confierai au pieux Çâripoutra, pour qu’il t’instruise. »
Râhoula accompagna son père. Gopâ était heureuse. Seul, le roi Çouddhodana s’attrista : tous les siens l’abandonnaient ! Et il ne put cacher au Maître sa pensée :
« Ne t’afflige pas, répondit le Maître. Le trésor est si grand auquel participeront ceux qui m’écoutent et qui me suivent ! Supporte silencieusement tes peines ; sois pareil à l’éléphant qui, dans la bataille, est blessé d’une flèche ennemie : on ne l’entend point gémir. Les rois, dans les batailles ; montent des éléphants domptés ; parmi les hommes, le meilleur de tous est celui qui a su se dompter, celui qui supporte silencieusement ses peines. Celui qui a dompté ses sens comme on dompte des chevaux, celui qui n’a plus d’orgueil, celui-là est envié des Dieux. Il ne commet pas de mauvaises actions. Ni aux grottes de la mer ni aux cavernes des montagnes tu ne pourras fuir les actions mauvaises ; elles s’attachent à tes pas, elles te brûlent, tu ignores le repos, insensé ! Mais, si tu as fait le bien, quand tu quittes la terre, tes bonnes œuvres t’accueillent, comme tes amis au retour d’un long voyage. Nous vivons dans la joie parfaite, nous qui, parmi les hommes haineux, restons sans haine. Nous vivons dans la joie parfaite, nous qui, parmi les hommes malades, restons sans maladie. Nous vivons dans la joie parfaite, nous qui, parmi les hommes las, restons sans lassitude. Nous vivons dans la joie parfaite, nous qui ne possédons rien. Nous avons la gaieté pour nourriture, et nous sommes pareils aux Dieux éblouissants. Le moine qui demeure en un lieu solitaire garde une âme pleine de paix, et, contemplant de son œil clair la vérité, il goûte un bonheur surhumain. »
Ayant, par de telles paroles, consolé le roi Çouddhodana, le Bienheureux quitta Kapilavastou et revint à Râjagriha.