La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 14

L’Édition d’art (p. 165-167).


XIV


Bientôt, les femmes qui étaient dans le palais vinrent rendre hommage au Maître. Seule, Gopâ était absente. Le roi s’en étonna.

« Je lui ai demandé de nous accompagner, dit Mahâprajâpatî. « Je ne vous accompagnerai pas, nous a-t-elle répondu. Je ne sais si, par ma vertu, j’ai mérité de voir mon époux. Si je n’ai pas commis de faute, de lui-même il viendra à moi, et je lui témoignerai alors tous les respects qui lui sont dus. »

Le Maître se leva et il alla vers la chambre où se tenait Gopâ. Elle avait quitté les robes précieuses et les voiles délicats ; elle avait jeté loin d’elle les bracelets et les colliers ; elle portait un vêtement rougeâtre, d’une étoffe grossière. De la voir ainsi vêtue, il eut un sourire de bonheur. Elle se jeta à ses genoux et l’adora.

« Tu vois, dit-elle, j’ai voulu m’habiller comme tu es habillé, et, pour l’imiter, j’ai voulu connaître ta vie. Tu ne prends de nourriture qu’une fois dans la journée, et je ne prends de nourriture qu’une fois dans la journée. Tu as renoncé à dormir dans un lit : jette les yeux autour de toi ; tu ne verras pas de lit, et voici le banc où je dors. J’ignorerai désormais les parfums, et je ne veux plus mêler de fleurs à mes cheveux.

— Je savais ta vertu, Gopâ, répondit le Maître. Je te loue de n’y avoir pas manqué. Combien de femmes, au monde, auraient la force d’agir comme toi ? »

Et, après s’être assis, il parla :

Certes, il faut se défier des femmes. Pour une qui soit sage et bonne, on en trouverait plus de mille qui sont folles et méchantes. La femme est plus secrète que le chemin où, dans l’eau, passe le poisson ; elle est féroce comme le brigand, comme lui elle est rusée ; il est rare qu’elle dise la vérité, car, pour elle, le mensonge est pareil à la vérité, la vérité pareille au mensonge. Souvent, j’ai conseillé à mes disciples d’éviter les femmes. Je n’aime pas qu’on leur parle. Toi, pourtant, Gopâ, tu n’es point fausse ; je crois à ta vertu. La vertu est une fleur difficile à trouver ; pour la voir, pour la cueillir, il faut qu’une femme ait des yeux très clairs, une main très pure. Mâra cache sous des fleurs des flèches aiguës : que de femmes aiment les fleurs perfides, les fleurs qui leur font des blessures inguérissables ! Les malheureuses ! Elles ne savent pas que le corps est de l’écume légère ; elles s’attachent à ce monde, et le jour vient où les saisit le roi de la mort. Le corps est moins consistant qu’un mirage : qui sait cela brise la flèche fleurie de Mâra, qui sait cela ne verra jamais le roi de la mort. Tel le torrent, grossi par l’orage, emporte le village endormi, telle la mort emporte celle qui va cueillant des fleurs, l’esprit distrait. Cueille des fleurs, ô femme : jouis de leurs couleurs, enivre-toi de leurs parfums : la mort te guette et tu ne seras pas rassasiée encore, que tu seras sienne. Songe à l’abeille : elle va de fleur en fleur, et, sans nuire à aucune, elle emporte le suc dont elle fera le miel. »