La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 13

L’Édition d’art (p. 162-165).



XIII


Le lendemain le Maître parcourut la ville, pour y mendier sa nourriture. Il allait de maison en maison. Il fut bientôt reconnu, et les habitants de Kapilavastou se disaient entre eux :

« Voici vraiment un spectacle étrange. Le prince Siddhârtha, qui, jadis, passait dans les rues sous des habits magnifiques, vêtu maintenant comme le plus humble des moines, s’en va de porte en porte, mendiant son repas ! »

Et l’on se pressait aux fenêtres, l’on montait aux terrasses, et l’on ne pouvait se retenir d’admirer le mendiant.

Une servante de Gopâ, en sortant du palais, demanda de quoi la ville était émue. On le lui apprit. Elle rentra aussitôt et courut à sa maîtresse :

« Ton époux, dit-elle, le prince Siddhârtha, va par la ville, en moine mendiant ! »

Gopâ tressaillit. « Ah, pensa-t-elle, celui qui, autrefois, malgré l’or qui le parait, était brillant de lumière, n’a plus que des habits grossiers ; il n’a pour parure, que l’éclat divin de sa personne. »

Et elle soupira : « Comme il doit être beau ! »

Elle monta sur la terrasse du palais. Parmi un peuple nombreux, le Maître approchait. Il répandait autour de lui une clarté majestueuse. Gopâ tremblait de joie, et d’une voix fervente elle chanta :

« Lumineuse et douce est sa chevelure ; comme le soleil son front est brillant ; ses larges regards sourient et rayonnent ; parmi l’or du ciel marche le lion ! »

Elle chercha le roi :

« Seigneur, dit-elle, ton fils, plus beau qu’il ne le fut jamais, va par les rues de Kapilavastou. Il mendie, et la foule le suit et l’admire. » Troublé, Çouddhodana sortit. Il trouva son fils, et lui dit :

« Que fais-tu ? Pourquoi mendier ton repas ? Ne sais-tu pas que je t’attends dans ma demeure, et que tes disciples peuvent t’y accompagner ?

— Il faut que je mendie ; il faut que j’obéisse à la loi, répondit le Bienheureux.

— Dans la race guerrière des Çâkyas, il n’y eut jamais de mendiant, reprit le roi.

— Tu appartiens à la race des Çâkyas ; moi, à travers les existences passées, j’ai cherché la science suprême ; j’ai connu la beauté de l’aumône ; j’ai eu la joie de me donner moi-même. Au temps où j’étais l’enfant Dharmapâla, la reine, ma mère, jouait un jour avec moi, et elle en oublia de saluer, au passage, mon père, le roi Brahmadatta. Il pensa que de ma souffrance elle souffrirait plus que de la sienne, et, pour la punir, il ordonna de me couper les mains. Ma mère eut beau supplier et tendre ses mains au supplice, mon père fut inflexible, et on lui obéit. Je souriais et, de me voir sourire, ma mère sourit aussi. Mon père voulut alors qu’on me coupât les pieds. Sa volonté fut faite, je souriais encore. Rugissant de colère, il cria : « Qu’on lui coupe la tête ! »

Ma mère, tremblante, s’humilia à ses genoux :

« Prends ma tête, mais épargne ton fils, ô roi ! » implorait-elle. Le roi cédait, quand je parlai, de ma voix enfantine : « Mère, pour ton salut je donne ma tête ; et, quand je serai mort, qu’on expose mon corps sur une pique : je le donne en pâture aux oiseaux du ciel. » Et, comme le bourreau me saisissait aux cheveux, j’ajoutai : « Puissé-je devenir Bouddha, et délivrer les êtres qui naissent et qui meurent dans les mondes ! » Et voilà, roi Çouddhodana, voilà que je me suis éveillé à la sagesse ; je suis Bouddha, je connais le chemin qui mène à la délivrance ; ne me trouble pas dans mon œuvre. Qu’on se tienne éveillé, qu’on ait l’esprit actif ; qu’on suive le chemin sacré de la vertu ; il dort en paix, celui dont la vie est pieuse, il dort, sur cette terre, et dans les autres mondes ! »

Le roi Çouddhodana sanglotait d’admiration. Et le Bouddha lui dit encore :

« Que, de la vertu fausse, on discerne la vraie, et que, du chemin faux, on discerne le vrai. Il dort en paix celui dont la vie est pieuse, il dort, sur cette terre, et dans les autres mondes ! »

Le roi embrassa les genoux de son fils : il croyait pleinement en lui. Le Bienheureux sourit doucement, et, pour prendre son repas, il entra au palais de son père.