La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 10



X


Cependant, le roi Çouddhodana avait appris que son fils, après être arrivé à la science suprême, vivait à Râjagriha, dans le Bois des bambous. Il brûlait du désir de le revoir. Il lui envoya un messager, pour lui dire : « Ton père, le roi Çouddhodana, a l’ardent désir de te voir, ô Maître. »

Quand le messager arriva au Bois des bambous, le Maître disait aux disciples :

Voici une forêt au penchant d’une montagne, et, au pied de la montagne, un étang vaste, un étang profond. Au bord de l’étang vivent, en harde, des bêtes sauvages. Un homme survient qui veut le mal de ces bêtes, qui veut leur souffrance, qui veut leur perte. Il ferme le bon chemin, le chemin par où l’on s’éloignerait, sans danger, de l’étang, et il ouvre un chemin perfide, qui aboutit à un affreux marécage. Des lors, la harde sera en péril, et peu à peu, elle périra. Mais qu’un homme survienne, au contraire, qui veuille le bien des bêtes sauvages, qui veuille leur santé, qui veuille leur prospérité. Il détruira le chemin perfide qui aboutit au marécage, et il ouvrira un chemin sûr, vers le calme sommet de la montagne. Alors, la harde ne courra plus aucun danger, et, sans cesse, elle croîtra en nombre et en force. Comprenez, ô disciples, ce que je viens de vous dire. Comme la harde au bord de l’étang vaste et profond, les hommes vivent auprès des plaisirs. Celui qui veut leur mal, leur souffrance et leur perte, c’est Mâra le Malin. Le marécage où périssent les êtres, c’est la jouissance, c’est le désir, c’est l’ignorance. Celui qui veut le bien, la santé, la prospérité de tous, c’est le Parfait, le Saint, le bienheureux Bouddha. Par moi, disciples, a été ouvert le chemin sûr ; par moi a été détruit le chemin perfide. Vous n’irez pas au marécage ; vous monterez au clair sommet de la montagne. Tout ce que peut faire un maître qui a pitié de ses disciples, un maître qui veut le bien de ses disciples, je l’ai fait pour vous, ô mes disciples. »

Le messager écouta le Maître ; il fut ravi de sa parole, il se jeta à ses genoux, et il dit :

« Reçois-moi parmi tes disciples, ô Bienheureux. »

Le Maître étendit les mains et dit :

« Viens, moine. »

Le messager se releva, et, aussitôt, ses habits prirent, d’eux-mêmes, la forme et la couleur qu’ont les habits des moines. Il oublia tout du monde, et il ne dit point au Maître le désir de Çouddhodana.

Le roi se lassa d’attendre le retour du messager. Chaque jour faisait plus vif le désir qu’il avait de revoir son fils, et il dépêcha un nouveau messager vers le Bois des bambous. Mais de cet homme encore il attendit vainement le retour. Neuf fois il envoya des messagers au Bienheureux ; neuf fois, les messagers, à entendre la parole sacrée, résolurent de devenir moines.

Çouddhodana, enfin, fit appeler Oudâyin.

« Oudâyin, lui dit-il, tu sais que, des neuf messagers qui sont partis pour le Bois des bambous, pas un n’est revenu, pas un ne m’a fait savoir comment on avait accueilli mon message. J’ignore même s’ils ont parlé à mon fils, s’ils l’ont vu. Je suis très triste, Oudâyin. Je suis vieux. Je sens que la mort me guette. J’espère demain vivre encore, mais il serait téméraire de songer aux saisons lointaines. Pourtant, avant de mourir, je voudrais bien revoir mon fils. Autrefois, Oudâyin, tu étais son meilleur ami ; va le trouver, je ne connais point de messager qu’il reçoive mieux que toi. Dis-lui toute ma tristesse, dis-lui tout mon désir, et puisse-t-il n’y être pas insensible !

— J’irai donc, seigneur, » répondit Oudâyin.

Il partit. Il n’eut pas besoin d’être arrivé au Bois des bambous pour décider en lui-même qu’il se ferait moine. Mais les paroles du roi Çouddhodana l’avaient ému, et il pensait : « Je dirai au Maître la peine de son père, et, sans doute, il sera pris de pitié et il ira vers le vieillard. »

Le Maître vit avec joie Oudâyin se joindre à ses disciples.

L’hiver était à sa fin. Oudâyin jugeait le temps propice au voyage, et, un jour, il dit au Bouddha :

« Les arbres bourgeonnent ; voici que vont renaître les feuilles. Regarde parmi les branches briller le soleil aux doux rayons. Maître, le temps est bon pour voyager. Il ne fait plus froid, il ne fait pas trop chaud encore ; la terre est verte d’une herbe souriante. En route, on trouvera facilement de quoi vivre. Le temps est bon pour voyager. »

Le Maître regarda Oudâyin avec douceur, et lui demanda :

« Pourquoi m’engages-tu à voyager, Oudâyin ?

— Ton père, le roi Çouddhodana aurait grande joie à te voir, Maître. »

Le Bouddha réfléchit pendant un instant, et il reprit :

« J’irai à Kapilavastou, et je verrai mon père. »