La Vie du Bouddha (Foucher)/Chapitre XI

Payot (p. 295-323).

CHAPITRE XI

LE QUATRIÈME GRAND PÈLERINAGE

Oserons-nous, tout compte fait, prétendre qu’écritures et imagerie combinées nous permettent de restituer à distance de façon suffisamment sûre le déroulement de la mission salvatrice du « Précepteur des hommes et des dieux » ? Témoins trop tardifs, mais les seuls qui nous restent, ils nous aident du moins à nous représenter de la même façon que l’ont fait jadis ses fidèles son incessant labeur pendant cette période de « quarante-cinq » années, avant tout consacrée à l’organisation intérieure de sa Communauté et à sa protection contre les sectes rivales. Sur ce fond perpétuel d’exhortations ou de remontrances, de prédications ou de controverses, seulement coupé par l’alternance, selon les saisons, de voyages pédestres et de retraites sédentaires, se détachent çà et là, pareils à d’inconsistants îlots d’herbages flottant à la dérive sur un lac, quelques épisodes plus ou moins déformés ou même controuvés — disjecta membra d’une légende qui (répétons-le une dernière fois) n’a jamais réussi à se constituer en une biographie suivie et cohérente. Cependant le temps a passé, inexorable ; et conformément à la loi constamment proclamée par lui de l’impermanence de toutes choses humaines, le Maître vieilli penche vers son déclin. L’heure de la séparation définitive approche ; et, comme on pouvait s’y attendre, l’amertume de sa perte grave dans la mémoire de ses disciples la succession des incidents qui marquèrent ses derniers jours. Ainsi le regret et le chagrin font pour la fin de sa carrière ce que la joie et l’enthousiasme avaient fait pour ses triomphants débuts. Il ne tient qu’à nous de le suivre pas à pas jusqu’au lieu du dernier des quatre Grands miracles et des quatre Grands pèlerinages, celui de l’Ultime trépas. Nous possédons en effet de sa suprême année une relation d’une antiquité et d’une authenticité relatives, mais qui du moins est détaillée, continue et se déroule dans un cadre parfaitement précisé[1].

Est-il nécessaire, pour en convaincre les incrédules, d’appeler une fois de plus la géographie à la rescousse de l’histoire ? Rien n’est plus facile que de reporter sur la carte à la lumière de nos sources, depuis Bodh-Gayâ jusqu’à Çrâvastî, ce qu’on pourrait appeler la voie sacrée des pèlerins bouddhistes : car elle ne réunissait pas moins de six villes saintes sur huit et ne laissait en dehors de son tracé que la cité, commune à toutes sectes, de Bénarès, et le pèlerinage, aussi suspect qu’aberrant, de Sânkâçya. Du village de l’Illumination parfaite à Râdjagriha par Gayâ[2], la route nous est déjà familière ; de là au Gange on comptait trois jours de marche et, à partir de la rive nord du Grand fleuve, trois jours de plus jusqu’à Vaïçâlî (Basârh). Sept étapes plus loin (leur nom à toutes nous a été transmis), on atteignait le bourg de Kouçinagara (aujourd’hui Kasia), auquel devait échoir l’honneur inattendu d’être le lieu saint du Parinirvâna. Au total entre Râdjguir et Kasia la distance était estimée à 25 yodjana. Un trajet à peu près égal séparait le site de l’Ultime trépas de celui de l’Ultime naissance près de Kapilavastou, et égrenait en route trois grandes stations. La première arrêtait le pèlerin devant le « stoupa de la Braise » et la troisième devant celui de Râmagrâma[3] : nous ne tarderons pas à apprendre les raisons de la vénération particulière qui s’attachait à ces deux tumuli. Entre eux un groupe de sanctuaires marquait la place traditionnelle où le Bodhisattva, lors de son évasion de sa ville natale, avait donné congé à son écuyer et à son cheval. Sur les douze yodjana qu’il restait encore à couvrir entre Roumindei (Loumbinî) et Saheth-Maheth (Çrâvastî) on ne nous signale rien qui concerne Çâkya-mouni, mais on montrait des monuments qui étaient censés remonter aux Bouddhas, ses prédécesseurs.

Tel était l’itinéraire, plus tard jalonné de colonnes par la dévotion d’Açoka, que le Bouddha avait suivi en sens inverse lors de son Départ de la maison, et qu’il entreprit de couvrir une fois encore en dépit du nombre de ses ans. Selon toute apparence, sentant sa fin prochaine, le désir lui était venu de retourner au pays de son enfance et de revoir du fond de son ermitage favori du Djêtavana les neiges éternelles des cimes himâlayennes. Sa jeunesse sportive, sa vie de plein air et l’exercice quotidien de la marche, joints à la robustesse de sa constitution, l’avaient jusqu’alors entretenu en bonne santé : du moins ne nous parle-t-on que d’indispositions sans gravité et dont le médecin Djîvaka n’a aucune peine à le guérir. Une étape quotidienne de quinze ou vingt kilomètres n’était pas pour effrayer sa verte vieillesse. Toutefois il avait trop présumé de ses forces, et la mort devait le surprendre à mi-chemin. C’est dans un village des environs de Vaïçâlî où il s’était arrêté pour passer la saison des pluies qu’il fut atteint d’une première et violente attaque de la dysenterie à laquelle il devait finalement succomber. Par un effort de volonté il surmonte son mal et reprend courageusement la route. Six étapes plus loin, à Pâvâ, un écart de régime imposé à sa bonne grâce par un zélateur aussi maladroit que bien intentionné lui cause une grave rechute. Toutefois il ne devait se coucher pour ne plus se relever qu’à l’étape suivante, la septième, celle de Kouçinagara. Telle est la trame sur laquelle la légende s’est naturellement crue obligée de broder de prétendus ornements. Ceux d’entre les chronologues bouddhistes qui voulaient que le Bouddha fût mort le huitième jour de la seconde quinzaine du mois de karttika (octobre-novembre) considéraient sans doute qu’il avait dû se remettre en chemin, au départ de Vaïçâlî, dès la fin de la saison-des-pluies. D’autres lui accordaient un sursis de quelques mois et le laissaient séjourner à Vaïçâlî jusqu’au début de la seconde saison favorable au voyage, à savoir le printemps ; selon eux il ne serait mort qu’en vaiçâkha (avril-mai) de l’année suivante[4] ; mais leur but était évidemment de dater le quatrième Grand miracle du même mois que le premier. Ce détail, avec le temps, a beaucoup perdu de son importance et ne change d’ailleurs rien à la suite traditionnelle des événements.

La visite d’Adjâtaçatrou. — Quand le rideau se lève pour le dernier acte nous nous retrouvons une fois de plus transportés à la capitale du Magadha. La situation a de nouveau évolué : n’étant plus soumis à la néfaste influence de Dêvadatta, le roi parricide éprouve des remords de son crime et commence à redouter aux mains de son fils Oudâyibhadra le sort qu’il a lui-même infligé à son père et auquel, nous dit-on, il ne devait pas échapper à son tour. Ici se place un incident resté littérairement et artistiquement célèbre[5]. Les plus beaux clairs de lune de l’Inde sont ceux du début de l’automne, quand dans le ciel lavé de ses poussières par les pluies l’astre des nuits répand plus de lumière que n’en connaissent à la même époque de l’année bien des jours brumeux de nos pays. Le roi Adjâtaçatrou, en compagnie de sa cour, prend le frais sur sa haute terrasse le soir de la pleine lune d’octobre-novembre. Voyant la nuit si pure et sentant sa conscience si troublée, il soupire et se demande de quel saint brahmane ou çramane il pourrait solliciter et obtenir que lui soit rendue la paix du cœur. Bien entendu le rédacteur ne manque pas cette occasion de lui faire proposer tour à tour par ses ministres chacun des six maîtres hétérodoxes : mais le roi a déjà éprouvé leur insuffisance et ne se soucie pas de retourner auprès d’eux. Cependant son médecin Djîvaka garde le silence et c’est seulement sur un appel direct du monarque qu’il se décide à lui révéler que le Bouddha demeure en ce moment même dans son Parc-de-manguiers avec douze cent cinquante moines : « Que Votre Majesté aille lui rendre visite, et votre cœur retrouvera la paix. » Le roi donne aussitôt l’ordre de faire préparer cinq cents éléphants pour cinq cents de ses femmes, monte sur le sien et, à la lumière des torches, le cortège sort par la porte méridionale de la Ville-neuve de Râdjagriha. Il lui faut ensuite s’engager dans l’étroit défilé qui donne accès à l’enceinte de collines qui enserrait la vieille cité et tourner à gauche pour se rendre au Parc-de-manguiers du médecin ; et soudain le roi, n’entendant que le silence, se sent saisi de terreur : Djîvaka n’est-il pas en train de l’attirer dans un guet-apens ? Car comment s’expliquer que dans le voisinage d’une assemblée aussi nombreuse on ne perçoive pas le moindre bruit, ne serait-ce que d’une toux ? Djîvaka le rassure et lui montre de loin les lampes éclairant le grand pavillon circulaire qu’il a fait élever pour les réunions de la Communauté et où le Bouddha est assis, face à l’Est, près du poteau central, au milieu de ses moines. Après les salutations d’usage le monarque demande au Bienheureux la permission de lui poser une question, des plus inattendues en la circonstance, sur les profits petits et grands qu’on peut tirer de la profession d’ascète. Le Bienheureux satisfait abondamment sur ce point sa curiosité ; et voici qu’enfin le dénoûment de l’histoire se relie à son préambule. Après s’être déclaré convaincu et avoir fait profession de zélateur laïque, Adjâtaçatrou entre dans la voie des aveux : « J’ai commis une faute, Seigneur, dans ma folie, dans mon aveuglement, dans ma perversité : pour l’amour de la souveraineté j’ai fait périr mon père, cet homme vertueux, ce roi vertueux. Que le Bienheureux, Seigneur, accepte l’aveu de ma faute afin qu’à l’avenir je ne retombe plus dans le péché. — Il n’est que trop vrai, ô grand roi, que tu as commis une faute…, mais puisque tu la reconnais comme faute et que tu en fais amende honorable selon la règle, nous acceptons ton aveu. Tel est, ô grand roi, le bienfait de la Noble Discipline que quiconque, reconnaissant sa faute comme faute, en fait amende honorable selon la règle, celui-là ne retombe pas à l’avenir dans le péché ». Là-dessus le roi s’en retourna, apparemment rasséréné. Il ne faut toutefois pas croire que dans les idées bouddhiques confession entraîne ipso facto absolution pleine et entière[6]. Le monarque n’est pas pour autant sauvé. Ainsi que le Bouddha en fait aussitôt la remarque à ses moines, en dépit de sa contrition évidente, sa faute a empêché que, selon la formule consacrée, « se levât pour lui, sur la place même, la vision pure et sans tache de la vérité ».

De Râdjagriha à Vaïçâlî. — Il était nécessaire que nous fussions mis au courant du tour nouveau qu’ont pris les relations entre le Bouddha et le meurtrier de son vieil ami Bimbisâra pour comprendre l’entrée en matière du « Fascicule de l’Ultime trépas ». S’étant emparé du pouvoir au prix d’un crime, quel autre usage pourrait en faire Adjâtaçatrou que de tenter de l’étendre encore aux dépens des États voisins ? Déjà sans doute de graves traités sur la « Science de la politique[7] » avaient commencé à ériger en lois les pires instincts des despotes indiens et à cataloguer les moyens les plus propres à favoriser leurs ambitions qui renaissaient avec chaque saison sèche. Fils d’une infante du Vidêha[8], Adjâtaçatrou se réclamait-il des droits de sa mère pour soumettre à sa domination les pays qui bordaient la rive gauche du Gange, face au Magadha ? Il projette en tout cas d’asservir les Vridjis et, pour commencer, de s’en prendre au clan des Litchavis de Vaïçâlî, — et cela en dépit, ou peut-être à cause de leur richesse et de leur puissance qui lui portent ombrage. Mais avant de les envahir il désire savoir ce que le Bienheureux augurerait d’une telle entreprise : car la parole des Bouddhas se vérifie infailliblement. Il décoche donc aux fins d’information l’un de ses deux premiers ministres, le brahmane Varshakâra, auprès de Çâkya-mouni qui résidait à ce moment sur le Pic-des-Vautours. Et certes nous savons que le Maître a depuis longtemps dépouillé tous les belliqueux préjugés de sa caste, et qu’il est devenu le plus déterminé de tous les pacifistes : mais il connaît le monde et sait ce qui fait les nations fortes et respectées. À l’enquête du ministre il répond de façon indirecte par des contre-questions adressées à son fidèle Ânanda, debout à ses côtés et qui l’évente. Il s’enquiert auprès de son disciple de ce qu’il sait mieux que personne, à savoir de la façon dont se comportent entre eux les Vridjis ; et, par cet ingénieux détour, il définit pour le bénéfice de son interlocuteur les sept fondements inébranlables de leur prospérité. Tant qu’ils continueront à tenir des assemblées fréquentes, à vivre en concorde, à observer leurs lois, à honorer les vieillards, à respecter les femmes, à vénérer leurs sanctuaires et à bien traiter les saints, ils resteront invincibles : or, c’est là justement ce qu’ils font. Politicien incorrigible, le ministre en conclut, non pas qu’il ne faut à aucun prix les attaquer, mais qu’il ne faut le faire qu’après avoir semé parmi eux la discorde ; et là-dessus il prend congé dans les termes habituels aux hommes d’État : « Allons, il me faut à présent partir, ô Gotama ; nous sommes très occupés et avons beaucoup à faire… » Nous ne tarderons pas d’ailleurs à le rencontrer à nouveau, et c’est en prévision de cette seconde entrevue que peut à la rigueur se justifier cette première entrée en scène de l’astucieux ministre.

Le passage que nous venons de lire mériterait sans doute d’être rappelé et médité en tout pays — notamment dans un pays que le lecteur français connaît bien — car il n’est que trop certain que le sort d’une patrie repose essentiellement sur la concorde entre ses citoyens[9]. Il n’en constituerait pas moins un étrange prologue pour un récit du dernier voyage du Bouddha, s’il ne trahissait dès le début la singulière façon dont a été composé ce livre. Non seulement son rédacteur a emprunté ce préambule à un autre texte, mais, quand il était en train, il a froidement copié ce texte jusqu’au bout, et il fait à présent énumérer au Maître, après les sept raisons de la prospérité des habitants de Vaïçâli, les (7 × 5) + 6 conditions de la prospérité de son Ordre. Et ainsi procède-t-il par la suite[10]. La relation du Parinirvâna n’est pour plus de la moitié qu’une mosaïque de ce que nous appellerions des « plagiats » tirés des Écritures et reliés entre eux par de courts passages narratifs, parfois même par la seule formule stéréotypée qui annonce automatiquement les déplacements successifs du Bouddha et dont nous rencontrons incontinent des exemples : « Et quand le Bienheureux eut séjourné à Râdjagriha tant qu’il lui plut, il dit au révérend Ânanda : Allons, Ânanda, rendons-nous à Amba-latthikâ (la Pépinière-de-manguiers) ». C’était la première étape (et, comme toutes les premières étapes, assez courte) dans la direction du Nord : le roi y possédait un pavillon de plaisance dans un parc de manguiers. C’est en ce lieu, où il avait déjà prononcé deux sermons célèbres[11], que le Bouddha s’installe une fois encore avec sa compagnie de moines, à laquelle il ne manque pas d’adresser le sermon accoutumé. « Puis, quand le Bienheureux eut séjourné tant qu’il lui plut à Amba-latthikâ, il dit au révérend Ânanda : Allons, Ânanda, rendons-nous à Nâlanda ». On se souvient que ce village qui devait devenir la grande université bouddhique de l’Inde médiévale, et où le Service archéologique de l’Inde a conduit des fouilles si fructueuses[12], était la patrie du grand disciple Çâripoutra. L’occasion a paru bonne au scribe de faire renaître celui-ci de ses cendres et, sans souci de se répéter, reprendre verbatim avec le Maître une de leurs anciennes conversations. Une troisième marche conduit enfin le Bouddha et son cortège jusqu’au bord du Gange, au village de Pâtali (Le Bignonia) où les zélateurs laïques organisent aussitôt une réception en son honneur : et là s’intercale une large tranche, d’ailleurs non dénuée d’intérêt, prélevée sur un vieux traité de Discipline[13].

Situé, comme l’a déjà noté Fa-hien, juste au-dessous du confluent de plusieurs puissantes rivières, le village de Pâtali (aujourd’hui Patna[14]) était de temps immémorial le grand lieu de passage du Moyen Gange. Son importance commerciale autant que stratégique était évidente. De fait il ne devait pas tarder à devenir sous le nom de Pâtalipoutra[15] (la Palibothra de Mégasthène) la capitale, célèbre jusqu’en Occident, de l’empire quasi pan-indien des Mauryas. Nous ne nous étonnerons donc pas d’y trouver les deux premiers ministres d’Adjâtaçatrou, Sounîdha et Varshakâra, en train d’y édifier une forteresse pour tenir en respect les Litchavis, maîtres de l’autre rive, et servir en même temps de base de départ à l’offensive qu’ils persistent à méditer. Nous admettrons sans plus de peine que le Bouddha ait pu prévoir le grand avenir réservé à leur fondation en même temps que les trois habituels dangers à redouter pour elle : inondation, incendie et discordes intestines. Comme la saison du printemps est déjà avancée, il ne peut être question de traverser le Gange à gué, de banc de sable en banc de sable : grossi par la fonte des neiges himâlayennes, le grand fleuve coule à pleins bords « si bien que les corneilles perchées sur ses rives n’ont qu’à se pencher pour y boire[16] ». Qu’à cela ne tienne : Çâkya-mouni le traversera donc en bac, et — encore un indice topographique précis — l’on continuera à signaler à la vénération des pèlerins la porte par laquelle il est sorti de la ville pour gagner l’embarcadère. Ainsi tout se passera le plus naturellement du monde : mais c’est justement là ce qu’un cœur dévotieux ne saurait souffrir, et les hagiographes y ont mis bon ordre. Tout d’abord le Bouddha ne se borne plus à prévoir la grandeur future de la nouvelle ville : il précise qu’elle deviendra une « métropole[17] » ; et, loin d’être fondée sur des raisons topographiques, sa prédiction lui est inspirée par le fait que son œil divin perçoit la multitude des génies qui hantent ce lieu prédestiné. Notez en passant que ce genre de divination est condamné ailleurs comme une forme de charlatanisme[18] indigne d’un vrai religieux : mais ici il n’importe, car ce qu’il faut obtenir à tout prix est que le fidèle reste bouche bée devant la prescience du Bouddha ; tant pis si les profanes seront plus tard en droit de soupçonner que la prophétie a été consignée par écrit après coup et rabaisseront d’autant la date du texte qui la relate. Voilà pour la ville ; passons aux ministres. Flattés de l’éloge adressé par Çâkya-mouni à leur perspicacité (il va jusqu’à dire qu’ils sont dans le secret des dieux pour avoir si bien choisi le site de leur nouvelle ville), ils ne peuvent moins faire que de l’inviter à dîner, lui et sa compagnie, et de décréter officiellement que la porte de la ville conduisant au Gange portera désormais le nom de « Porte de Gotama ». Enfin, tandis que chacun s’affaire à réunir des barques pour assurer le passage du Maître et de ses moines, on lui prête à nouveau, mais cette fois sans prétexte aucun, le miracle auquel il était censé avoir eu recours au temps de sa lointaine jeunesse, quand le passeur lui avait refusé l’accès de son bac : il disparaît de la rive droite du fleuve pour reparaître instantanément sur la rive gauche, lui et toute sa suite[19]. La vraisemblance achève d’être mise en déroute, mais l’édification est sauve ; et pour beaucoup là est l’essentiel.

Le rejet de la vie à Vaïçâlî. — Ne nous laissons pas arrêter par tant de billevesées et de redites : encore deux étapes et deux homélies, et nous arrivons à Vaïçâlî. Il va de soi que la réédition in extenso des visites et des donations de la courtisane Amrapâlî et des seigneurs Litchavis ne nous est pas épargnée[20] : mais voici enfin un peu d’inédit. La saison-des-pluies est proche ; le Bouddha recommande à ses moines de se disperser dans tous les villages des environs, au gré des amis et connaissances qu’ils y possèdent, afin d’y passer leur période annuelle de retraite[21] : lui-même choisit comme résidence le village de Belouva[22] :

Et chez le Bienheureux, quand il fut entré en retraite, une grande maladie se déclara, accompagnée de fortes, de mortelles douleurs : et lui, dans le recueillement de son âme, les supporta sans se plaindre. Et il pensa : « Il ne serait vraiment pas bien de ma part que je m’éteigne sans avoir parlé à mes disciples ni pris congé de la Communauté. Allons, il me faut virilement dompter cette maladie et par un sursaut de volonté vivre ce qui me reste de vie. » C’est ce qu’il fit, et la maladie se calma. Et dès qu’il fut convalescent le Bienheureux se leva, sortit de sa demeure et s’assit à l’ombre de celle-ci sur le siège préparé pour lui. Et le révérend Ânanda s’approcha de lui et, après l’avoir salué, s’assit à ses côtés : « Je vois, lui dit-il, Seigneur, que le Bienheureux est en voie de rétablissement. Bien que, du fait de la maladie du Bienheureux, mon corps fût comme défaillant et ma vue brouillée et obscurcie, néanmoins je trouvais quelque réconfort dans la pensée que le Bienheureux ne s’éteindrait pas sans avoir laissé ses instructions au sujet de la Communauté. — Que veut donc encore de moi la Communauté, ô Ânanda ? J’ai enseigné la Loi sans restriction aucune : car le Prédestiné n’est pas de ces maîtres qui gardent leur poing fermé[23] (sur certaines vérités qu’ils se réservent jalousement). Certes, ô Ânanda, celui qui penserait « C’est moi qui suis le directeur de la Communauté » ou « C’est moi qui suis le chef de la Communauté », celui-là assurément laisserait ses instructions au sujet de la Communauté ; mais telle n’est pas la pensée ni l’intention du Prédestiné. Me voici devenu un vieillard débile ; je suis au bout de ma route ; ma vie est à son terme, le chiffre de mes ans approche de quatre-vingts. De même, ô Ânanda, qu’un chariot usé ne marche qu’à condition d’être radoubé, ainsi, je pense, en est-il de mon corps. C’est seulement quand le Prédestiné demeure plongé dans la méditation la plus abstraite que son corps est à l’aise. Ainsi donc, ô Ânanda, soyez à vous-mêmes votre flambeau, soyez à vous-mêmes votre recours ; n’ayez d’autre flambeau que la Loi, d’autre recours que la Loi… »

Ainsi le Bouddha se serait défendu d’avoir jamais régenté ni voulu régenter la Communauté. Peut-être se faisait-il à lui-même quelque illusion sur ce point, et nous aurons à y revenir ; mais, pour l’instant, poursuivons notre lecture : elle nous réserve bien d’autres surprises. Notre texte va soudain se découvrir en complet désaccord avec tout le reste de la doctrine : mais quand une âme dévote a-t-elle reculé devant une contradiction ? Le grand leitmotiv de la prédication du Bouddha, on nous l’a sans cesse répété, était l’impermanence de toute chose humaine ; et voici que l’on se croit obligé de lui chercher des excuses pour s’être laissé mourir ! Assurément on ne pouvait oublier que le Maître avait constamment proclamé que tout ce qui naît est inexorablement voué à la mort ; et on ne pouvait davantage se dispenser de se rappeler qu’il avait lui-même promis à Mâra que, sa tâche achevée, il entrerait dans le Nirvâna sans reste ni retour. Mais tout cela était loin ; et l’idée qu’on se faisait de sa personne sacrée avait eu le temps de se transfigurer dans les esprits. Déjà il était devenu pour ses fidèles le « dieu supérieur aux dieux », l’Être unique, exceptionnel, autonome, placé au-dessus des lois qui régissent cet univers. De même qu’il était censé avoir choisi de sa propre autorité toutes les circonstances de sa naissance, il lui appartenait de fixer à son gré l’heure de sa mort. Il ne tenait donc qu’à lui de prolonger indéfiniment son existence ; et, puisqu’il le pouvait, il le devait. Doué, comme il l’était, de toutes les puissances surnaturelles, que lui coûtait-il de réaliser le même miracle que les Juifs attendaient du Messie et de demeurer parmi nous jusqu’à la consommation des temps[24] ? Il eût été tellement plus charitable de sa part, au lieu d’entrer dans le Parinirvâna, de continuer à illuminer le monde et à tenir grande ouverte pour tous les êtres la porte du Salut. Consentir délibérément à nous priver de sa présence et de son assistance, nous, infortunées générations postérieures, qui n’avons pas eu l’inestimable bonheur d’être ses contemporains, c’eût été cruellement démentir tout ce qu’on était en droit d’attendre de son infinie Bienveillance. Non, il était décidément par trop sacrilège d’admettre qu’il se fût volontairement dérobé à ses obligations de Sauveur : mais, s’il ne l’a pas fait exprès, à qui la faute ?

Voici ce que j’ai entendu. En ce temps-là le Bienheureux séjournait à Vaïçâlî dans le Grand-Bois, au Belvédère (près de l’Étang-du-Singe). Et au matin, s’étant habillé et ayant pris son manteau et son vase à aumônes, il entra à Vaïçâlî ; puis, sa tournée achevée et son repas pris[25], il se rendit au bois sacré de Tchâpâla et s’assit au pied d’un arbre pour y passer la journée. Et à ce moment le Bienheureux adressa la parole au révérend Ânanda : « Elle est charmante, ô Ânanda, cette ville de Vaïçâlî, cette terre des Vridjis, avec ses édifices, ses parcs et ses sanctuaires ; varié dans sa beauté est le continent de l’Inde, et la vie y est douce pour les hommes. Quiconque, ô Ânanda, a cultivé, développé, pratiqué à fond les quatre sources de la puissance surnaturelle, peut, s’il en est prié, subsister pendant une période cosmique ou le reste d’une période cosmique. Or tel est justement le cas du Prédestiné, et lui aussi pourrait, s’il en était prié, subsister pendant une période cosmique ou le reste d’une période cosmique. » Il dit, et Ânanda garda le silence.

(Une deuxième, une troisième fois le Bouddha répète cette même suggestion : et Ânanda se tait toujours ; c’est donc, pense son Maître, que son esprit est possédé par le démon, et il se décide à l’écarter. Ânanda va s’asseoir au pied d’un autre arbre. Il ne s’est pas plutôt éloigné que Mâra le Malin s’approche à son tour du Bienheureux et renouvelle la requête qu’il lui a naguère adressée au lendemain de la parfaite Illumination. Il lui rappelle qu’il s’est alors refusé à entrer dans le Parinirvâna avant d’avoir prêché sa doctrine et établi fermement les disciples dans la Bonne-Loi. Or c’est là aujourd’hui chose faite[26].) « Et voilà pourquoi je dis : Que le Bienheureux entre dans le Parinirvâna ; le moment est venu pour le Bienheureux d’entrer dans le Parinirvâna. — Sois sans souci, ô Malin, tu n’as plus longtemps à attendre : d’ici peu[27] aura lieu le Parinirvâna du Prédestiné. » Et Mâra le Malin, plein d’allégresse, disparut sur place. Et là, dans le Bois sacré de Tchâpâla, en pleine conscience et connaissance, le Bienheureux renonça à ce qui lui restait de vie : et aussitôt la terre trembla…

(La violence de ce tremblement de terre tire enfin Ânanda de son intempestive hébétude ; et quand le soleil déclinant ramène l’heure des audiences, il s’informe respectueusement auprès de son Maître de la raison de ce phénomène insolite. Quand il l’apprend, c’est en vain qu’il conjure le Bouddha de demeurer jusqu’à la fin de notre æon : le temps est passé pour une telle supplique. Le Prédestiné n’a qu’une parole et ne saurait démentir la promesse qu’il vient de faire à l’Archi-démon) : « C’est de ta faute, ô Ânanda ; alors qu’une allusion, qu’une suggestion si évidente t’avait été faite par le Prédestiné, tu n’as pas été capable de les comprendre et tu n’as pas prié le Prédestiné en disant : Que le Bienheureux demeure toute une période cosmique pour le salut de bien des gens, pour le bonheur des hommes et des dieux. Si tu en avais prié le Prédestiné, ô Ânanda, l’aurait rejeté la première et la deuxième fois ta demande, mais à la troisième fois il te l’aurait accordée. C’est donc bien de ta faute, ô Ânanda… »

Telle est l’injustice des hommes. D’une part la plus vieille tradition, héritée des gens qui avaient personnellement connu Ânanda, nous assure qu’il a consacré vingt-cinq ans de sa vie, avec un dévouement de tous les instants, à un Maître difficile à plaire : et voici qu’en récompense de ses bons et loyaux services, des nouveaux venus imaginent de le rendre responsable de la disparition à jamais regrettable du Prédestiné. Remarquons toutefois que, dans l’ensemble, ni la légende ni l’église bouddhiques ne lui ont gardé la rancune qu’aurait méritée une aussi impardonnable distraction. Évidemment l’on ne croyait qu’à moitié à l’expédient dont on s’était tardivement avisé pour rejeter sur autrui la responsabilité du Parinirvâna du Maître[28]. Alors que le Bouddha, en parvenant à la Clairvoyance, avait du même coup extirpé de sa personne toute racine de renaissance future, il n’était guère nécessaire que pour terminer sa carrière il fit à nouveau craquer l’armature de l’univers « comme l’oiseau brise la coquille de l’œuf ». N’a-t-il pas lui-même déclaré que le sort nous condamne à la séparation d’avec tout ce que nous aimons ? Bien mieux, dès la ligne suivante, n’est-il pas le premier à rappeler à Ânanda en guise de consolation (de même qu’il le fera encore plus tard sur son lit de mort) cette fatalité inéluctable ? Et la première phrase du sermon qu’il adresse, aussitôt après, à ses moines spécialement réunis pour la circonstance, n’est-elle pas pour leur répéter que tout ce qui existe doit périr ? Évidemment les fidèles se rendaient compte que le touchant épisode du « Rejet de la vie » n’était en somme qu’un jeu d’imagination à l’intention des âmes sensibles et avides de pathétique : il contredisait trop manifestement le premier article de leur foi. Mais quoi ! Les gens d’esprit sont, dit-on, prêts à tout sacrifier, même une vieille amitié, pour ne pas perdre un bon mot : pour se procurer une douce émotion, un cœur dévot ne recule pas davantage devant un soupçon d’hérésie.

Le dernier repas à Pâvâ. — Ce qui achève de démontrer que nous avons affaire à une scène interpolée, c’est qu’après nous ne sommes guère plus avancés qu’avant. Toutefois le sort en est à présent jeté et le Bouddha, à peine remis de sa maladie, quitte l’hospitalière et plaisante cité des Litchavis. À peine hors des murs, il se retourne pour jeter un regard en arrière : « C’est la dernière fois, ô Ânanda, que le Prédestiné contemple Vaïçâlî : il n’y reviendra plus jamais. » Ces simples paroles déclenchent un attendrissement universel. Au grand étonnement d’Ânanda, de larges gouttes d’eau tombent d’un ciel sans nuage ; et il faut que le Bouddha explique à son disciple que ce sont les pleurs que versent au firmament les divinités locales, affligées de l’imminente et définitive séparation. Plus tard on montrera à Hiuan-tsang, « à 50 ou 60 li au Nord-Ouest de la cité », la place jusqu’où les habitants, sortis en masse à la suite du Prédestiné, lui avaient fait la conduite : encore avait-il fallu, pour décider leur foule gémissante à s’en retourner chez elle, qu’il créât par magie devant leurs pas une rivière infranchissable[29]. Et voici que recommence le monotone déroulement des étapes — monotone pour le lecteur, cela s’entend ; car, pour le chemineau, religieux ou non, c’est une source continuelle de distractions variées. La sixième marche amène sans encombres le Bouddha et son cortège à la petite ville de Pâvâ, celle-là même où son grand rival, le Djina, devait mourir quelques années plus tard. La bande pieuse s’installe pour la nuit dans le verger de manguiers de Tchounda, « le fils du forgeron » — et, par conséquent, selon la coutume des castes indiennes, forgeron lui-même[30]. Celui-ci s’empresse, ainsi qu’il se doit, d’inviter à dîner pour le lendemain le Bouddha et sa congrégation ; mais il a la fâcheuse idée de leur faire préparer, comme plat de résistance, de la viande de porc. Ce mets provoque chez Çâkya-mouni une « diarrhée sanguinolente[31] », apparemment une rechute de la maladie dont il se relevait à peine. Le Bienheureux supporte avec sa force d’âme coutumière cette nouvelle et non moins douloureuse attaque : mais ses forces affaiblies ne lui permettront pas d’y résister. Tel est du moins le souvenir aussi précis que peu glorieux qu’au temps où le Bouddha n’était encore pour ses contemporains qu’un homme sujet aux infirmités humaines, le témoignage de ses compagnons imposa à la tradition de sa Communauté : le Bienheureux, le Prédestiné, le Parfait est misérablement mort dans une bourgade obscure d’une crise de dysenterie consécutive à une indigestion de porc. Quelle dégradation pour l’Être sublime qu’un siècle ou deux plus tard ses fidèles auraient volontiers exempté de toutes les nécessités naturelles ! Mais aussi quelle garantie d’authenticité pour un trait que la légende aurait eu tant d’intérêt à taire ou à déguiser !

Comme bien on pense, les générations postérieures ne devaient pas tarder à s’insurger contre un aveu aussi dépouillé d’artifice et qui, à mesure que l’Inde devenait de plus en plus strictement végétarienne, prêtait davantage le flanc aux critiques adverses. Dans le texte que nous suivons chapitre par chapitre leur réaction ne se manifeste qu’assez timidement, bien qu’à deux reprises différentes. Rien n’échappe, comme chacun sait, à la pénétration du Bienheureux et sa bienveillance s’étend sur tous les êtres : aussi à peine est-il assis chez Tchounda qu’il le prie de ne servir de porc qu’à lui seul et d’offrir d’autres aliments à ses moines ; et, à l’issue du repas, il recommande également à son hôte du jour d’enterrer au plus vite ce qui reste de viande, car il n’aperçoit dans tout l’univers personne, ni homme ni dieu, qui puisse digérer cette nourriture après l’avoir absorbée — à l’exception du Prédestiné, ajoute niaisement le scribe, oubliant que le Prédestiné lui-même n’a pas été capable de l’assimiler[32]. La seconde réflexion faite après coup procède de la même inspiration, mais est d’une rédaction plus heureuse. Le Bouddha prévoit que l’on fera reproche au pieux forgeron d’avoir été la cause de sa mort ; et, comme il sait que ses intentions étaient pures, il le prend en pitié et charge Ânanda d’un message réconfortant pour lui : « Il y a deux offrandes de nourriture de mérite égal, de fructuosité égale, plus méritoires et plus fructueuses qu’aucune autre : ce sont celle qu’après avoir mangée le Prédestiné s’illumine de la suprême et parfaite Illumination, et celle qu’après avoir mangée le Prédestiné trépasse de l’absolu Trépas… » Et ainsi Tchounda n’a à concevoir ni remords du passé ni crainte pour ses vies futures[33].

Notre source en reste là ; et les textes postérieurs ne font que renchérir dans le même sens. Ce qu’ils ont surtout retenu, c’est le parallèle ainsi établi entre le dernier repas avant la Sambodhi et le dernier repas avant le Parinirvâna. Puisque l’offrande de l’artisan Tchounda était aussi méritoire que celle de la bergère Soudjâtâ, on voulut également qu’elle ait été aussi agréable au goût, et l’on chargea les déités de lui instiller une saveur exceptionnelle. Il ne se pouvait pas dès lors qu’une nourriture aussi délicieuse se révélât nocive et du même coup s’affirmait la tendance à exonérer Tchounda de toute culpabilité. Si le Bienheureux n’avait guère survécu à son invitation à dîner, la faute en était à la décrépitude de l’âge ; et comme d’autre part on ne lisait dans les vieux traités de Discipline aucune interdiction absolue de l’usage de la viande ou du poisson, on ne voyait aucune raison de contester ni aucun moyen de modifier une tradition tant de fois séculaire. Ce coup d’audace était réservé à notre époque, fertile en gens plus royalistes que le roi. En Amérique, au temps de la « prohibition », n’a-t-on pas entendu des ministres déclarer du haut de la chaire que le jour des noces de Cana, au lieu de changer miraculeusement l’eau en vin, « le Christ aurait bien mieux fait de se tenir tranquille » ? Il s’est de même trouvé en Europe des exégètes du bouddhisme pour interdire rétrospectivement au Bouddha d’avoir à son dernier repas mangé de la viande, et surtout de la viande de porc : cela leur paraissait par trop choquant de la part du héros de leurs études favorites. Le pis est qu’un recours au texte, loin de trancher la question, n’aboutit qu’à déconcerter les philologues. S’il était écrit, comme on s’y attendrait, soukara-maddanam, le sens ne pourrait être que « hachis de porc » et l’affaire serait réglée. Mais les manuscrits portent maddavam[34]. Toute l’Asie bouddhique — les Chinois, grands amateurs de cochon laqué, plus aisément que les Indiens — a consenti de mémoire d’homme à entendre par là, à la mode allemande, quelque « délicatesse de porc », saucisse ou autre forme de charcuterie. Fi donc ! Entre gens bien élevés il ne peut être tout au plus question que d’un « régal de porc », c’est-à-dire d’un certain champignon, ou encore d’une de ces racines bulbeuses dont cet animal fouisseur se montre friand : et c’est en effet ce que permet à la rigueur de comprendre une autre façon non moins grammaticale d’analyser ce composé. Dans la première édition de la traduction anglaise (1891) le Bouddha meurt encore pour avoir mangé de « la viande de sanglier séchée », ce qui est déjà un peu moins malsonnant ; dans la seconde (1910) cette viande de conserve a cédé la place à un plat de truffes, ce qui n’est peut-être pas moins indigeste, mais est beaucoup plus avouable[35]. Et aussitôt quel soulagement, non seulement pour les végétariens scrupuleux et les amis de la bienséance, mais encore pour les fidèles bouddhistes, toujours exposés de ce chef aux injurieux brocards des incroyants[36] ! Grâce à la diffusion mondiale de la pruderie anglo-saxonne, il y a fort à parier que cette nouvelle interprétation finira par devenir parole d’évangile et par supplanter la vieille tradition. Et après tout, pourquoi pas ? Tant qu’une Église dure, n’est-elle pas, comme toute chose vivante, en constante évolution ?

La dernière étape. — Cependant, malgré l’état de faiblesse où il est retombé, le Bouddha reprend courageusement sa route : mais ses forces le trahissent bientôt. À moitié route entre Pâvâ et Kouçinagara il est contraint de faire halte au pied d’un arbre : « Allons, Ânanda, étends mon manteau plié en quatre ; je suis fatigué et je voudrais m’asseoir[37]. » Et, sitôt assis, il demande à son fidèle serviteur de lui apporter un peu d’eau pour calmer la fièvre qui le brûle. Mais cette fois, celui-ci, à notre grand étonnement, ne s’empresse pas de lui obéir. Il fait remarquer à son Maître qu’une caravane de cinq cents chariots vient de traverser le ruisseau le plus proche, et que l’eau en est restée trouble et fangeuse ; un peu plus loin coule, fraîche et pure, la rivière Kakoutsthâ où le Bienheureux pourra étancher sa soif et rafraîchir ses membres fatigués. Mais le Bouddha est pour l’instant incapable de bouger et insiste pour obtenir à boire. À la troisième requête Ânanda se décide enfin à descendre au ruisseau pour remplir son vase à aumônes : que dans l’intervalle l’eau en soit redevenue claire, nous en sommes moins surpris que lui.

À ce moment passe, se rendant à Pâvâ, un seigneur Malla, membre de l’oligarchie qui gouverne Kouçinagara. Le commentateur nous le donne comme le propriétaire de la caravane qui le précède[38]. Il engage la conversation avec le Bouddha. Il se trouve qu’il a été, lui aussi, disciple d’Alâra Kâlâma[39], et est resté fidèle à sa doctrine. Pour illustrer l’étonnante faculté d’abstraction des ascètes, il conte de but en blanc une anecdote relative à leur commun maître. Un jour qu’Alâra Kâlâma était assis en méditation au bord d’une grand-route, cinq cents chariots avaient défilé devant lui sans qu’il en eût la moindre notion, et seule la poussière dont ils l’avaient couvert en le frôlant lui attesta après coup leur passage. En réponse le Bouddha ne lui cache pas qu’une de ses expériences personnelles est bien plus extraordinaire encore. Il résidait alors près du village d’Atoumâ sous une grange[40] ; survint un violent orage, accompagné d’une pluie torrentielle, et la foudre en tombant tua à côté de lui deux laboureurs qui étaient frères et les quatre bœufs de leurs attelages ; mais la méditation dans laquelle il était plongé était si profonde qu’il ne vit et n’entendit rien. N’est-ce pas là un exploit supérieur à celui d’Alâra Kâlâma ? Émerveillé, le Malla en convient, prononce aussitôt sa profession de foi de fidèle laïque et, sans plus tarder, fait apporter par l’un de ses gens deux pièces d’étoffe « couleur d’or, lustrées et prêtes à mettre ». Le Bouddha consent à en accepter une pour lui-même et l’autre pour Ânanda, et le donateur princier poursuit sa route. — À quoi rime cet épisode[41] ? Est-ce un vieux souvenir traditionnel ? N’est-ce pas plutôt une interpolation destinée à préparer celle, beaucoup plus évidente, qui va suivre ? Il est bien tard pour prétendre en décider. Toujours est-il que dès que le Malla a le dos tourné, Ânanda revêt son maître à la fois des deux pièces d’étoffe, et qu’alors un miracle se produit : éclipsé par l’éclat qui émane du corps du Bouddha le splendide tissu perd soudain tout son lustre. Et à son serviteur qui crie au miracle le Bienheureux explique qu’en deux circonstances la peau du Prédestiné devient ainsi prodigieusement brillante, à la veille de la parfaite Illumination et à la veille de l’ultime Trépas. D’aucuns ont voulu établir un rapport entre cette scène et le miracle chrétien de la Transfiguration sur la montagne : il y faut une singulière bonne volonté.

Là-dessus, sans transition, le Bouddha se remet debout et marche. Le bain qu’il prend au passage dans la rivière Kakoutsthâ ranime pour un instant ses forces défaillantes : mais elles l’abandonnent à nouveau avant qu’il ait atteint l’autre rivière qui barre encore sa route, l’Hiranyavatî, et il lui faut s’arrêter une seconde fois pour prendre un peu de repos. Plus tard on multiplia à plaisir ces stations forcées, et on en porta le nombre à vingt-cinq, alors que nos Chemins de la Croix n’en comptent que quatorze. En même temps se faisait entendre une note qui sonne familièrement à nos oreilles. Comme rien ne pouvait arriver au Prédestiné qu’il n’y eût d’avance consenti, s’il a bien voulu avant de mourir faire montre de tant de faiblesse et supporter tant de souffrances, c’était pour donner aux hommes un dernier avertissement des misères qui les guettent[42] et une suprême leçon de résignation. Mais c’est en vain que l’on chercherait dans les textes anciens ces retours attendris sur la passion du Maître et ces pressants appels à son imitation : le temps n’en était pas encore venu.

L’arrivée à Kouçinagara. — Encore un suprême effort : « Allons, Ânanda, sur l’autre rive de la rivière Hiranyavati, à Kousinârâ, au bois d’arbres sâla qui est la Promenade des Mallas[43]. » Ils n’y sont pas plutôt parvenus que le Bouddha se sent de nouveau terrassé par la fatigue : « Allons, Ânanda, dispose-moi un lit, la tête au Nord, entre un couple de sâlas ; je suis fatigué, ô Ânanda, et voudrais me coucher[44] »… « Et le Bienheureux se coucha comme un lion, sur le côté droit, un pied posé sur l’autre, recueilli et en pleine connaissance… », et cette fois il ne se relèvera plus. Cette description vaut pour les innombrables répliques, non moins nombreuses que chez nous les images de la Crucifixion, qui, peintes ou sculptées, représentent pour toute l’Asie orientale le Parinirvâna de Çâkya-mouni. La vieille école indienne n’avait longtemps pu que symboliser cette scène par un tumulus funéraire ; mais l’école gréco-bouddhique se sentit en mesure d’en aborder une représentation directe en parfaite conformité avec la lettre des textes[45]. En cette seule occasion elle nous montre le Bouddha autrement qu’assis ou debout. Sur un lit assez pareil à la couche des banquets funéraires de notre antiquité classique il est couché sur le côté droit, la tête à gauche du spectateur, de façon que nous puissions voir son visage ; et, comme il est écrit, les deux jambes sont plus ou moins gauchement allongées l’une sur l’autre. Quand Açvaghosha ajoute que « le Bouddha avait sa main droite repliée sous sa tête », il est bien tentant de croire qu’il avait déjà sous les yeux une de ces représentations : du moins ce détail, omis des vieux textes, se retrouve-t-il de façon constante sur les images. Tous les comparses, moines, laïques ou déités, sans oublier le fidèle Vadjrapâni, sont soigneusement disposés de telle sorte qu’ils ne nous cachent pas la vue du Prédestiné ; et ainsi celui-ci n’a pas lieu de leur adresser la même réprimande qu’au serviable Oupananda qui, sans penser à mal, le masquait en l’éventant : « Va-t’en, moine mendiant ; ne te tiens pas devant moi… » : mouvement d’impatience si rare de la part du Maître qu’Ânanda ne peut s’empêcher d’en marquer son étonnement[46].

Où nous ont cependant conduit tous ces pénibles efforts ? Les renseignements sur la direction et les distances convergent vers le village actuel de Kasia, situé à 56 kilomètres à l’Est de Gorakhpour, au croisement de deux grandes routes, dans les fertiles plaines sillonnées par les nombreux chenaux du Gandak, et tout invitait à y chercher l’emplacement de Kouçinagara (pâli Kousinârâ). Dès avant la fin du siècle dernier la découverte dans son voisinage, près d’un antique stoupa ruiné, d’un temple spécialement consacré à abriter une grande image de pierre, longue de six mètres, du Bouddha couché sur son lit de mort venait appuyer, mais non démontrer la justesse de cette hypothèse. Vingt ans plus tard, trois campagnes de fouilles révélaient un entassement de sanctuaires et de couvents, dont les couches inférieures remontaient à l’époque des Koushâns, sinon même des Mauryas, et de nombreux cachets portant le sceau du « couvent du Mahâ-parinirvâna » sortaient des décombres ; mais le témoignage même de ces derniers n’était pas encore décisif, car rien ne prouvait que ces cachets, d’ordinaire attachés à des paquets ou des missives, avaient bien été trouvés au lieu de leur émission et non à celui de leur destination. Toutefois il était déjà évident que l’on avait affaire à une place de pèlerinage dès longtemps fréquentée. Kasia n’allait pas tarder à le redevenir. La dévotion des Birmans, non contente de bâtir une hôtellerie pour les modernes pèlerins et de replanter les arbres çâla que la tradition réclame, réunit bientôt par souscription les fonds nécessaires à la remise en état du grand tumulus. Un sondage opéré à cette occasion au centre du tertre permit de retrouver une urne de cuivre, en forme de cruche ronde, dont l’ouverture était obturée par une tablette de cuivre inscrite ; et l’inscription spécifiait que le dépôt avait été fait « dans le sanctuaire du Parinirvâna[47] ». Cette fois aucun doute n’était plus permis sur le site du monument commémoratif du quatrième Grand miracle. Attribué à Açoka, restauré au ve siècle par l’abbé Haribala en même temps qu’était installée la grande statue monolithe du Bouddha couché, il commençait derechef à tomber en ruines lors du passage de Hiuan-tsang, bien qu’il eût encore une hauteur de deux cents pieds. Convenait-il de l’abandonner de nos jours aux pieuses restaurations birmanes ? Ceci est une autre question. L’important est que nous connaissions exactement l’emplacement du trépas de Çâkya-mouni, tout comme celui de sept autres grands événements de sa vie. Y a-t-il beaucoup de personnages historiques appartenant à une antiquité aussi reculée et dont on puisse dire autant ?

Les fouilles de Kasia nous ont également appris que le groupe local de sanctuaires bouddhiques occupait un enclos sacré d’une superficie d’environ quinze hectares, rivalisant en étendue avec celui du Djêtavana à Çrâvastî. Mais ici il n’est pas question de trouver dans les environs les restes d’une grande ville. De l’aveu commun Kouçinagara n’était qu’une agglomération sans importance, et la dernière que la tradition eût choisie, si elle avait eu le choix, pour en faire le théâtre de l’Ultime trépas. Écoutez-la, par la bouche d’Ânanda, morigéner sur ce point le Maître : « Que le Bienheureux, Seigneur ne s’éteigne pas dans cette petite bourgade rustique[48]. Il y a, Seigneur, d’autres grandes villes, telles que Tchampâ, Râdjagriha, Çrâvastî, Sakêtâ, Kaouçambî, Bénarès ; c’est là que le Bienheureux devrait s’éteindre ; c’est là que quantité de nobles, de brahmanes, de bourgeois, tous très riches et dévoués au Prédestiné, feraient au Prédestiné de dignes funérailles… » Malheureusement le fait était constant, et il était trop tard pour le démentir, mais non point pour l’embellir. Disposant à son gré du passé comme de l’avenir, l’ingéniosité indienne n’est jamais embarrassée pour trouver une clef aux mystères du présent : « Ne parle pas ainsi, ô Ânanda », réplique aussitôt le Bouddha. Il se souvient parfaitement qu’au temps où il était le plus grand et le plus vertueux des Rois des rois, Kouçinagara, sous le nom de Kouça-vatî, était sa capitale ; et il n’existait pas alors dans le monde de cité plus vaste ni plus florissante. S’il lui plaît de mourir au lieu témoin de toutes ces splendeurs passées, on serait mal venu de l’en blâmer[49].

Le rôle d’Ânanda. — Nous avons pendant tout ce temps laissé Çâkya-mouni étendu sur sa couche funèbre. Certes sa fin est proche, mais elle n’est pas immédiate : il n’expirera qu’à la troisième veille de la nuit qui vient. Nous aurions grand-peine à suivre le fil du récit à travers l’incohérence des incidents et des propos qui meublent les heures qui lui restent à vivre si, du fait de la complète immobilisation de son Maître et en sa qualité de chambellan attitré, Ânanda ne devenait (mais pas pour longtemps) le meneur du jeu. C’est lui qui recueille les dernières recommandations du Prédestiné, lui qui s’acquitte de ses dernières commissions, lui qui veille sur ses dernières réceptions, tout cela en dépit d’un chagrin profond, encore que légèrement égoïste. Il n’a qu’un moment bien excusable de faiblesse, où il se retire à l’écart du mourant pour donner libre cours à ses larmes, debout, appuyé à la corniche d’un mur[50] : « Je ne suis qu’un disciple ayant bien des progrès à faire, et voici que mon Maître va s’éteindre, qui avait tant de compassion pour moi ». Le Bouddha ne tarde pas à remarquer son absence et le fait rappeler pour lui prodiguer d’affectueuses consolations : « Assez, Ânanda ; cesse de t’affliger et de gémir. N’ai-je pas pris la précaution de t’avertir qu’il faut se séparer ici-bas de tout ce qu’on aime. Comment admettre que ce qui est né ne meure pas ? C’est chose absolument impossible. Voilà longtemps, ô Ânanda, qu’en actes, en paroles et en pensées tu as été pour le Prédestiné le plus utile et affectionné des serviteurs. Tu as acquis de grands mérites ; encore un effort et tu parviendras à la sainteté. » Et après l’avoir ainsi réconforté privément, il reprend son panégyrique devant la Communauté assemblée. Jamais, assure-t-il, les Prédestinés du passé n’ont eu ni ceux de l’avenir n’auront de meilleur assistant. Personne ne s’entend aussi bien que lui à organiser les audiences du Prédestiné à la satisfaction générale. Qu’il s’agisse de recevoir des moines ou des nonnes, des zélateurs ou des zélatrices, des rois, des ministres ou des religieux hétérodoxes, il n’est pas de plus habile introducteur des visiteurs ni qui sache se faire mieux venir d’eux.

Or voici justement qu’il va donner une nouvelle preuve de son adresse comme chef du protocole. Le Bouddha l’envoie en ambassade à Kouçinagara avertir les notables de sa fin prochaine : « Faites diligence, a-t-il mission de leur dire ; n’ayez pas plus tard à vous repentir en pensant : Sur le territoire de notre village a eu lieu le Parinirvâna du Prédestiné et nous n’avons pas profité de l’occasion pour lui rendre visite à sa dernière heure. » L’appel n’est que trop bien entendu : hommes, femmes, enfants, tous les Mallas sortent en foule et se rendent avec de grandes démonstrations de douleur à leur Bois-de-Çâlas. Menacé d’être débordé par leur nombre, Ânanda se tire ingénieusement de la difficulté. S’il présente les Mallas un par un, la nuit entière sera passée avant que leur défilé ne soit terminé ; il les introduit donc par famille, chacune avec le chef de maison à sa tête : « Seigneur, un Malla de tel ou tel nom, avec ses enfants, sa femme, son entourage, ses intimes, se prosterne aux pieds du Bienheureux. » Et par fournées successives la présentation s’achève avec la première veille de la nuit.

Mais il n’est pas de repos pour le serviteur non plus que pour le Maître. À peine les Mallas s’en sont-ils retournés chez eux que le religieux Soubhadra[51] vient solliciter une entrevue avec le Prédestiné. Il sait combien est rare en ce monde l’apparition d’un Bouddha ; or il vient d’apprendre que le Çramane Gaoutama va s’éteindre ; et il n’a d’espoir qu’en lui pour obtenir une solution aux doutes qui le tenaillent toujours. Comme de raison Ânanda tâche par trois fois de l’éconduire : « Assez, ami Soubhadra, n’importune pas le Prédestiné ; le Bienheureux est fatigué… » Mais celui-ci entend de son lit leur conversation et se montre jusqu’au bout accueillant pour les consciences sincèrement tourmentées : « Assez, Ânanda, ne renvoie pas Soubhadra. Tout ce qu’il me demandera, ce sera dans un dessein d’instruction et non d’importunité ; et tout ce que je lui dirai en réponse à ses questions, il aura vite fait de le comprendre. » L’entretien se résume, comme on pouvait s’y attendre, en une condamnation en bloc des doctrines des six maîtres hérétiques et une exaltation de la Bonne-Loi. Aussitôt converti que convaincu, Soubhadra demande à être reçu dans l’Ordre : mais on s’aperçut après coup que sa requête se heurtait à la règle qui, en cas de conversion d’un religieux hétérodoxe, imposait au récipiendaire un stage de quatre mois[52]. Toutefois le Bouddha, expert connaisseur d’âmes, aurait prescrit à Ânanda de l’ordonner sans plus attendre — faveur exceptionnelle et aussitôt justifiée par l’arrivée à la sainteté de celui qui en est l’objet : « C’est ainsi que le révérend Soubhadra devint l’un des saints ; ce fut le dernier des disciples convertis par le Bouddha en personne. » Plus tard on voulut même qu’il se fût refusé à survivre à son Maître et fût entré avant lui dans le Nirvâna. Mieux encore, on crut savoir que ce n’était pas la première fois que le Bienheureux avait ainsi procédé in extremis à son sauvetage. Déjà, dans une de ses naissances antérieures comme roi des cerfs, il avait en ce lieu même, au coût de sa vie, servi de pont à travers la rivière déchaînée aux animaux fuyant devant un incendie de forêt ; et le dernier fuyard à passer sur son échine avant qu’il ne fût entraîné et englouti par le courant n’était autre que ce même Soubhadra. Ce conte, qui a passé dans les Écritures tibétaines, a été également recueilli sur place par Hiuan-tsang[53] ; et là n’est pas la seule preuve que nous ayons de la grande popularité du dernier disciple : selon toute vraisemblance c’est Soubhadra, déjà revêtu du costume bouddhique, que nous devons reconnaître sur les représentations du Parinirvâna dans le moine régulièrement assis en méditation devant le lit de mort du Bouddha[54].

L’ultime trépas. — Cependant le jour va bientôt paraître, que Çâkya-mouni ne doit plus revoir. Il adresse encore quelques recommandations à Ânanda et convoque ses moines. Subsiste-t-il dans l’esprit de quelqu’un d’entre eux quelque doute ou quelque perplexité au sujet de la Doctrine ou de la Discipline ? Qu’il se hâte, avant qu’il ne soit trop tard, d’en référer au Maître. À la troisième sommation, tous persistent à garder le silence. Et alors le Bienheureux leur dit : « C’est à vous que je m’adresse, ô moines mendiants : la périssabilité est la loi des choses ; ne relâchez pas vos efforts ! Telles furent les dernières paroles du Prédestiné ! » Déjà l’agonie commence ; mais, comme bien on pense, un Bouddha ne peut pas mourir de simple épuisement physique ; en bon adepte du yoga il doit passer par une série de transes spirituelles qui ne représentent rien pour les profanes, mais qui ont été soigneusement cataloguées par les initiés. C’est du sommet de l’extase que, par une transition naturelle, il verse doucement dans l’état suprême autant qu’ineffable du Nirvâna définitif. Ici encore on croit deviner qu’une première version plus simple a subi une amplification destinée à la mettre au courant du développement de la théorie des phases extatiques. Originairement Çâkya-mouni ne passait que par les quatre degrés, bien connus de tous, de la Méditation, les mêmes qu’il avait déjà découverts et gravis à l’aube de sa vocation, sous l’ombre immobile du pommier-rose. Plus tard on voulut qu’il eût franchi cinq étapes de plus sur la voie de la sublimation et parcouru successivement les neuf étages de la « Dissociation[55] » d’avec les choses de ce monde. Il semble toutefois qu’on ait reculé devant une modification trop ouverte du récit traditionnel, car on fait ensuite redescendre le Bouddha jusqu’au bas de l’échelle pour ne remonter qu’au quatrième échelon ; et ainsi la ligne de démarcation entre les deux versions reste dessinée dans le corps même du texte :

Et alors le Bienheureux entra dans la première méditation ; puis ayant émergé de la première, il entra dans la seconde ; ayant émergé de la seconde, il entra dans la troisième ; ayant émergé de la troisième, il entra dans la quatrième ; ayant émergé de la quatrième, il entra dans la sphère de l’infinitude de l’espace ; de là dans la sphère de l’infinitude de la vie ; de là dans la sphère de l’infinitude du néant ; de là dans la sphère où il n’y a plus ni conscience ni inconscience ; de là dans la cessation de la conscience et du sentiment.

Et à ce moment le révérend Ânanda dit au révérend Anourouddha : « Le Bienheureux, seigneur Anourouddha, s’est éteint. — Non, ami Ânanda, le Bienheureux ne s’est pas éteint ; il a atteint la cessation de la conscience et du sentiment ».

Et alors le Bienheureux, ayant émergé de la cessation de la conscience et du sentiment, entra dans la sphère où il n’y a plus ni conscience ni inconscience ; de là dans la sphère de l’infinitude du néant ; de là dans la sphère de l’infinitude de la vie ; de là dans la sphère de l’infinitude de l’espace ; de là dans la quatrième méditation ; de là dans la troisième ; de là dans la seconde ; de là dans la première.

Ayant émergé de la première méditation, il entra dans la seconde ; ayant émergé de la seconde, il entra dans la troisième ; ayant émergé de la troisième, il entra dans la quatrième ; ayant émergé de la quatrième, immédiatement après le Bienheureux s’éteignit. »

C’est probablement là ce qu’à l’origine il faisait d’emblée, sitôt le stade de la quatrième méditation dépassé pour la première fois, sans évoluer aussi laborieusement, en gamme ascendante et descendante, à travers tant de plans successifs. Il va de soi que la terre tremble et que les tambours des dieux retentissent — ces énormes tam-tam[56] que les sculpteurs de Sâñchî suspendent dans les airs au-dessus de leurs représentations des Grands prodiges. À ce moment se place habituellement le miracle des arbres çâla[57] qui instantanément fleurissent hors de saison pour mêler leur tribut d’hommage aux fleurs que les dieux font au même moment pleuvoir du haut des cieux sur le cadavre du Bienheureux. Tour à tour les assistants de premier rang, Brahma, Çakra, Anourouddha, Ânanda laissent exploser leurs sentiments en une stance appropriée à leur caractère. Quant à la foule des religieux et des laïques, elle se partage en deux camps : les uns s’abandonnent bruyamment et avec de grands gestes à leur désespoir en répétant : « Trop tôt le Bouddha s’est éteint, trop tôt s’est fermé l’œil du monde » ; les autres, sachant l’impermanence de toutes choses, se résignent dans un silencieux recueillement ; et Anourouddha morigène ceux des moines qui se livrent en cette occasion à des manifestations de chagrin qu’il juge complètement déplacées.

Les funérailles. — On n’aura pas été sans remarquer qu’un autre cousin du Bouddha, devenu son disciple en même temps qu’Ânanda vient de déposséder ce dernier de la prééminence que nul n’avait songé à lui disputer jusqu’ici. Le sage et impassible Anourouddha assumera désormais le premier rôle, ou du moins il ne le partagera qu’avec un autre grand disciple, Mahâkâçyapa, celui-là même qui ne va pas tarder à prendre en mains la direction de la Communauté privée de son chef. Désormais le beau, le doux, l’aimable Ânanda, le chéri des nonnes et l’aristocratique arbitre des convenances, va être relégué au second plan : il ne jouera plus que les utilités. On ne peut empêcher que, de même qu’il avait l’oreille du Bouddha, il ait mieux que personne recueilli toutes les paroles tombées de sa bouche ; mais on lui fera cruellement sentir le fait qu’il n’est pas encore parvenu à la sainteté. Nous percevons, répercuté à travers les textes, l’écho d’une cabale montée contre lui dès le lendemain de la mort du Maître par des confrères jaloux, déguisant leur animosité sous une affectation d’austères scrupules. Le changement de ton est d’autant plus frappant que nous venons d’entendre Çâkya-mouni en personne faire une véritable apologie du disciple bien-aimé. Maintenant Mahâkâçyapa ne se gêne plus pour le réprimander « comme un jouvenceau[58] » parce qu’il ne tient pas ses disciples en bride suffisamment serrée ; et la nonne Sthoulanandâ, qui a osé prendre sa défense, expie actuellement dans l’enfer, où l’a précipitée un simple regard désapprobateur de Mahâkâçyapa, l’excès de son indiscrétion. Lors du prétendu « concile » de Râdjagriha où devait être fixée la lettre des Écritures, il faut bien en venir à prier Ânanda de réciter de mémoire les discours du Bouddha ; mais un véritable réquisitoire, avec sept[59] chefs d’accusation, est au préalable dressé contre lui. Il va de soi que ces zizanies de couvent, banales à force d’être fréquentes, n’auraient pas ombre d’intérêt pour nous si l’exégète ne prenait son bien partout où il le trouve : or cette querelle depuis si longtemps éteinte va, par un effet réflexe inattendu, nous permettre de restituer au sujet des funérailles du Bouddha, à défaut du procès-verbal authentique qui n’a jamais été dressé, un état plus ancien, et probablement plus sincère, de la légende.

Reprenons en effet la liste des sept reproches qui sont successivement adressés à Ânanda et à l’encontre desquels il se borne humblement à plaider les circonstances atténuantes. Nous en connaissons déjà trois : il a insisté pour l’admission des femmes dans la Communauté, il a omis de prier le Bienheureux de prolonger sa vie, il a fait la sourde oreille quand celui-ci, en proie à la fièvre, lui a demandé de l’eau à boire. Des quatre autres, deux sont sans intérêt pour nous : il aurait une fois piétiné le costume du Maître ; et, quand celui-ci, peu avant sa mort, a autorisé la Communauté à modifier les préceptes mineurs de la Discipline, il a négligé de lui faire préciser exactement de quels préceptes il parlait. En revanche les deux derniers nous touchent particulièrement ici : après le Parinirvâna il aurait exposé aux yeux des gens la nudité du Bouddha, et il aurait permis aux femmes de souiller son cadavre de leurs larmes[60]. Or, ce sont là deux incidents dont il n’est plus — disons mieux : dont il ne saurait plus être un instant question dans les nombreux récits qui nous ont été transmis des funérailles. Il s’ensuit que ces derniers ont été remaniés dans l’intention de jeter un voile pieux sur des circonstances qui ne cadraient plus avec les conceptions nouvelles ; et dès lors comment ne pas soupçonner qu’originairement Ânanda, en sa qualité d’ordonnateur désigné des cérémonies, continuait, après comme avant le Trépas, à prendre toutes les initiatives, quitte à s’exposer plus tard à toutes les critiques et à être rétrospectivement démissionné ?

Tâchons de nous représenter la suite des rites funéraires tels que les prescrivait la coutume générale et que les comportaient les circonstances locales : nos soupçons ne tarderont pas à se confirmer. Tout d’abord c’est chose entendue que les obsèques des religieux sont entièrement à la charge des fidèles laïques[61] : leurs confrères n’ont aucunement à se distraire en cette occasion de l’absorbante préoccupation de leur salut. À la nouvelle du décès du Bouddha, ceux d’entre les Mallas qui sont des zélateurs bouddhiques accourent aussitôt en famille, avec leurs épouses et leurs enfants. Leur premier soin, selon l’usage antique et quasi universel, est de se livrer autour du lit de mort à la déploration ou lamentation funèbre[62] : et c’est alors qu’au dire des vieux bonzes les femmes ont « souillé » de leurs larmes le corps du Bienheureux. Leur douleur dûment manifestée, les bonnes gens procèdent, comme de règle, au lavage du cadavre : et c’est ainsi qu’Ânanda a pu être accusé et convaincu d’avoir laissé exposer aux yeux de tous l’auguste nudité du Prédestiné. Sitôt ces apprêts terminés et le corps à nouveau revêtu de son costume monastique, des volontaires s’offrent, sans distinction d’âge ni de sexe, pour porter au lieu de crémation du bourg la civière sur laquelle le mort repose ; et, sur un bûcher improvisé à la mesure de leurs moyens[63], la dépouille de Çâkya-mouni, comme le veut la coutume et comme l’exige le climat de l’Inde, est incinérée le jour même de son trépas. Dès lors il ne reste plus aux assistants d’autre tâche que de recueillir les reliques dans les cendres, ni d’autre soin que de se purifier par un bain rituel et de changer de vêtements avant de regagner leurs demeures : car tout cadavre est réputé impur et contamine qui l’approche.

Ainsi, ou à peu près ainsi, ont dû se dérouler les rustiques funérailles du Bouddha ; sinon, les blâmes infligés par la suite à Ânanda n’auraient eu ni fondement ni sens. Qui mieux est, nous tenons la preuve que l’Église bouddhique a longtemps cru que les choses s’étaient passées de cette modeste manière, si indigne qu’elle fût d’un Prédestiné. À présent que les reproches des docteurs nous ont donné l’éveil, nous décelons dans les textes maintes traces de cette croyance en dépit du souci que les hagiographes postérieurs ont pris de les effacer. Notre source principale avoue encore que la première idée des Mallas a été d’aller incinérer le Bouddha « au Sud et en dehors de leur ville » ; car le Sud est la région des Mânes, et un cadavre ne doit pas être introduit dans une cité ; il faudra tout à l’heure faire intervenir les dieux pour qu’ils consentent à parader le corps du Bienheureux à travers leurs rues. Une version tibétaine confie le transport de la funèbre civière à « des femmes et des jeunes gens ». Un texte sanskrit tardif admet encore que le Bienheureux n’a eu d’autre linceul que son costume monastique (il est vrai, multiplié par mille[64]). Une traduction chinoise reconnaît que le cadavre a été lavé avec de l’eau parfumée, et raconte un peu plus loin que, quand les pieds du Prédestiné sortirent miraculeusement de son cercueil pour recevoir l’hommage de Mahâkâçyapa, celui-ci remarqua que leur éclat avait été terni par des larmes féminines… Mais ce ne sont plus là que d’importuns souvenirs qui auraient dû être totalement éliminés de la légende. Sévères théologiens et dévots laïques s’étaient mis bientôt d’accord pour les bannir de leur mieux. La misogynie des premiers était trop véhémente pour consentir à ce qu’on eût laissé les femmes s’approcher du lit de mort du Bienheureux ; et comment les seconds auraient-ils pu continuer à croire que son corps, substance précieuse entre toutes, ait eu besoin d’être lavé et ait pu être un seul instant considéré comme impur ? Mieux valait laisser tomber deux des reproches traditionnellement adressés à Ânanda. Aux yeux des uns comme des autres, l’important était que, dans le cas des funérailles d’un être aussi exceptionnel que leur « plus que divin » Maître, rien ne se fût passé comme à l’accoutumée ; et c’est ainsi qu’à l’ancienne versio simplicior qui se laisse encore deviner est venue se substituer une verso ornatior qui, presque sur tous les points, en prend exactement le contre-pied.

Le point de départ essentiel de la tradition nouvelle nous est ingénûment révélé. Ânanda a pris la précaution de consulter le Bouddha sur les rites de ses funérailles, et celui-ci a répondu qu’il fallait procéder avec le corps du Prédestiné comme avec celui d’un Monarque universel — ce qui revient à dire avec toute la solennité et la magnificence imaginables. Dès lors le programme est tout tracé et la voie ouverte à toutes les surenchères. Dès que le jour luit, Anourouddha, brusquement promu au rôle de protagoniste, envoie Ânanda, accompagné d’un autre moine, avertir officiellement les autorités de Kouçinagara du décès du Bienheureux : à elles de savoir ce qu’il leur reste à faire. La nouvelle est toujours accueillie avec des transports de douleur par la population tout entière : mais en revanche, il n’est plus question ni d’une intervention quelconque des femmes ni d’une toilette du cadavre. Les dignes notables connaissent à présent leurs nouveaux devoirs. Ils commencent par réquisitionner d’office dans leur bourgade tous les accessoires dont ils vont avoir besoin pour s’en acquitter : « Holà, disent-ils à leurs serviteurs, rassemblez tout ce qu’il y a de parfums, de guirlandes et d’instruments de musique … Puis s’étant rendus au Bois-des-Sâlas auprès du corps du Bienheureux, ils lui rendirent hommage, honneur, respect et culte avec des danses, des chants, de la musique, des guirlandes et des parfums… » Singulière façon, pense-t-on peut-être, de mener grand deuil. Sans doute chaque pays a ses mœurs : mais telle n’est pas la façon dont l’Inde a coutume de conduire la cérémonie des obsèques. — Il nous faut comprendre qu’avec le temps la conception qu’en se faisait des funérailles du Bouddha avait perdu tout caractère funèbre ; elles s’étaient transformées dans les esprits des fidèles en cette sorte de fêtes anniversaires qui se célébraient sur la terre (et aussi, disait-on, dans le ciel) en l’honneur des reliques du Prédestiné ; et, de fait, c’est bien une sorte de kermesse villageoise que, sur l’un des jambages de la Porte Nord de Sâñchî, les Mallas organisent autour du tumulus qui symbolise le Parinirvâna du Bienheureux[65].

Voilà toujours de quoi les occuper pendant une semaine, d’autant qu’il faut bien leur laisser le loisir de faire leurs préparatifs pour la suite. Au bout de sept jours ils songent enfin à transporter le corps au lieu de crémation « au Sud et en dehors de la ville » : mais leurs intentions ont cessé de plaire en haut lieu. Elles ne cadrent plus avec celles des divinités, dont Anourouddha continue à se charger d’être l’interprète. En vain huit chefs Mallas, par avance baignés et vêtus de vêtements neufs[66], essayent de soulever le cadavre : ils ne peuvent y parvenir. Pourquoi ces vains efforts ? C’est qu’à présent les dieux, prenant à leur compte les pieux desiderata des générations postérieures, veulent que le corps passe par le Nord, qu’il entre dans la ville par la porte septentrionale, qu’il pénètre jusqu’en son centre et qu’il en ressorte par la porte orientale pour être enfin amené au « Sanctuaire du Couronnement » des princes Mallas (quelque chose comme leur Salle-du-trône[67]), bref qu’il reçoive les honneurs les plus exceptionnels dont un cadavre puisse être l’objet. On se conforme donc à ce nouveau programme, car on ne saurait aller contre les volontés du ciel.

À ce moment se pose la question de l’ensevelissement et de la mise en bière. Il n’est plus désormais possible de laisser au Bouddha mort son costume monastique, puisqu’il doit être traité comme un Roi des Rois. Par une heureuse précaution, les Mallas se sont déjà munis de cinq cents costumes laïques, chacun composé de deux pièces d’étoffe[68] : il ne leur reste plus qu’à faire rassembler par leurs domestiques tout ce qu’il y a de coton cardé dans Kouçinagara : « Et alors ils enveloppèrent le corps du Bienheureux dans une pièce d’étoffe neuve, puis dans une couche de coton cardé, puis dans une pièce d’étoffe neuve et ainsi de suite jusqu’à épuisement des cinq cents paires d’étoffes[69] ; puis ils le déposèrent dans une auge à huile et recouvrirent celle-ci avec une seconde auge ; et, ayant fait un bûcher composé tout entier de matières odoriférantes, ils déposèrent dessus le corps du Bienheureux. » Comment se sont-ils procuré assez de bois de senteur, santal et autres, pour édifier un bûcher qu’on imagine de plus en plus gigantesque, cela reste un secret. On ne voit pas non plus très bien l’utilité de cette double auge à huile puisqu’il n’est pas question de conserver plus longtemps le corps : mais peut-être a-t-on pensé que ce cercueil de fer garantirait mieux les saintes reliques de tout mélange avec les cendres du bûcher. Ne demandez pas d’ailleurs comment ils ont pu introduire dans ce sarcophage, qui plus tard deviendra d’or, l’énorme momie gonflée de ses mille linceuls doublés de coton ; mais si vous voulez savoir quelle forme on prêtait à ce coffre de métal vous n’avez qu’à vous reporter aux bas-reliefs gréco-bouddhiques[70].

Tout est donc enfin prêt pour la crémation. Quatre princes Mallas se mettent également en tenue appropriée à la cérémonie et s’approchent avec des torches pour mettre le feu au bûcher ; mais la flamme se refuse à jaillir. C’est qu’il importe à la légende — à laquelle nous avons reconnu l’art des préparations théâtrales — de donner à présent la vedette à celui qui va devenir, comme on l’appelle communément, le premier « patriarche » de l’église bouddhique. Que Mahâkaçyapa n’eût pas assisté aux derniers moments du Maître, le fait était constant ; mais qu’il eût été complètement absent des scènes du Parinirvâna, la chose était promptement devenue inconcevable : « Je suis le fils aîné du Bouddha (lui fait dire un texte tardif) ; je dois procéder à sa crémation. » Apparemment il suivait la même route que son Maître, à huit jours d’intervalle, en compagnie d’une autre escouade de moines : car il fallait bien à la fois éviter l’encombrement des lieux d’étape et donner quelque répit à l’hospitalière charité des villages de la route. Il se trouvait alors avec ses compagnons, à mi-chemin entre Pâvâ et Kouçinagara, et, lui aussi, s’était assis au pied d’un arbre pour se reposer un instant. Passe en sens inverse un ascète nu, tenant à la main une des fleurs célestes que les dieux ont fait pleuvoir sur le corps du Bienheureux ; et cette pièce à conviction confirme la triste nouvelle qu’il colporte en même temps qu’elle : il y a sept jours que le Bouddha est mort. Aussi est-il urgent que, toujours par le truchement d’Anourouddha, les déités interviennent et signifient leurs intentions aux Mallas stupéfaits : elles ont décidé que le bûcher attendrait pour s’allumer que « Mahâkâçyapa ait rendu hommage aux pieds du Bienheureux ». C’est là l’expression indienne courante pour signifier l’acte de se prosterner devant quelqu’un : mais qu’on s’avise de la prendre à la lettre et il n’en faut pas davantage pour fabriquer de toutes pièces un miracle de plus. Effectivement les pieds du Bouddha sortent de leur cercueil et de leurs multiples linceuls pour que le grand disciple puisse les vénérer en les touchant de son front, après quoi tout rentre dans l’ordre « aussi aisément que la lune tour à tour se dégage et se voile d’un nuage ». Et là-dessus le bûcher, soudain désensorcelé, s’allume spontanément. Restent à inventer les diverses manières, toutes plus extraordinaires les unes que les autres, qui ont dû servir à l’éteindre : car il ne se peut pas qu’il se soit éteint naturellement. Appel est fait aux pluies célestes comme aux eaux souterraines ; mais leur intervention n’empêche nullement, pas plus dans les textes que sur les monuments, les Mallas de déverser sur lui, au moyen de cruches munies d’un long manche, l’eau parfumée (d’autres disent le lait) des aspersions habituelles[71].

Le partage des reliques. — C’est un fait bien connu que, dans les civilisations antiques, la mort d’un individu quelconque n’est pas une conclusion : la question des funérailles importe trop au sort de sa vie d’outre-tombe pour qu’on puisse la passer sous silence. Dans le cas du Bouddha cette question n’aurait pas dû être posée, car « il n’y aura pas de renaissance pour lui ». Sages sont ceux d’entre les moines qui se refusent à déplorer la Délivrance finale du Prédestiné ; et, sages ou non, tous les disciples sont d’accord pour se désintéresser totalement de ses obsèques. Pourtant après que les fidèles laïques se sont généreusement acquittés de ce soin, leur tâche n’est pas achevée ni la dernière page de la biographie tournée : il leur faut encore apprendre comment on dispose des précieux restes d’un Bouddha. Le culte des reliques des saints (ou, comme on dit aussi, des « saintes reliques ») nous est trop familier en Occident pour réclamer une explication quelconque, et beaucoup seraient choqués de l’entendre traiter de superstition. Les bouddhistes en distinguaient trois sortes : il y avait d’abord les débris organiques, recueillis dans les cendres du bûcher ; puis les divers ustensiles dont le Bienheureux s’était servi de son vivant, tels que son vase-à-aumônes, sa cuvette ou son balai ; et enfin les objets ou édifices commémoratifs des grands événements de sa vie[72]. Plus tard, à défaut de ces souvenirs matériels, dont la multiplication, si large qu’elle fût, ne pouvait être indéfinie, on dut se contenter de reliques spirituelles, c’est-à-dire de fragments de la Bonne-Loi inscrits sur des feuilles de palmier, sur écorce de bouleau ou sur boulettes d’argile ; mais la sorte la plus vénérable et vénérée était naturellement les « corporelles ». Or il est écrit que le corps du Bienheureux fut intégralement consumé à l’exception des ossements, « sans laisser ni cendre ni noir de fumée ». Seuls deux des mille linceuls, le plus intérieur et le plus extérieur, demeurèrent (par miracle !) intacts[73] : par ailleurs on ne retrouva sans doute que les débris du squelette qui, de notoriété publique, résistent le mieux à l’action du feu, notamment les os du crâne et les dents[74]. La première idée prêtée aux Mallas est naturellement de thésauriser comme un porte-bonheur l’aubaine que le sort leur a dévolue. Au lieu de jeter ces restes au fleuve le plus proche, ainsi qu’il est d’usage pour les simples mortels, ils les transportent processionnellement dans leur « Chambre-de-réunion » (ou, comme nous dirions, dans leur hôtel de ville) et là danses, chants et musique recommencent de plus belle en leur honneur.

C’est là que les bas-reliefs nous montrent les Reliques déposées sur un trône drapé et recouvertes d’un dais d’étoffe en forme de cloche, que surmonte un royal parasol ; mais déjà guerriers ou guerrières, appuyés sur leur lance, montent la garde près d’elles ou aux portes de la cité[75]. Notre texte va plus loin et veut que les Mallas aient abrité leur trésor dans une cage de javelots et derrière un rempart d’arcs. C’est qu’ils se doutent déjà de ce qui va suivre. Le nouvelle ne tardera pas en effet à se répandre : « Et le roi du Magadha, Adjâtasattou, le fils de l’infante de Vidêha, apprit que le Bouddha s’était éteint à Kousinârâ ; et il députa un envoyé aux Mallas pour leur dire : Le Bienheureux était de caste royale, je le suis aussi ; moi aussi je suis digne d’avoir une part des reliques corporelles du Bienheureux, et moi aussi je leur élèverai un tumulus et j’instituerai (en leur honneur) une fête ». Tour à tour six chefs de clan du voisinage, les Litchavis de Vaïçâlî, les Çâkyas de Kapilavastou (ressuscités pour la circonstance), les Boulis d’Allakappa, les Kolis de Râmagrâma, le Brahmane de Vishnoudvîpa et les Mallas de Pâvâ, à l’ouïe de la mort du Bouddha, formulent la même demande à peu près dans les mêmes termes[76]. Ainsi sollicités de toutes parts, les notables de Kouçinagara convoquent l’assemblée du peuple, et décident : « Le Bienheureux est mort sur notre territoire : nous ne partagerons pas ses reliques ». Mais alors les requêtes se transforment en sommations et, pour appuyer leurs revendications, les sept prétendants, pareils aux Sept devant Thèbes, viennent avec leurs armées mettre le siège devant Kouçinagara. Un linteau de la Porte Sud de Sâñchî dépeint admirablement cette scène. Déjà les assaillants sont prêts à en venir aux mains avec les guerriers qui garnissent les remparts de la ville. Les mauvais instincts d’avarice et de convoitise vont-ils l’emporter une fois de plus et, par une amère ironie, faire que les gens s’égorgent pour l’amour de l’apôtre de la paix ? Ce scandale est heureusement épargné à l’histoire : la raison prévaut par la bouche du sage brahmane Drona[77] et, d’un commun accord, on s’en remet pacifiquement à lui du soin de partager les reliques en huit parties égales. On lui abandonne même, en récompense de son heureuse intervention, l’urne funéraire qu’il vient de vider ; et quand les Mauryas de Pippalîvana arrivent trop tard pour participer au partage, ils doivent se contenter de la braise du bûcher. Tout semblait donc arrangé pour le mieux et une fois pour toutes ; mais un temps vint où l’on s’avisa avec horreur que l’on avait oublié dans la distribution de satisfaire les vœux qu’avaient dû immanquablement formuler les dieux et les génies. Tant bien que mal on répara cette omission en feignant de se souvenir que les reliques avaient d’abord été divisées en trois portions, dont une seule était échue aux hommes. Par mesure de compensation, les restes du Bienheureux furent alors censés avoir rempli non moins de huit boisseaux, chacun d’une contenance d’un millier de poignées ; et ainsi il y en eut pour tout le monde.

Mais revenons à notre plus ancienne version tant écrite que figurée. Le partage des reliques en huit parts est représenté sur les vieux monuments, et l’on y voit aussi les sept prétendants remporter triomphalement leurs lots dans une cassette cérémonieusement placée sur la tête de leur éléphant de parade[78]. Où courent-ils ainsi ? Remplir la prescription qu’on a eu soin de placer dans la bouche du Bouddha mourant : « Ainsi qu’on traite les restes d’un Monarque universel, ainsi l’on doit traiter ceux d’un Prédestiné. Qu’à un grand carrefour on élève un tumulus au Prédestiné ; ceux qui lui offriront guirlandes, parfums ou badigeons, ou qui le salueront, ou qui se recueilleront devant lui, pour ceux-là il y aura profit et bonheur de longue durée[79]… » Nous rencontrons ainsi jusqu’au terme de la carrière du Maître l’assimilation que dès sa Nativité l’on prétendait établir entre le plus puissant des Monarques et le plus éclairé des Clairvoyants. Du même coup nous tenons les origines de ce culte du stoupa qui, bien qu’il n’ait jamais été dans l’Inde le monopole exclusif des bouddhistes, est devenu et demeuré dans toute l’Asie orientale le monument caractéristique de leur foi. On sait les formes variées et les extraordinaires dimensions que revêtent ou atteignent parfois ces curieux mausolées ; anciennement ils ne comportaient qu’un dôme de taille modeste, juché sur une terrasse et abrité d’un parasol, que protégeait une balustrade à une ou quatre entrées chicanées. C’est un édifice de ce genre que les huit copartageants se sont engagés à élever chacun chez eux, en guise de reliquaire, sur le trésor sans prix qu’ils ont conservé ou obtenu ; et (soit dit entre parenthèses) il faut se garder de confondre ces huit stoupa ou tumuli avec les huit tchaïtya ou sanctuaires qui marquaient l’emplacement des huit Grands miracles et qui pouvaient aussi bien être un arbre ou un temple[80]. Ce sont ces huit tertres primitifs, ou plus exactement sept d’entre eux (car les génies-serpents se refusèrent à lui abandonner celui de Râmagrâma) qu’environ deux siècles plus tard l’empereur Açoka, pieusement sacrilège, aurait tour à tour violés afin de distribuer leurs précieux dépôts entre les 84 000 reliquaires du même genre dont il passera pour avoir parsemé l’Inde entière. C’est apparemment de cette impériale initiative que date l’extraordinaire fortune réservée à ces massifs monuments[81]. D’une part ils vont se répandre dans l’Asie centrale et l’Extrême Orient en élançant de plus en plus vers le ciel leurs coupoles et leurs pinacles ; de l’autre ils ne tarderont pas à acquérir en propre un caractère sacré, la vénération populaire passant insensiblement des reliques qu’ils contiennent à la bâtisse qui les contient : tant et si bien que finalement ils n’auront même plus besoin d’en contenir pour demeurer l’édifice religieux par excellence en tout pays bouddhique. Mais l’exposé de leur évolution formelle en même temps que de leur consécration spirituelle fournirait la matière d’un volume spécial[82].

Nous avons ainsi conduit le Bouddha jusqu’à ses innombrables tombes : il ne nous reste plus d’autre tâche que de fixer la date de sa mort. Cette question, si longuement et laborieusement discutée, ne nous retiendra pas longtemps. La chronologie singhalaise (de toutes les supputations proposées par les diverses sectes bouddhiques la plus vraisemblable) place cet événement en 543 avant notre ère ; les calculs des érudits européens le font descendre jusqu’en l’an 477 : l’écart est d’environ 65 ans. D’autre part la tradition veut (et nous l’avons docilement suivie au cours des pages qui précèdent) que le Prédestiné ait encore vécu une cinquantaine d’années après son départ de la maison, soit au total 80 ans[83]. L’assertion n’a rien en soi d’invraisemblable ; toutefois rien n’en vient confirmer l’authenticité. Ce qu’en revanche nous savons de source certaine, c’est que le Bouddha se devait à lui-même et à ses fidèles d’avoir au moins atteint cet âge au cours de son existence dernière, car c’est là dans les idées indiennes la durée normale minima d’une pleine vie humaine, et de bonne heure l’on ne put admettre que le Bienheureux fût mort prématurément. Dès lors le soupçon naît que le désaccord entre le comput des Indiens et celui des indianistes proviendrait simplement du fait que les premiers auraient au cours des temps confondu les dates et assigné au Trépas de leur Maître celle qui se rapporterait à sa Nativité. Ce qui donne quelque consistance à cette hypothèse, ce n’est pas seulement que le chiffre de 80 est trop conventionnel pour n’être pas suspect ; c’est encore la curieuse constatation que nous avons dû faire ci-dessus (p. 244) à la suite de tous les biographes anciens ou modernes. La tradition prétend suivre pas à pas les étapes de l’itinérante prédication du Bouddha pendant les vingt ou vingt-cinq années qui ont suivi l’arrivée à la Clairvoyance : mais de son propre aveu les quinze dernières années restent un blanc absolu, que ne meuble plus aucun souvenir, jusqu’au soudain réveil de la chronique aux approches du Parinirvâna. La première explication qui se présente de cette totale lacune est que ces quinze années n’aient jamais été vécues et que Çâkya-mouni soit effectivement mort vers l’âge de 65 et non de 80 ans. Assurément, cette fois encore, la certitude nous échappe, et loin de nous est la pensée d’insinuer qu’à la faveur du recul des siècles aucune erreur puisse être qualifiée d’insignifiante : mais déjà, en attendant mieux, on est sûr de ne pas se tromper de beaucoup en écrivant à la suite du nom de notre Bouddha historique : circa 543-477 av. J.-C.


  1. C’est le Mahâ-parinibbâna-sutta (éd. Childers dans JRAS New Series 1875 VII p. 49 s. ; VIII 1876 p. 219 s. ; deux trad. par Rhys Davids dans Sacred Books of the East t. XI ou Dial. II).
  2. V. la carte de la fig. 3.
  3. Nous avons dû nous borner à mentionner les stûpa de la Braise et de Râmagrâma supra p. 321 l. 10 et 322 l. 4-5.
  4. Cf. Hiuan-tsang (J I p. 335 ; B II p. 33 ; W II p. 28). Les Sarvâsti-vâdin tenaient pour le mois de kârttika, les Thera-vâdin tiennent toujours à Ceylan pour le mois de vaiçâkha (JRAS New Series VII, 1875 p. 1). Cf. supra, à propos d’une divergence analogue, la note à p. 231, 44.
  5. Sur le Samañña-phala-sutta v. n. à p. 282, 17 ; sur les représentations de la visite d’Ajâtaçatru la n. à p. 254.
  6. LV p. 379 l. 12.
  7. Skt. nîti-çâstra.
  8. Videha, alias Tîrabhukti, alias Mithila : l’onomastique de l’Inde est d’une richesse déconcertante.
  9. Il n’est nullement nécessaire d’imaginer une connexion entre ce texte bouddhique et le verset XII 25 de l’Évangile selon st Mathieu : « Tout royaume divisé contre lui-même périra… » : le fait est d’expérience universelle.
  10. Sur la composition du MPS cf. Dial. II p. 71-2 ; nous ne nous en servirons pas moins constamment et aussi de l’étude de J. Przyluski sur les diverses versions conservées en chinois qui concernent le Parinirvâna et les funérailles du Buddha (JA 1918-1920). Nous regrettons de n’avoir pu utiliser l’étude de M. Waldschmidt.
  11. Le Râhula-vâda-sutta (sur le mensonge) et le Brahmajâla-sutta (Dial. I) sont donnés comme prononcés à Ambalaṭṭḥikâ.
  12. Cf. ASI Ann. Report 1921-2 et suiv.
  13. MVA VI 28-30.
  14. Fa-hien (B p. 54) dit « cinq » rivières ; trois s’imposent, outre le Gange lui-même, à savoir la Gandhakî et le Goghra (Gharghara) au N. et au S. le Sôn (Suvarṇa = Hiraṇyavatî = Errannoboas) : on cherche la cinquième. Cunningham (ASI XI p. 163) propose la Phalgu qui débouche un peu en aval.
  15. Sur l’origine du nom de Pâṭaliputra v. la légende contée par Hiuan-Tsang (J I p. 410 ; B II p. 83 ; W II p. 86) et consultez le Pâli Dictionary s. v. Puṭa ; sur les fouilles de Patna v. ASI Ann. Report 1912-3.
  16. Skt kâkapeya.
  17. En pâli agga-nagara.
  18. Cf. Dial. I p. 18 (no 17) et II p. 92 n. 2.
  19. Le miracle s’étend aussi à tout le cortège du Buddha dans BC tib. xxii 9. Cf. supra p. 195.
  20. Cf. supra p. 290.
  21. La tradition tibétaine (Life p. 130) croit devoir expliquer cette recommandation du Buddha par le fait qu’une famine, ce mal endémique de l’Inde, désolait le pays ; mais en fait cette dispersion était de règle pour alléger en la distribuant entre un plus grand nombre de fidèles la charge des laïques qui devaient, jour après jour, nourrir les moines, pendant leur retraite sédentaire.
  22. Encore un village qui tire son nom du bilva (Ægle marmelos) ; le BC tib. xxiii 62 l’appelle Veṇumatî.
  23. Sur le sens de l’expression idiomatique d’âcârya-mushṭi (LV p. 179 l. 12), ou âcaritya-muṭṭḥi (Milinda-pañha p. 144) Rhys Davids (Dial. II p. 107 n. 2) renvoie aux jât. nos 231 et 243 ; elle rappelle curieusement le mot de Fontenelle auquel il a été fait allusion supra p. 179 et cf. p. 167.
  24. Kalpaṃ tishṭḥeteis ton aiôna menei (cf. supra p. 303 l. 14).
  25. Ce passage du MPS correspond à DA p. 200 s. (traduit par Eug. Burnouf IHBI p. 4 s.) et remonte évidemment à la même source. Comme E. Windisch (Mâra und Buddha p. 33 s.) a soumis ces deux versions parallèles à une comparaison minutieuse et traduit à nouveau le texte pâli nous prenons ici plus de liberté avec le texte en éliminant les répétitions et énumérations oiseuses.
  26. Cf. supra p. 184-3.
  27. Le MPS dit : « d’ici trois mois » ; le DA dit : « à la fin des trois mois du varsha », c’est-à-dire dans quelques jours : cf. supra p. 2978.
  28. On remarquera que le BC ne fait allusion nulle part à une « faute » d’Ânanda (XXIII 64 s.) et que le parinirvâna de ce dernier est entouré d’une pompe exceptionnelle (AgbG fig. 444).
  29. DA p. 200 ; Hiuan-tsang J I p. 396 ; B II p. 73 ; W II p. 68. La « Biographie » (J p. 135-6 ; B p. 100) mentionne aussi le stûpa commémoratif du dernier « Regard en arrière ».
  30. La Vie en fait un orfèvre, ce qui est mieux porté.
  31. Pâli lohitapakkhandika.
  32. Dial. II p. 138 et 147-8.
  33. Cf. Manual p. 357-8 et Vie p. 275 s.
  34. Skt sûkara-mardanam de la racine mṛd « broyer » et sûkara- mârdavam substantif dérivé de l’adjectif mṛdu « doux, délicat »
  35. Cf. SBE XI p. 71 ou Dial. II p. 138.
  36. Cf. l’anecdote moderne contée dans Vie n. à p. 280.
  37. C’est à tort qu’on traduit nisîdissâmi par « je voudrais me coucher » : dans le texte comme sur les bas-reliefs le Buddha ne se couche que pour mourir : cf. infra n. à p. 308, 35.
  38. Le pâli l’appelle Pukkusa, les Mûla-sarvâsti-vâdin Purṇa. Il ne paraît pas dans le BC. Cf. J. Przyluski JA 1909 p. 1918.
  39. Le même que l’Ârâḍa Kâlâpa du LV (supra p. 120).
  40. La Vie traduit bhusa-agâra par « hangar » ; Rhys Davids préfère « aire-à-battre » : mais bhusa en hindi a le sens général de « fourrage », d’où la traduction par « grange ».
  41. Przyluski a essayé de deviner les raisons des rédacteurs (ibid. p. 415 s.).
  42. Cf. Manual p. 357 et Vie p. 283.
  43. Tel paraît être le sens de Malla-upavartana.
  44. Ici nipajjissâmi.
  45. Cf. AgbG fig. 276-283 et 437 et cf. 506-7.
  46. Dial. II p. 151 ; confusion de personnages dans Vie p. 286-7.
  47. Sur tous ces points v. ASI (Cunn.) I p. 76 s. ; XVIII p. 55 s. ; Ann. Report 1904-5 p. 43 s. ; 1905-6 p. 61 s. ; 1906-7 P. 44 s. ; 1910-1 p. 60 s.
  48. « De torchis », dit Rhys Davids forçant légèrement le sens de kuḍḍaskt kûḍya.
  49. Dial. II p. 161 et cf. Mahâ-sudassana-sutta (trad. ibid. p. 192 s. ainsi que le Jâtaka du même nom no 95).
  50. Tel paraît être le sens de kapi-sîsaskt kapi-çîrsha.
  51. Le MPS ne parle pas de l’âge de Subhadra ; la Vie semble le croire jeune ; Hiuan-tsang et le Dulva (Life p. 138) lui attribuent 120 ans.
  52. Cette règle existait-elle du vivant du Buddha ?
  53. J I p. 337 ; B II p. 33 ; W II p. 29.
  54. Sur cette question v. AgbG II p. 259 s.
  55. Ce sont les neuf vimokkha.
  56. Sur ces dundubhi cf. Sâñchî pl. 34, 35 et Ajaṇṭâ cave xvii.
  57. L’incident est reporté plus haut par le MPS au moment où le Buddha se couche (Dial. II p. 140).
  58. MVU IIII p. 47 s.
  59. Sur les six, sept, ou neuf chefs d’accusation v. les textes réunis par J. Przyluski, Le Concile de Râjagriha (Paris, 1926) et Life p. 152.
  60. CVA XI 1, 10 s. et X 1, 9 s. ; le CVA ne retient d’ailleurs que cinq chefs, omettant le refus de l’eau et la dénudation du cadavre.
  61. On le fait répéter au Buddha lui-même (Dial. II p. 154).
  62. Cf. Przyluski JA 1920 p. 7 s.
  63. Telle était la règle bouddhique ; dans d’autres communautés le cadavre doit être ou enterré ou jeté au fleuve, ligoté entre deux dalles de pierre, comme nous l’avons encore vu faire à Bénarès.
  64. Avadâna-çataka (trad. L. Feer dans Ann. du Musée Guimet XVIII p. 430) ; cf. Przyluski JA 1918 p. 401 et 1920 p. 17 et 13.
  65. Sâñchî pl. 30 : c’est un maha.
  66. Cela ne se fait régulièrement qu’après les obsèques.
  67. Le Mukuṭa-bandhana-caitya.
  68. Cf. sur ce point AgbG II p. 17-8.
  69. Nous entendons les pañcehi yugasatekhi comme rappelant les pañca-dussa-yuga-satâni dont il vient d’être question (éd. Childers p. 254 et 256). Rhys Davids préfère ne compter que « cinq cents fois la double enveloppe d’étoffe et de coton » : on ne voit pas ce que la vraisemblance y gagne.
  70. AgbG fig. 285. — Nous passons ici sous silence l’histoire tardive de l’intervention de Mâyâ à laquelle il a été fait allusion supra p. 68.
  71. AgbG fig. 287 : cf. Przyluski JA 1919 p. 19 et 1920 p. 35 s.
  72. Les quatre sortes de dhâtu sont ainsi les çârîrika, les paribhogika, les uddeçika et les dharma-çârîra.
  73. Nous croyons avec J. Przyluski JA 1918 p. 515 que la négation est tombée dans le texte pâli qui dit le contraire de tous les autres.
  74. De fait on nous parle de sommet du crâne, de clavicules et surtout de dents — la plus célèbre de celles-ci étant censée conservée à Kandy (Ceylan).
  75. Cf. AgbG fig. 288-201.
  76. Les termes diffèrent dans le cas des Çâkyas qui invoquent leur parenté avec le défunt, et du dynaste de Vishṇu-dvipa (p. Veṭḥa-dîpa) qui est brahmane.
  77. Ce brahmane doit sans doute son nom au récipient des reliques (droṇa est une mesure de capacité contenant 1 024 mushṭi ou « poignées ») : cf. les vers apocryphes à la fin du MPS.
  78. Sâñchî pl. 15 ; Amarâvatî B pl. 25, 2 (cf. Barhut pl. 12) et F pl. 7.
  79. Dial. II p. 156 et 183.
  80. Cf. JA 1909 p. 1 ou BBA p. 147 ; sur le stûpa de Râmagrâma v. Sâñchî pl. 11, 2 (cf. pl. 46, 3) et Amarâvatî F pl. 11-2. — Sur l’inscription du dépôt de Reliques du stûpa de Piprâwâ (à environ 12 kil. au S.-O. de Kapilavastu) v. Aug. Barth Œuvres vol. V p. 259 s.
  81. Telle est l’opinion autorisée de Sir John Marshall Sâñchî vol. I p. 20-23.
  82. V. Gilbert Combaz L’évolution du stûpa en Asie (Bruxelles-Louvain 1933).
  83. Cf. la stance mise dans la bouche du Buddha mourant (Dial. II p. 167 ; cf. BT p. 106 et Th. Watters On Yuan Chwang’s Travels in India II p. 33).