La Vie du Bouddha (Foucher)/Chapitre IX

Payot (p. 241-269).

TROISIÈME PARTIE

LES CYCLES MINEURS

CHAPITRE IX

L’OFFICE DE BOUDDHA

Dès lors que le sage d’entre les Çâkyas est parvenu à la Clairvoyance, qu’il a prêché sa Loi et qu’il a fondé sa Communauté, sa mission est remplie et son rôle terminé. Il n’est pas impie, pas même irrévérencieux de penser et de dire qu’il peut à présent disparaître sans qu’il en résulte aucun dommage pour l’humanité. Assurément ses sectateurs en viendront à croire de lui ce que les Juifs croyaient du Messie, qu’il aurait pu prolonger indéfiniment son séjour sur la terre si seulement il en avait été dûment prié ; et en fait, si l’on en croit la tradition, il lui reste à vivre ici-bas au moins autant d’années qu’il en a vécues. Mais (est-il nécessaire de le rappeler ?) son existence se déroulera désormais sur un autre plan que celui de tous les autres êtres animés. Théologiquement parlant, il est déjà « hors de siècle » ; en langage indien, il est à jamais sorti du tourbillon du samsâra. Quand le potier a achevé de modeler son vase d’argile et que déjà il le porte au séchoir, du fait de la vitesse acquise sa roue continue quelque temps à tourner à vide ; il en va de même, nous dit-on, de l’apparence corporelle du « délivré vivant[1] », entendez : du sage qui, dès avant son trépas, est entré dans la paix suprême. Il va, vient, mange, boit, dort, parle, agit, semble-t-il, comme tout le monde ou, plus exactement, comme tous les gens de bien ; mais aucun de ses faits et gestes ne compte plus pour lui, car aucun ne peut plus lui valoir de mérite ni de démérite. Il achève éveillé le rêve à la réalité duquel croient aveuglément les simples mortels ; et quand fatalement arrivera l’heure de ses funérailles, seuls se lamenteront ceux de ses fidèles qui ne seront pas encore arrivés à la pleine intelligence de la doctrine ; la sérénité des grands disciples n’en sera pas un instant troublée.

Ces conceptions qui, pour étranges qu’elles nous paraissent, sont familières aux Indiens ne pouvaient que modifier profondément, à partir du point où nous sommes parvenus, la contexture de la légende. Jusqu’ici nous avons pu suivre pas à pas la marche du futur Bouddha vers la Clairvoyance, puis les pérégrinations du Bouddha accompli à la conquête de ses premiers disciples ; car il savait où il allait et nous savions où il nous menait. À présent que son but est atteint il ne pourra plus, et nous avec lui, que piétiner sur place ou, tout au plus, tourner dans le même cercle. Son entrée anticipée dans le Nirvâna tend forcément à faire sauter directement l’intérêt du troisième au quatrième Grand miracle : aussi bien l’Ultime trépas n’est-il que la mise en scène d’une « Délivrance » dès longtemps consommée, et, s’il la manifeste plus clairement aux yeux du vulgaire, il n’y ajoute ni n’en retranche rien dans l’estimation des penseurs. Pendant l’espèce de sursis, extensible à volonté, que le Prédestiné s’est accordé — la légende dit : qu’il nous a accordé — en vue de guérir les êtres du mal de l’existence, il s’est lui-même condamné à se répéter. Aucune idée directrice nouvelle ne vient en aucun sens orienter sa vie. Dès lors la condition essentielle de toute composition littéraire manque ; et, par une conséquence inévitable, l’amas confus des souvenirs s’est dispersé à tous les vents. Contraste curieux, mais qui s’explique aisément de part et d’autre, tandis que les Évangiles résument en un court membre de phrase toute la jeunesse de Jésus-Christ dans la maison de ses parents : « Et il leur était soumis… », c’est la carrière publique de Çâkya-mouni que les textes bouddhiques condensent parfois en guère plus de paroles : « Et il fit tout son office de Bouddha[2]. » Ainsi que chaque exégète est contraint de le constater à son tour, nous possédons une manière d’épopée du Bodhisattva ; du Bouddha accompli, une fois jetés les premiers feux de son apostolat, nous n’avons ni épopée ni encore moins de biographie.

Que nous reste-t-il pratiquement entre les mains pour meubler l’intervalle évalué à près de neuf lustres[3] — long espace dans une vie humaine — qui s’étend entre l’installation au Djêtavana et les approches de la mort ? Seulement, épars çà et là, dans la trame sans fin des textes sacrés bouddhiques, des renseignements à la vérité très nombreux, mais toujours incidemment transmis, et trop souvent visiblement inventés. C’est surtout en tête des paroles mises dans la bouche du Maître que, pour leur conférer en quelque manière un brevet d’authenticité, les rédacteurs et commentateurs se sont crus obligés d’indiquer, qu’ils s’en souvinssent ou non, le lieu où elles furent prononcées, les personnes à qui elles s’adressaient et l’occasion qui les provoqua. Au total, aucune narration suivie ; en revanche, une collection considérable d’anecdotes tantôt insipides, tantôt pittoresques ou piquantes, mais perdues dans un océan d’homélies et ne comportant entre elles aucun lien. On ne saurait mieux comparer l’impression que l’on retire de ces interminables lectures, bourrées de perpétuelles répétitions, qu’à celle qu’inspirent les paysages où s’est déroulée la prédication du Prédestiné. Nous voulons parler de cette immense plaine du Gange, toute poussiéreuse pendant la saison sèche, toute verdoyante avec le retour des pluies, mais toujours plate et dénudée, et seulement coupée çà et là de bouquets d’arbres marquant l’emplacement des villages. Pareils à ces îlots de verdure semés sur la morne étendue de ce grand pays à la fois si doux et si triste, nous voyons bien aussi nombre d’épisodes se détacher sporadiquement sur le fond en grisaille de la carrière prédicante du Bouddha. Comment pourrait-il en être autrement alors qu’au cours de sa vie nomade il est entré, ou passe pour être entré en contact avec toutes les espèces d’êtres, depuis les damnés jusqu’aux dieux et avec toutes les castes humaines depuis les parias jusqu’aux rois et aux brahmanes ? De combien d’entre eux n’a-t-il pas obtenu les aveux ou recueilli les confidences ? À combien d’entre eux n’a-t-il pas cru devoir révéler pour leur gouverne le secret de leurs vies antérieures ? Ce n’est pas autrement que s’est amoncelé un trésor de contes moraux, récits du présent ou récits du passé, quelquefois bouffons, le plus souvent tragiques, et qui tous à l’envi s’offrent à nous édifier. Mais ce n’est pas d’édification, c’est de sélection et de classification que nous avons ici besoin.

De toute évidence il nous faut commencer par faire un choix entre toutes ces historiettes, et, de prime abord, le choix ne se présente pas dans des conditions difficiles. Comme d’habitude les vieux imagiers viennent aussitôt à notre secours, car la simple vue des motifs légendaires qu’ils traitent nous dévoile ceux qui avaient gardé les prédilections de leurs donateurs. De leur côté des hagiographes singhalais, birmans et tibétains[4] ont dès longtemps pris à tâche de relever dans le désert d’ennui des saintes Écritures les plus divertissantes oasis. À ces artistes comme à ces écrivains nous devons grande gratitude, car grâce à eux la meilleure part d’une laborieuse moisson est déjà engrangée à notre disposition. Il n’y a qu’un malheur, c’est que son ampleur déborde de loin le nombre de pages dont nous disposons, et ne tarderait pas d’ailleurs à lasser une patience européenne. D’autre part nous n’avons pas la ressource de suivre sur ce point l’exemple d’Açvaghosha. Jugeant avec raison que la carrière enseignante du Maître se traduisait dans les faits par une série de conversions, il en expédie l’exposé en trente-deux stances dénombrant une cinquantaine de convertis[5] ; mais nous ne pouvons plus prétendre avec lui qu’une telle liste de noms soit, aujourd’hui et chez nous, suffisamment évocatrice pour se passer de commentaires. On voit ainsi combien est étroit le passage qui nous est laissé entre le Charybde d’une prolixité indéfinie et le Scylla d’une trop sèche énumération : car l’intérêt biographique se briserait aussi bien sur un écueil que sur l’autre. Circonstance aggravante, nous ne pouvons davantage nous dissimuler qu’un troisième piège nous guette où, par la force des choses, nous ne sommes déjà que trop tombés. On peut en effet se demander si, somme toute, et en dépit de tous nos efforts pour nous en défendre, le précédent chapitre n’a pas été bien plutôt consacré à dépeindre le rang social, le caractère, l’humeur des premiers disciples qu’à nous faire pénétrer plus avant dans l’intimité de leur convertisseur. De cet écart de méthode il faudra désormais nous garder encore plus strictement. Non seulement notre choix sera obligatoirement restreint, mais dans les limites qui nous sont tracées il ne sera pas entièrement libre. Loin de pouvoir nous laisser guider, au gré de notre fantaisie, par le fait que tel ou tel récit contient plus ou moins de péripéties romanesques ou plaisantes, il ne nous faudra retenir que ceux qui éclairent de quelque biais le comportement ou la psychologie de notre Bouddha.

Ce premier point acquis nous laisse encore aux prises avec le problème beaucoup plus ardu de savoir comment tirer des débris épars de la légende un exposé biographique tant soit peu suivi. À la vérité les compilateurs tardifs dont nous venons de louer les bonnes intentions et l’industrie ont rétrospectivement essayé de coordonner entre eux tous ces fragments en leur assignant comme cadre la liste des localités où Çâkya-mouni aurait successivement passé chacune de ses retraites annuelles. Mais outre que ce prétendu point d’histoire n’a pas en soi grande portée, il est évident qu’à mesure que l’on avance dans la carrière du Prédestiné il a été de plus en plus arbitrairement fixé, tant et si bien qu’à partir de la vingtième année il a fallu renoncer à poursuivre cette chimérique entreprise. Son résultat le plus clair est d’achever de démontrer qu’un peu plus tôt ou un peu plus tard il faut toujours se résigner à voir le cours de l’existence du Bouddha se perdre comme une rivière dans les sables. C’est alors que se présente une autre solution qui est des plus tentantes. C’est le propre des fortes personnalités historiques d’éclairer de leur rayonnement le milieu et le temps où elles ont vécu. L’Inde ancienne que nous connaissons le mieux avant et après celle d’Alexandre est, sans contredit possible, celle de Çâkya-mouni et celle d’Açoka. Pourquoi ne tenterions-nous pas l’expérience d’introduire, chacun à leur tour et par ordre de préséance, dans le cercle qu’illumine l’auréole du Bienheureux tous ses interlocuteurs d’un jour, amis et adversaires (car, à la honte de la nature humaine, l’apôtre de la bienveillance a connu des ennemis acharnés) ? Mais déjà surgit l’objection dirimante qui nous interdit de prendre ce parti. Le Bouddha plane trop au-dessus des passions de ses visiteurs pour partager aucune de leurs aventures ; au drame de la vie il n’est plus acteur, mais spectateur. La revue des habitants des cinq « voies », toutes plus ou moins douloureuses, qu’entraîne dans sa révolution perpétuelle la grande roue de la transmigration, aurait sans doute l’intérêt de dérouler les divers aspects de la Comédie divine, humaine, animale, spectrale et infernale, telle que les bouddhistes la conçoivent ; et il est non moins certain qu’elle fournirait aisément la matière d’un livre spécial sur les contemporains de Çâkya-mouni ; elle ne nous apprendrait pas grand-chose sur lui-même, et c’est avant tout de lui qu’il s’agit ici. Ainsi à l’ordre chronologique inexistant nous ne pouvons songer à substituer cette sorte d’ordre hiérarchique. Notre barque va-t-elle faire naufrage au moment d’atteindre le port ?…

Peut-être aurions-nous dû épargner au lecteur toutes ces considérations liminaires ; il se peut aussi qu’il préfère avoir été mis au courant des raisons péremptoires qui nous ont dicté notre plan. Un arrangement chronologique des scènes est impraticable, et une classification sociale de leurs personnages, contre-indiquée ; mais il nous reste encore un dernier recours : c’est de voir s’il n’est pas du moins possible d’en établir une répartition géographique. Or cette méthode qui nous a fidèlement servi au cours des deux premières parties de notre étude ne nous abandonne pas davantage dans celle-ci — preuve de plus qu’elle correspond bien à l’une des formes caractéristiques de la mentalité indienne. Un regard jeté sur l’ensemble des souvenirs conservés fait vite distinguer que la plupart d’entre eux demeurent groupés, tels des systèmes planétaires au sein d’une nébuleuse diffuse, autour de l’une de ces étoiles de deuxième grandeur qui complètent le nombre des huit pèlerinages, à savoir les villes saintes de Çrâvastî, de Sânkâçya, de Vaïçâlî et de Râdjagriha. Ils constituent ainsi quatre cycles mineurs qu’il sera loisible d’étudier à part. Ces sortes de noyaux légendaires une fois renvoyés au prochain chapitre, il reste encore toute une poussière de données scripturales, molécules lumineuses flottant sur le noir du temps, à répartir entre les différents paragraphes de celui-ci : mais la tâche est singulièrement simplifiée par le fait que le précédent chapitre nous a déjà donné en raccourci un aperçu de l’œuvre du Bouddha. D’avance nous savons que la suite ne comportera également que déplacements capricieux sur un territoire relativement restreint, que prédications où le plus grand élément de variété tiendra au changement des auditoires, enfin et surtout que conversions ordinairement obtenues par persuasion pure, bref, rien qui rime à autre chose qu’à confirmer chez le Maître un prestige personnel qui n’est plus à démontrer. À raison de leur récurrence fréquente, sinon quotidienne, ces faits divers ne souffrent pas d’être passés sous silence, et certains méritent même qu’on repasse, pour les appuyer, sur des traits déjà connus : mais la grande majorité d’entre eux se laisse docilement ramener à un petit nombre de rubriques ; et quant aux rares incidents qui forcent au contraire l’attention par leur caractère inhabituel, ils viennent à leur tour s’inscrire, à titre d’exceptions confirmant la règle, sur les quelques thèmes fondamentaux où se résume le train ordinaire de l’ « office de Bouddha ».

La vie journalière. — Le grand commentateur du canon pâli, Bouddhaghosha, a pris soin de tracer pour notre bénéfice, d’après des textes qu’il connaissait mieux que personne, un tableau succinct de la manière dont on concevait de son temps (ve siècle) les habitudes quotidiennes du Prédestiné[6]. Celui-ci, nous dit-il, se levait de très bonne heure comme c’est, dans l’Inde et ailleurs, la coutume des personnes vouées à la vie contemplative ; et il profitait de ces instants gagnés sur le sommeil pour se livrer à la méditation et promener son œil divin sur l’ensemble de l’univers. En temps voulu il s’habillait pour sortir, prenait en main sa sébile et, tout comme le dernier de ses moines, allait quêter sa nourriture : on se souvient du scandale que, ce faisant, il souleva dans sa ville natale. Rentré au monastère, il lavait la poussière de ses pieds nus, procédait avant midi à son unique repas de la journée, et, en attendant que les membres présents de sa congrégation en eussent fait autant, s’installait sur le seuil de sa cellule. C’était le moment de la journée réservé à ses « fils » spirituels, à leur exhortation, à leur instruction, à la direction de leurs consciences ; et à ceux d’entre eux qui le lui demandaient il donnait un sujet de méditation approprié à leurs dispositions et à leurs besoins, à commencer par les dix objets de dégoût dans le cadavre et les trente-deux impuretés du corps pour finir par des thèmes de plus en plus relevés et abstraits ; car c’était là l’exercice religieux par excellence[7]. Après quoi chacun des bhikshou se retirait à l’écart pour passer à sa convenance les heures chaudes du jour, le plus souvent assis au pied d’un arbre dans une demi-somnolence ; et, à en croire les textes, c’est alors que venait le plus volontiers rôder autour d’eux ce « démon de l’après-midi », redouté aussi de nos moines. Le Bouddha lui-même, « couché sur son côté droit comme un lion », faisait aussi ce que nous appelons la sieste ou la méridienne[8] : mais il est bien stipulé que dans son cas il ne s’agissait que d’un état intermédiaire entre la veille et le sommeil et qui, loin d’entraîner une perte totale de conscience, n’interrompait même pas le cours de la pensée. Quand le soleil commençait à décliner et la température à se rafraîchir, c’était l’heure de l’audience publique, ouverte à tout venant, et où affluaient fidèles ou simples curieux. Celle-ci levée, le Bouddha prenait son bain et un instant de repos ; puis dans l’ermitage retombé au calme et au silence, le reste de la soirée appartenait de nouveau aux disciples, et les instructions ou conversations édifiantes se prolongeaient fort avant dans la première veille de la nuit.

On nous permettra de ne pas suivre plus loin les affirmations du pieux commentateur. Trouvant apparemment que la journée de son Maître n’est pas encore assez remplie, il lui fait consacrer la seconde veille de la nuit à la réception des divinités et partager la troisième entre une promenade hygiénique, un court repos éveillé, puis la méditation et la contemplation matinales. Moins impitoyables que le bon moine, nous accorderons au Bouddha quelques heures de sommeil. D’autre part il nous faut signaler dans son emploi du temps l’intervention éventuelle d’une importante modification. Çâkya-mouni acceptait personnellement et autorisait par suite ses « mendiants » à accepter des invitations à dîner dans la maison des fidèles laïques de toute condition. Ce jour-là la nécessité de la quête était supprimée et le premier entretien avec ses disciples remplacé par une homélie adressée à ses hôtes. En définitive sa vie quotidienne se trouvait ainsi repartie entre une méditation suivie d’un tour d’horizon ; une tournée de mendicité ou, exceptionnellement un repas en ville ; une ou deux conférences privées avec ses disciples, et une prédication publique. Du même coup le plan de notre exposé est d’avance tout tracé. Remarquons toutefois, que ce cadre ne s’applique exactement qu’aux périodes sédentaires dans les parcs voisins des grandes cités ; en temps de voyage, c’est-à-dire pendant une bonne partie de l’année, il fallait encore compter, aussitôt après la quête du matin, avec le temps nécessaire pour couvrir l’étape du jour, et ensuite avec les hasards des gîtes de fortune.

La quête-de-nourriture. — Comment le Bouddha s’acquittait-il de sa tournée d’aumônes ? Les règles de sa communauté suffisent à nous l’apprendre, car elles se bornent à codifier la façon d’agir du Maître, modèle inimitable et en tout imité. Aussi bien ne faisait-il lui-même que suivre à la perfection une coutume immémoriale et déjà pratiquée par lui au cours de ses vies antérieures[9]. Il ne jugeait pas suffisant d’être correctement vêtu, digne dans son maintien et recueilli dans sa pensée, tel enfin qu’on nous a déjà décrit tel de ses moines[10]. Comme lui, le vrai religieux devait encore se garder d’aller droit à l’habitation de quelque riche fidèle laïque, où il était d’avance certain de recevoir une large offrande de savoureux aliments. Il lui fallait commencer par le bout de la rue ou du bâzâr, et aller ensuite de porte en porte ou de boutique en boutique, sans en omettre aucune[11] : car c’eût été priver l’occupant de sa chance d’obtenir des mérites en lui faisant la charité. Il devait toutefois s’entendre avec ses confrères pour ne pas ruiner les familles par un trop grand nombre de demandes trop souvent répétées et recueillir ses aumônes comme l’abeille fait son miel, sans froisser la fleur. Par ailleurs il lui était interdit de remercier aussi bien que de quémander ; il devait se tenir immobile, silencieux et les yeux baissés, et attendre, comme on dit, « le temps moral » ; puis, s’il devenait clair qu’on n’avait pas l’intention de lui rien donner, continuer sa route sans un mot de récrimination ni un regard de reproche. Encore moins lui était-il permis, s’il possédait les pouvoirs magiques, de céder à la tentation de les manifester en vue de se procurer quelque présent exceptionnel. Enfin il devait savoir se contenter de ce qui lui était spontanément offert ; et, en revanche, il ne pouvait refuser aucun don que ce fût, venant d’un cœur sincère. De ceci encore le Bienheureux avait donné l’exemple. Un matin qu’il quêtait dans la grand-rue de Râdjagriha[12], un enfant qui jouait, comme ont partout et de tout temps joué les enfants, à faire des pâtés de sable, s’avisa de déposer dévotement une poignée de poussière, en guise de farine, dans le bol du grand çramane qui passait ; et non seulement le Bouddha se prêta à ce geste puéril, mais encore il aurait prédit au garçonnet qu’en récompense de son simulacre d’aumône il renaîtrait comme roi du pays et deviendrait un jour l’empereur Açoka.

Bouddhaghosha n’a pas manqué l’occasion de répéter à propos de Çâkya-mouni, le cliché des textes sacrés sur les prodiges qui accompagnent automatiquement la quête de tous les Prédestinés. Dès que l’un d’eux entre en ville, tout prend un aspect enchanteur ; une pluie fine abat devant lui la poussière ; les oiseaux et les animaux domestiques l’accueillent par leurs chants et leurs cris joyeux, des musiques célestes se font entendre, la terre s’aplanit sous ses pas, et, avertis par tous ces signes de son arrivée, les citadins s’empressent à l’envi de lui apporter leurs offrandes[13]. Il y avait, hélas, un revers à ce tableau : parfois, nous avoue-t-on, — particulièrement dans les « villages de brahmanes » — Çâkya-mouni et ses disciples se heurtaient à l’avarice, voire même à l’animosité des habitants. Bien entendu la faute en était moins à ceux-ci qu’à Mâra qui, de grand dieu devenu le diable, s’abaissait jusqu’à s’emparer de leur esprit et à endurcir leur cœur en vue de jouer un mauvais tour à son ennemi juré et à ses moines. Les pieux vagabonds ne s’en retournaient pas moins avec leurs sébiles vides, et n’avaient d’autre ressource ce jour-là que de se nourrir, comme les dieux des plus hautes sphères, « de leur propre félicité », et sans doute aussi de serrer la ceinture qui retenait sur les hanches leur long pagne[14]. Parfois ils se heurtaient à l’hostilité des chiens qui, comme on sait, n’ont jamais ni nulle part aimé les gens « portant bâton et mendiant » ; et, de fait, l’équipement des bhiskshou se compléta bientôt d’un long bâton pour se préserver de leurs morsures. Ils avaient même, soit dit en passant, fort ingénieusement adapté cette arme défensive à un second usage en munissant son extrémité supérieure d’un jeu d’anneaux dont le cliquetis leur permettait, sans rompre le silence, d’éveiller l’attention des patrons par trop distraits. On ne nous dit pas que le Bouddha lui-même ait jamais eu besoin de se servir de cet instrument à double fin[15]. Sa réputation était telle qu’il ne passait jamais inaperçu ; et un jour qu’à Çrâvastî il avait été accueilli au seuil d’une somptueuse demeure par les aboiements furieux d’un chien blanc, favori du propriétaire absent, il n’eut qu’à dire à l’animal, en le regardant fixement : « Quand cesseras-tu enfin de faire le faraud[16] ? », pour qu’aussitôt, la tête et la queue basses, il allât se coucher tristement dans un coin. Quand le maître de la maison rentra, il demanda à ses domestiques : « Qui donc a fait de la peine à ce chien ? » Ils répondirent « C’est le Bouddha », et aussitôt l’autre s’en courut au Djêtavana pour adresser au Bienheureux de véhéments reproches. Mais celui-ci lui rabattit vite le caquet en lui apprenant que son chien n’était autre que la réincarnation de son père, naguère si avare et si hautain ; s’il en voulait la preuve, il n’avait qu’à demander à l’animal de lui montrer la place où, du temps qu’il était homme, il avait enterré un trésor dont, même en mourant, il n’avait pas révélé l’existence à son fils. Tout se passe comme le Bouddha l’avait dit, et Çouka, à la fois enrichi et convaincu, ne croit pas pouvoir mieux prouver sa reconnaissance que par une invitation à dîner.

Les invitations. — Nous avons déjà assisté à plusieurs de ces cérémonies : il nous reste à prendre connaissance dans les textes de leurs rites, qui étaient assez compliqués. C’est que l’invitation adressée au Maître, et que celui-ci acceptait « par son silence », s’étendait d’office à son cortège de disciples. Il importait à ceux-ci d’être certains de trouver une place au banquet qui leur était offert ; il n’importait pas moins à leurs hôtes de savoir sur combien de convives ils pouvaient compter afin de proportionner leurs préparatifs à ce nombre. Le matin fixé, une personne digne de confiance devait venir avertir le Bienheureux que tout était prêt et « qu’il prît son temps », ceci afin d’éviter toute mauvaise surprise ; car il y a toujours eu partout des mystificateurs, et tel d’entre eux trouvait parfois spirituel de faire tomber à l’improviste chez un voisin avec qui il était en mauvais termes, par le moyen d’une invitation supposée, une bande de religieux affamés par leur jeûne de vingt-quatre heures[17]. Toute crainte de contretemps ainsi écartée, le Bouddha et ses compagnons se rendaient à la maison du fidèle laïque. Des sièges y avaient été préparés pour eux, mais ils apportaient chacun leur vase à aumônes ; car ne l’oublions pas, ils n’étaient après tout que d’honorables « hors-castes », et ils épargnaient ainsi à leur zélateur, outre l’embarras de procurer un bol à chacun d’eux, la perte sèche qui eût résulté pour lui de la nécessité de briser à l’issue du repas toute cette vaisselle rendue impure par leur contact. Dès qu’ils étaient assis, le maître de la maison et les siens s’empressaient à les servir, tout en se gardant de manger avec eux. Des bas-reliefs du Gandhâra nous montrent de petites tables pliantes disposées devant chaque convive pour la commodité du service[18]. L’Inde d’alors n’était pas aussi végétarienne qu’elle l’est devenue depuis ; la viande et le poisson étaient permis aux membres de la Communauté à la seule condition que les animaux ne fussent sacrifiés ni à leur vue ni exclusivement à leur intention[19]. Tous les aliments, sauces et condiments devaient, comme de règle, être déposés ou déversés dans les bols individuels. Il fallait ensuite laver tous ces récipients, et aussi les mains droites qui y avaient puisé : car les Indiens ignoraient, et la plupart d’entre eux ignorent encore aussi bien l’usage de la fourchette européenne que des baguettes chinoises. Ces ablutions terminées, la famille hospitalière s’installait aux pieds du Maître et écoutait dévotement la petite allocution de rigueur par laquelle « il l’enseignait, l’encourageait, l’exhortait et la réjouissait ». Après quoi, ayant payé l’écot pour tous par cette sorte d’action de grâces, il se levait de son siège, et rentrait avec ses moines à l’ermitage ; car aucune robe jaune ne devait se montrer en ville entre midi et l’aube du lendemain[20].

Tel était l’ordinaire cérémonial ; mais il comportait parfois des variantes. Seuls les rois et les banquiers disposaient de demeures assez spacieuses pour recevoir à la fois des centaines de convives. Encore fallait-il, au cours de ces réceptions, empêcher l’afflux de religieux appartenant à d’autres sectes et qui se seraient volontiers invités eux-mêmes. C’est ainsi qu’Anâthapindada donne à son concierge la consigne de leur interdire l’accès de sa maison pendant qu’il héberge le Bouddha et sa communauté ; et quand Mahâ-Kâçyapa, sortant d’une retraite rustique, arrive en retard avec sa barbe et ses cheveux trop longs et ses vêtements déguenillés, le serviteur trop zélé lui ferme la porte au nez, le prenant pour un hétérodoxe[21]. Toutefois les gens logés trop à l’étroit n’étaient pas pour cela contraints de renoncer à améliorer les conditions de leurs renaissances futures en pratiquant l’œuvre méritoire de la nourriture des moines. Ils se rendaient de bon matin au monastère et faisaient prévenir un certain nombre de ses occupants qu’ils n’aient pas ce jour-là à se déranger pour leur quête, et que leur repas leur serait apporté tout préparé : « Donnez-m’en dix, disait l’un ; donnez-m’en vingt, disait l’autre[22]… » Et ainsi les citadins rivalisaient entre eux de pieuses attentions. Mais il fallait encore prévoir qu’au cours de ses perpétuels voyages, le Bouddha aurait à traverser des régions mal peuplées ou trop stériles, et par suite incapables de le nourrir, lui et son cortège, dont les textes se plaisent à grossir l’importance en l’évaluant couramment à plus d’un millier de bhikshou. En ce cas, nous dit-on, « les gens du pays, après avoir chargé sur des chariots des provisions de sel, d’huile, de riz et d’aliments solides, suivaient pas à pas la Communauté des moines avec le Bouddha à sa tête en se disant : Lorsque viendra mon tour, je leur offrirai un repas… ». Parfois même redoublant de prévenances, ils emmenaient avec eux un grand troupeau de vaches afin de leur fournir chaque jour du lait frais ; et, profitant de l’aubaine, une bande d’indigents — ceux-ci mendiant par nécessité pure et non par vœu de pauvreté — s’attachait à la pieuse caravane afin de manger les restes[23]. On voit jusqu’où s’étendait la sollicitude des zélateurs quand il s’agissait, comme ils disaient, « de cultiver leur champ de mérites ». En revanche le Bouddha aurait eu une fois l’occasion de protéger contre une bande de brigands une caravane de marchands qui l’accompagnait volontairement entre Çrâvastî et Râdjagriha[24]. Il n’y a qu’une ombre au tableau qui nous est ainsi tracé de cet échange de services : c’est celle que projetait trop souvent sur la contrée tout entière le spectre de la famine, quand la mousson des pluies venait à manquer ; mais même en temps de disette les fidèles laïques faisaient des prodiges pour que leurs chers révérends n’eussent jamais à souffrir de la faim[25].

La dévotion est une belle chose ; encore faut-il qu’elle ne s’égare pas : sinon elle peut mener jusqu’au crime. Le souvenir s’était conservé d’une invitation qui cachait de criminels desseins. N’oublions pas que de nombreuses sectes exploitaient concurremment la charité du bâzâr, et de tout temps une guerre sourde ou déclarée, dont l’enjeu était pour elles vital, se livrait entre leurs ressortissants autour du partage des aumônes : à plus forte raison la nouvelle congrégation devait-elle exciter la jalousie des anciennes auxquelles elle disputait forcément leur clientèle laïque. Seul, nous assure-t-on, le Bouddha, avec son sens inné des convenances, demandait à ses néophytes de bien réfléchir avant de lui transférer leur allégeance et leur conseillait de continuer leurs charités aux rivaux[26] qu’il supplantait dans leur foi et dans leur cœur. Mais il n’en allait pas de même des hétérodoxes qui n’hésitaient pas à défendre âprement, et par les pires moyens, leurs situations acquises. Il n’est pas, comme nous verrons bientôt, de scélératesse que les bouddhistes ne leur prêtent, particulièrement à ceux qui poussaient le vœu de pauvreté jusqu’à vivre entièrement nus et qui semblent avoir été les plus haïssables à leurs yeux, peut-être parce qu’ils étaient les mieux ancrés dans la vénération populaire. S’il faut en croire nos sources, Pourana, le supérieur de l’une d’elles, n’aurait comploté avec un bourgeois de Râdjagriha, son âme damnée, rien moins que la mort du Bienheureux. Il persuada à son dévot de feindre d’inviter celui-ci à dîner, et de creuser devant sa porte une fosse profonde, pareille à celles qui servaient à prendre les bêtes féroces, et pour plus de sûreté, avant de la recouvrir de minces branchages et d’une natte, d’y amonceler des charbons ardents. Bien qu’il eût pénétré les perfides intentions de ce Çrîgoupta, le Bouddha accepte l’invitation et s’y rend avec tout son entourage ; mais à son approche la fosse ardente se change en un étang de lotus, dont les fleurs jettent comme un pont sous ses pas et ceux de sa suite[27].

Faut-il le dire ? De l’aveu de nos textes il y avait eu provocation. Quelques jours plus tôt, au moment où Pourana entrait comme à l’accoutumée dans la maison de son zélateur pour y prendre son repas, il avait eu un sourire, et aussitôt un de ses disciples, de mèche avec lui, lui en demanda la raison. Il répondit : « C’est que je viens de voir un singe tomber à l’eau et se noyer dans la rivière Lente » — celle qui arrose Çrâvastî[28], à des centaines de lieues de là. Stupeur admirative de tout l’auditoire. Seule l’épouse de Çrîgoupta, en sa qualité de dévote bouddhiste, n’est pas dupe. Elle prend la sébile de l’ascète et, contrairement à l’usage ordinaire y verse d’abord la sauce de cari, puis la remplit de riz jusqu’au bord et la lui rapporte. Quand Pourana surpris de tant de blancheur réclame des condiments, son imposture est aussitôt dévoilée, puisque son prétendu œil divin n’est même pas capable d’apercevoir ce qu’il y a au fond de son bol[29]. Désire-t-on une contre-épreuve démontrant qu’au contraire la parole du Bouddha ne peut être que véridique ? Toujours à Râdjagriha le Prédestiné a prédit à un donateur occasionnel, adepte des Ascètes nus et dont la femme était grosse, qu’il aurait un fils. Il s’agit pour les hétérodoxes de démentir à tout prix la prophétie de leur rival ; et ils ont assez d’empire sur l’esprit de leur imbécile de zélateur pour obtenir de lui qu’à force de manœuvres abortives il fasse mourir son épouse avant terme. Le cadavre est porté au lieu de crémation et déjà ils triomphent quand, pour leur confusion, un beau petit garçon sort indemne du bûcher de la mère[30].

Les visites. — Ces anecdotes, choisies entre bien d’autres, ont cet intérêt immédiat de nous apprendre quel était le reproche essentiel, et souvent trop fondé, que se renvoyaient l’une à l’autre les différentes sectes. En somme elles s’accusaient réciproquement d’escroquerie à la dévotion : car c’est en s’attribuant faussement la possession des pouvoirs magiques, à commencer par l’omniscience, qu’elles maintenaient leur emprise sur les populations. Du même coup nous comprenons mieux quelles sortes de pièges le Bouddha était journellement exposé à se voir tendre par ses irréconciliables adversaires. Comme l’audience des fins d’après-midi était ouverte à qui voulait, rien ne le défendait contre des machinations qui toutes tendaient à le déconsidérer aux yeux du vulgaire, et l’occasion était belle de lui poser publiquement des questions captieuses, voire même de lancer contre lui de calomnieuses accusations[31]. De celles-ci il sera bientôt question ; pour l’instant il suffit de donner de celles-là un exemple typique et dont la pointe ne nous échappe plus. Un jour un sophiste hétérodoxe vient se camper devant le Maître assis au milieu du cercle de ses auditeurs, en tenant dans l’une de ses mains un moineau (l’espèce en est répandue dans tout l’Ancien monde) ; et il le défie de lui dire si l’objet qu’il tient est mort ou vivant. Quelle que fût sa réponse, il se proposait de le démentir au su et au vu de tous soit en étouffant l’oiselet, soit en le laissant s’envoler[32]. À ce jeu de devinette, s’il avait eu l’imprudence de s’y prêter, le Bouddha ne pouvait que perdre la face.

Dès lors en comprend mieux pourquoi le Maître, avant d’engager une controverse, s’informe auprès de son interlocuteur si ce dernier se propose de discuter de bonne foi et de maintenir le débat sur le plan désintéressé des idées pures. Tel était, hâtons-nous de le dire, l’habituelle disposition d’esprit de ses contradicteurs brahmaniques. Du point de vue doctrinal, ils étaient les plus éloignés de lui ; mais ou bien, restés dans le monde, ils exerçaient comme aujourd’hui toutes sortes de professions ; ou bien, voués à la vie religieuse, tantôt ils recevaient des rois quelque apanage, tantôt ils pourvoyaient eux-mêmes dans leurs ermitages au plus clair de leurs besoins matériels : et ainsi ils n’avaient pour la plupart aucune raison d’user des mêmes procédés de concurrence déloyale que les hétérodoxes. Ajoutez qu’on n’échappe pas facilement à l’emprise des préjugés sociaux. Avec une sereine inconséquence les bouddhistes, fiers d’avoir un prince pour fondateur, proclamaient que la caste des nobles est supérieure à celle des brahmanes ; après quoi, pour les besoins de leur polémique, ils soutenaient que les prétendus droits de la naissance n’ont aucune valeur puisque tous les enfants des hommes (à l’exception de leur Maître) naissent pareillement et pareils. Ce qui définit pour eux le brahmane, ce n’est donc ni la couleur du teint, ni la généalogie, ni l’érudition védique, mais seulement la sagesse et la vertu : il n’empêche que ce terme générique a d’ordinaire dans leurs écrits une acception élogieuse, tandis que l’appellation donnée par eux aux çramanes hétérodoxes est toujours un terme d’opprobre ; tant il est vrai qu’il n’est pire haine qu’entre proches voisins[33]. De leur côté les membres de ce que nous appelons à tort la caste sacerdotale tenaient sûrement compte à Çâkya-mouni, jusque sous son manteau de moine, de sa noble extraction, et c’est ainsi qu’un respect mutuel s’établissait souvent entre lui et les chefs d’écoles brahmaniques. Toutefois il ne nous est pas caché que ceux-ci ne se souciaient guère d’affronter en personne sa virtuosité dialectique et sa profonde connaissance du cœur humain — voire même ses cinglants quolibets, si tant est qu’il ne dédaignât pas d’user de ceux par lesquels ses adhérents ne se lassaient pas de ridiculiser leurs adversaires. Ceux-ci prétendaient en effet, pour justifier les sacrifices sanglants, que les animaux égorgés par eux gagnaient le ciel : alors pourquoi ne se hâtaient-ils pas de sacrifier leur parenté pour lui assurer sans plus tarder le même bonheur céleste ? Ou encore ils proclamaient qu’un bain dans leurs fleuves sacrés purifiait de tous les péchés : c’était en vérité faire la partie belle aux crocodiles et aux grenouilles du Gange, etc. Aussi l’entourage des grands docteurs brahmaniques les exhortait-il à ne pas compromettre leur prestige personnel en rendant visite à un çramane, si renommé qu’il fût ; et d’ordinaire ils commencent par lui décocher un de leurs étudiants, chargé de mettre à l’épreuve sa réputation d’omniscience[34]. Une fois même un vieil anachorète lui envoie du fond du Dekkhan non moins de seize de ses disciples. Coiffés de leurs tours de cheveux nattés, et drapés dans leur peau d’antilope noire, ils cherchent de ville en ville le Bienheureux jusqu’à ce qu’ils le découvrent enfin dans une grotte rocheuse du Magadha, en train de prêcher à ses moines, et obtiennent de sa bouche une réponse satisfaisante à toutes les questions qui causent leurs perplexités[35].

On se plaint parfois que l’histoire ne relate guère que les faits et gestes des grands de la terre : la faute n’en est pas tant à l’historien qu’à l’esprit servile de l’humanité. Nous ne nous étonnerons donc pas que les vieux sculpteurs de l’Inde centrale consacrent tant de bas-reliefs aux visites que le Bouddha reçut des rois de son temps. Bimbisâra, le souverain du Magadha, était resté pour lui depuis sa conversion un ami fidèle : et quand il aura été criminellement remplacé par son fils Adjâtaçatrou, ce dernier viendra également chercher dans la conversation du Bienheureux un apaisement aux remords que lui cause son parricide. Avec l’autre grand monarque de l’Inde centrale, Prasênadjit, le roi du Koçala, le Prédestiné aurait également entretenu des relations sinon amicales, du moins courtoises[36]. Ces visites royales se déroulent selon un protocole immuable. C’est le monarque qui se dérange le premier. Entouré de sa cour, précédé de ses musiciens et suivi de ses gardes, il s’avance sur son char aussi loin que le chemin est carrossable, puis continue sa route à pied. Au seuil de l’ermitage, il arrête sa suite et dépose les cinq précieux insignes de son rang : « diadème, parasol, épée, chasse-mouche et sandales[37] ». Enfin quand il arrive en présence du Bouddha, il commence par se prosterner devant lui. On ne saurait plus clairement reconnaître la supériorité de la dignité spirituelle sur le pouvoir monarchique ; mais dans les idées indiennes, cette éclatante manifestation n’entraînait nullement comme en l’Europe médiévale, lors de la fameuse entrevue de Canossa, l’humiliation de la personne royale. Aux abords des villes indépendantes gouvernées par des oligarques, comme celle de Vaïçâlî par les Litchavis ou de Kouçinagara par les Mallas, le même cérémonial se répétait à chacun des passages de l’infatigable inventeur et colporteur de la Bonne-Loi. Des marques de déférence qui lui étaient prodiguées la tradition apporte même une confirmation indirecte en nous contant qu’elles coûtèrent son trône à Prasênadjit. Le ministre entre les mains duquel celui-ci avait laissé les cinq insignes de la royauté met à profit le tête-à-tête entre le roi et le Bouddha pour rentrer en ville avec elles et faire couronner le prince héritier Viroudhaka[38].

Il n’en est pas moins écrit que « la visite faite aux çramanes est une suprême bénédiction[39] ». C’est sans doute pour les visiteurs que l’auteur de ce cantique parle : il oublie que pour le visité cela peut devenir à la longue un ennui. En dépit de son inaltérable patience, le Bouddha, nous avoue-t-on, se sentait parfois fatigué du constant afflux des citadins à ses audiences quotidiennes. C’est ainsi que pendant ses séjours au Bois-des-Bambous de Râdjagriha il aimait à se retirer de temps à autre sur l’une de ces collines rocailleuses qui sont l’élément pittoresque de la plaine magadhienne : là il pouvait enfin méditer en paix. Mais les cicérones qui montraient aux pèlerins les grottes où il abritait ainsi sa solitude s’étaient chargés de corser ce trop simple motif d’édification. À les en croire, le Bouddha ne se délivrait ainsi de l’importunité des hommes que pour être relancé dans sa retraite par les dieux. Dans l’une de ces cavernes Indra était venu en personne lui rendre visite après s’être fait annoncer par son harpiste en chef, Pañcaçikha[40], et il aurait même remporté de l’entrevue, outre une solution à ses « quarante-deux » doutes, une prolongation de son bail dans le paradis des Trente-trois. Comment ne pas le croire, alors que l’on voyait encore gravés dans la pierre les signes mnémotechniques que le roi des dieux, soucieux de n’oublier aucun item de sa longue liste de questions, avait lui-même pris soin de tracer ? Dans la paroi d’une autre grotte les guides montraient également sans rire la fissure par laquelle le Bouddha avait de vive force passé le bras afin de rassurer en lui caressant la tête (d’autres disent l’épaule) son fidèle Ânanda, demeuré au dehors, et que Mâra épouvantait sous la forme d’un gigantesque vautour[41]. On ne pouvait en effet oublier que le Malin continuait à rôder sans cesse autour du Bienheureux et de ses moines, guettant en vain une défaillance de leur part ; et même quand le rédacteur du « Sermon sur la Grande Assemblée » remplit le firmament de toutes les divinités indiennes qui, renversant les rôles, descendent en corps vénérer les simples mortels que sont le Bouddha et sa Communauté, il croit devoir mêler assez mal à propos l’Archi-démon et son armée à ce panthéon d’adorateurs[42].

Mais laissons là les évocations divines et revenons au train ordinaire des choses. Rois ou grands seigneurs, sophistes sans scrupules ou honorables contradicteurs n’étaient après tout que des visiteurs exceptionnels. La majeure partie des auditeurs quotidiens du Bouddha était naturellement composée de fidèles laïques, pour la plupart recrutés parmi les boutiquiers du bâzâr. « Accompagnés de leurs femmes, vêtus de leurs plus beaux habits, portant dans leurs mains fleurs parfums et offrandes », ils venaient comme nous dirions « à vêpres » lui rendre sa visite du matin. Les uns désiraient simplement se faire confirmer dans la bonne voie par le prêche du Maître ; d’autres avaient un but plus précis, une consultation morale à demander, une pétition à soumettre ou une invitation à présenter[43]. Il y avait aussi le flot des indifférents, dont beaucoup venus de fort loin, poussés par la curiosité de voir de leurs yeux et d’entendre de leurs oreilles le grand prédicateur dont la renommée grandissait de jour en jour. Rares étaient ceux qui s’endormaient au sermon ou qui, victimes d’un tic hérité de quelque existence antérieure, passaient leur temps à se gratter ou à lever le nez en l’air[44]. Après le départ des visiteurs l’officieux Ânanda ne manquait pas de faire sa ronde et ramassait pour les mettre en sûreté les objets oubliés par eux. C’est ainsi que quotidiennement se pressait autour du Bouddha une foule de personnes de tout pays et de toutes conditions, où le menu peuple coudoyait les grands de la terre et les courtisanes les plus prudes dames patronnesses : « De même, est-il écrit, qu’un homme altéré court vers l’eau, de même les gens accouraient de toutes parts vers le Maître… » L’abreuvoir, nous l’avons déjà dit, était public ; mais si chacun était libre d’y venir boire, il ne l’était pas de s’en retourner moralement tel qu’il était venu. Pour tous ceux que leurs mauvaises actions passées ou leurs coupables passions présentes n’avaient pas foncièrement corrompus, l’inévitable aboutissement de la visite était l’adhésion, ou même la conversion.

Adhésions et conversions. — Si l’on peut s’exprimer ainsi sans irrévérence, l’art d’apprivoiser les âmes était le sport favori du Bouddha. Lui-même aurait proclamé que le plus agréable présent qu’on pût lui faire était de lui amener un homme à convertir[45]. Il s’y prenait, autant que nous pouvons savoir, avec une adresse consommée. Il se gardait bien de commencer par énumérer froidement devant son interlocuteur occasionnel, en les comptant sur ses doigts, les rigides conclusions auxquelles l’avaient conduit ses méditations pendant la nuit de la Sambodhi, non plus que l’élaboration ultérieure de ces révélations : le pain des forts n’était pas immédiatement assimilable pour les intelligences ordinaires. C’est seulement à ceux qui étaient d’avance préparés à le recevoir qu’il pouvait être présenté d’emblée[46] sans risque de les rebuter. Voici comment, en bon psychologue, procédait d’ordinaire le Maître :

Et alors le Bienheureux prêcha dans l’ordre de gradation suivant, à savoir sur la charité, sur la moralité, sur les paradis [sur l’acquisition et la maturation des mérites[47]], sur le danger, la honte et la souillure des plaisirs sensuels, sur les avantages de la vie religieuse. Puis, quand le Bienheureux vit que l’esprit (de tel ou tel interlocuteur) était préparé, malléable, désobstrué, exalté, confiant, alors il lui prêcha ce qui est le résumé par excellence de la Loi des Bouddhas, la Douleur, son origine, sa suppression et la Voie. Et tout de même qu’une étoffe propre et sans tache s’imprègne bien de la teinture, de même (pour cet auditeur), sur la place même où il était assis, se leva la vision claire et pure de la Loi (et il connut) : « Tout ce qui est sujet à la production est sujet à la destruction ». Et ayant vu, atteint, connu, pénétré la Loi, affranchi de ses doutes, débarrassé de ses incertitudes, plein de confiance et tout entier conquis à l’enseignement du Maître, il s’écria : « Merveille, Seigneur, merveille ! Tout de même, ô Seigneur, qu’on relève ce qui est tombé, qu’on découvre ce qui est caché, qu’on indique son chemin à celui qui est égaré, que dans les ténèbres on apporte une lampe pour que ceux qui ont des yeux voient, exactement de même par le Bienheureux a été diversement prêchée la Loi. Moi que voici, Seigneur, je mets mon recours dans le Bienheureux, dans la Loi et dans la Communauté. »

Déjà l’on devine que ce cliché revient à chaque instant dans les textes. Ce n’est pas autrement que le Bouddha se serait attaché ses légions de fidèles, tantôt individuellement, tantôt par petits groupes, et tantôt en masse — comme par exemple, quand il rallia d’un seul coup à sa Loi les 80 000 maires des 80 000 villages du Magadha ; car le roi Bimbisâra, ayant eu occasion de convoquer ces dignes fonctionnaires pour leur donner des instructions administratives, en avait profité pour les envoyer prendre auprès du Bienheureux sur la Colline-des-Vautours les directives religieuses dont ils n’avaient pas un moindre besoin[48]. Encore le Maître ne pouvait-il user ainsi de persuasion qu’avec des gens paisibles et disposés à écouter docilement sa parole. Il lui arrivait aussi de se heurter à des âmes rebelles que la violence de leurs instincts déchaînés rendait pour l’instant sourds à sa voix. Nous avons vu qu’au matin, en fin de méditation, il promenait son œil divin sur toute l’étendue de ce monde : et parfois, grâce à ce don de télévision, il s’apercevait qu’ici ou là se préparaient des drames qui requéraient d’urgence sa charitable intervention. C’est ainsi qu’un jour, du fond de sa résidence du Djêtavana, il vit à bien des lieues par delà l’horizon de l’Est que Çâkyas et Koliyas allaient en venir aux mains pour se disputer l’eau de la Rohinî qui séparait leurs territoires[49] ; car, alors comme aujourd’hui dans les campagnes indiennes, quand les canaux d’irrigation ne peuvent plus suffire aux besoins des deux rives, les latthi de bambou des villageois riverains avaient vite fait d’entrer en danse. Une autre fois c’est le petit prince d’Atavî, victime innocente, dont un Génie anthropophage va s’emparer pour le dévorer[50] ; ou encore le brigand Angoulimâla qui, pour parfaire à cent le nombre de ses victimes — et des doigts coupés sur chacune d’elles, dont, comme l’indique son nom, il se fait une guirlande — s’apprête à égorger sa mère[51]. À ces cas désespérés, rien qu’un miracle n’est capable de porter un assez prompt remède. En un clin d’œil le Bouddha se transporte à travers les airs là où son bon cœur le pousse. Une fois même c’est avec tout un cortège de moines qu’il se rend ainsi de Çrâvastî au Bengale pour répondre à l’appel mental de la fille d’Anâthapindada qui, mariée au fils d’un zélateur des Ascètes nus et leur refusant son hommage, est menacée d’être mise à la porte par son beau-père[52]. Il va sans dire que l’apparition inopinée du Bienheureux suffit en chaque occasion à empêcher toute mauvaise action et à ramener le calme dans les cœurs en proie à la colère. Et pourquoi cela ? C’est qu’il dispose d’une arme irrésistible autant qu’invisible, la force de « bienveillance[53] » qui émane de tout son être et subjugue en même temps qu’elle apaise ceux vers qui il dirige cette sorte de bienfaisant rayon ardent. Plus fait douceur que violence.

Miracle non moins grand, et à peine plus croyable, il aurait aussi triomphé de l’entêtement non seulement de ses contradicteurs loyaux, mais encore, quand ils se risquaient à se mesurer avec lui, de ces controversistes quasi professionnels qui pullulaient déjà dans les cercles religieux de l’Inde et promenaient de ville en ville leurs tours de passe-passe dialectiques. Bien entendu il lui faut employer avec eux des procédés spéciaux de persuasion, mais ils ne le prennent jamais en défaut. Tantôt il met en pratique la méthode grâce à laquelle, moins d’un siècle plus tard, Socrate sur les places d’Athènes accouchait aussi les esprits[54] : feignant d’entrer dans les vues de son adversaire, par une série de questions pertinentes (« les Bouddhas n’en font jamais d’autres »), il le délogeait graduellement de ses positions dogmatiques et le forçait finalement à reconnaître son erreur. Tantôt, à la mode platonicienne, il inventait un « mythe », ou bien, comme le Christ, il parlait par paraboles ; et de ce conte comme de cette allégorie se dégageait peu à peu une morale à laquelle son antagoniste ne pouvait faire autrement que de se rallier. C’est ainsi qu’il dénonçait et démontrait tour à tour, non sans user d’une subtile ironie, le ridicule de maintes pratiques superstitieuses, l’inutile horreur des sacrifices sanglants, l’inanité des préjugés de caste[55], et, pour couronner le tout, l’infatuation des brahmanes qui n’ont inventé l’Être-en-soi que pour lui identifier leur moi et se déifier eux-mêmes. L’effet de ces discours était, nous assure-t-on, immanquable, et toujours revient comme un refrain la formule du recours en la sainte triade : Bouddha, Loi et Communauté.

Nous le croyons volontiers : mais, au fait (il est plus que temps de nous le demander), à quoi le néophyte s’engageait-il exactement par cette formule stéréotypée ? — En somme, s’il s’agit d’un fidèle laïque, à peu de chose. Que des groupes de dévots et de dévotes particulièrement zélés, du type du banquier Anâthapindada ou de la matrone Visâkhâ se soient parfois intéressés et associés d’assez près à la vie du personnel toujours changeant des monastères locaux et aient ainsi formé, comme le veulent certains exégètes européens, une sorte de « tiers ordre », le fait est possible, voire même vraisemblable ; mais ces cercles ont toujours dû être restreints, et, d’une façon générale, zélateurs et zélatrices s’obligeaient simplement à ne pas refuser l’aumône quotidienne aux membres de la Communauté et à observer les cinq premiers commandements du Décalogue imposé aux moines. Ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre d’adultère, ne pas mentir, ne pas s’enivrer[56], ce n’est là après tout que pratiquer la morale commune ; et d’autre part nous avons vu que le Bouddha, à la différence des hétérodoxes, ne prétendait pas exploiter, comme on dit, « en exclusivité », la charité de ses zélateurs. De ceux-ci, quel que fût leur sexe, il n’était exigé aucun vœu, aucun reniement de leurs anciennes croyances, aucun engagement de brûler ce qu’ils avaient adoré. Aussi ne peut-on parler à leur propos de véritable « conversion ». Le mot est beaucoup trop fort pour désigner ce qui n’était qu’une adhésion mentale tout juste soulignée par une sorte de souscription journellement payable en nature et proportionnée aux moyens de l’adhérent. Il en va tout autrement quand il est question des « moines mendiants ». Non contents d’approuver et de louer l’enseignement du Bienheureux, ceux-ci entreprennent de suivre jusqu’au bout son exemple et sollicitent de lui la grâce de se voir conférer l’ordination : cas beaucoup plus rare et bientôt soumis (nous le savons déjà) à plus de formalités. Seuls ils ont comme lui sacrifié à leur vocation religieuse maison, biens, caste et famille ; seuls ils ont dépouillé le vieil homme et embrassé une vie nouvelle. Et voyez comment à leur intention la prédication du Bouddha prend aussitôt un nouveau tour. Écartant désormais tout artifice oratoire, elle ne craint plus de se faire directe et scolastique, pleine d’énumérations et de répétitions continuelles, bref toute mnémotechnique, ainsi qu’il convient pour des gens qui, de même que les adeptes du Véda, ne se fiaient qu’à leur mémoire pour retenir les instructions orales de leur Maître. Rappelez-vous comment aux cinq premiers disciples, sitôt ordonnés, il répète à satiété, à propos des cinq éléments constituants de toute existence personnelle (forme corporelle, sensations, représentations, volitions, conscience), qu’aucun d’eux n’a de réalité substantielle ; ou encore comment, pour parachever la conversion des mille anachorètes du Magadha, il leur enseigne que les six sens (le sens interne compris), ce qu’ils perçoivent et les impressions qui en résultent sont la proie de l’impermanence. Et à propos de chacun de ces cinq facteurs ou de ces six organes, pris un à un, il ressasse de bout en bout, exactement dans les mêmes termes, le même développement. Il est clair qu’il se croit (ou qu’on l’a cru) obligé de marteler sans relâche ses idées dans le cerveau de ses disciples monastiques jusqu’à être bien sûr qu’à force de répétitions machinales ils ne pourront plus les oublier[57].

Le Bouddha et la Caste. — Ainsi, ou à peu près ainsi, prêchait Çâkya-mouni : et de la lecture des textes il ressort du moins jusqu’à l’évidence que, comme nous l’assure la tradition, il savait admirablement adapter sa prédication aux besoins spirituels et au caractère de ses auditeurs. Tour à tour, selon les circonstances, « par le triple prestige soit de son pouvoir surnaturel, soit de ses préceptes de morale, soit de son exposé dogmatique[58] », il étendait et consolidait chaque jour davantage, sur un nombre croissant de disciples, l’empire de la Bonne-Loi. Il ne peut être question d’entrer ici dans le détail des adhésions et conversions dont la tradition avait retenu et transmettait les noms et les circonstances : il nous suffit d’entrevoir comment le Bouddha comprenait et pratiquait son ministère de Sauveur : « Jamais, assure-t-on, il ne lui venait à l’esprit de se dire : Cet homme est noble, cet homme est brahmane, cet homme est riche, cet homme est pauvre : je prêcherai à celui-ci de préférence à celui-là[59] ». Comme la pluie du ciel sa parole s’épandait sur tous sans distinctions, qu’ils fussent jeunes ou vieux, intelligents ou obtus, vertueux ou criminels, de haute ou de basse naissance ; et la caste, ce corselet de fer dont la société indienne n’est pas encore arrivée à se dégager, n’existait pas pour lui[60]. C’est surtout ce dernier trait qui a frappé les Occidentaux, pour la raison que de toute antiquité la lutte des classes existe chez eux à l’état endémique : et certains ont voulu faire du Bouddha une sorte de tribun du peuple, se posant en réformateur social. Il serait bien surpris s’il revenait sur la terre d’apprendre que l’on ait pu travestir à ce point sa personnalité et son rôle. Réfléchissez-y un instant. On n’entreprend pas de réformer un monde qui pour vous n’est qu’un mauvais rêve : on ne songe qu’à en sortir. On ne fomente pas de révolution pour renverser des barrières que l’on sait être aussi instables qu’illusoires : on se borne, en ce qui vous concerne, à les ignorer. Ainsi faisait-il. « Qu’on s’enquière de la caste quand il s’agit d’une invitation à dîner ou d’un mariage », il n’y voit aucun inconvénient : c’est seulement quand il s’agit de l’entrée en religion que pareille préoccupation lui paraît inopportune et même répréhensible. Il eût été d’ailleurs fort mal venu à épouser les préjugés des gens de caste alors qu’il avait (ne l’oublions pas) perdu la sienne et était le premier à en convenir. Lisez :

Voici ce que j’ai entendu : En ce temps-là le Bienheureux demeurait dans le pays de Kosala sur le bord de la rivière Soundarikâ. Et en ce même temps le brahmane Soundarikâ-Bhâradvaja sur le bord de la rivière Soundarikâ célébrait un sacrifice selon les rites védiques. Et, à l’issue de ce sacrifice, le brahmane se levant regarda vers les quatre points cardinaux en se demandant : « Qui bénéficiera en le mangeant du reste de l’oblation ? » Et le brahmane aperçut le Bienheureux qui se tenait non loin de là, assis au pied d’un arbre et la tête voilée. L’ayant vu, il prit dans sa main gauche le reste de l’oblation, dans sa main droite un vase-à-eau (pour la donation) et s’approcha de l’endroit où se trouvait le Bienheureux. Et le Bienheureux, au bruit des pas du brahmane se découvrit la tête. Et le brahmane se disant : « C’est un rasé, c’est un tondu », fut sur le point de s’en retourner. Et il lui vint à l’esprit : « Il arrive aussi que des brahmanes se rasent la tête : il faut que je l’aborde et que je lui demande quelle est sa caste. » Et le brahmane s’approcha du Bienheureux et, s’en étant approché, il lui dit : « Quelle est votre caste ? » Et le Bienheureux lui répondit par ces stances :

« Je ne suis ni brahmane ni fils-de-roi,
Et ne suis pas davantage un bourgeois ;
Me rangeant parmi les gens du commun,
Sans un sou vaillant, pensif, je cours le monde.
Sous la robe de moine, sans domicile je vais,
Les cheveux rasés et l’âme sereine,
Sans tremper ici-bas dans les affaires humaines ;
Hors de saison est la question au sujet de ma caste[61] »…

S’il peut déclarer sans mentir qu’il n’est pas « fils de roi », c’est qu’effectivement il a cessé de l’être ; et, dans ces conditions, de quel droit et sous quel prétexte pourrait-il continuer à considérer un paria comme congénitalement impur et « intouchable », et se refuser soit à accepter son aumône, soit à lui ouvrir, s’il en est moralement digne, l’accès de sa Communauté ? En posant en principe à l’intérieur de son Ordre — mais là seulement, et sous réserve de leur ancienneté — l’égalité de tous ses membres, le Bouddha ne faisait en somme que se conformer à une règle[62] qui s’imposait d’elle-même à lui et était depuis longtemps observée par toutes les sectes non brahmaniques. Ne lui demandons pas de n’être ni de son pays ni de son temps, et encore moins d’être des nôtres.

Les rapports du Bouddha avec ses moines. — C’est donc dans toute la masse de la population de l’Inde centrale, des plus hautes aux plus basses classes, sans aucune différence de conditions, que le Bouddha recrutait en même temps ses deux catégories de disciples, les fidèles laïques et les moines mendiants : catégories évidemment complémentaires l’une de l’autre ; car il va de soi que les quêteurs ne pouvaient vivre qu’en symbiose avec les donneurs. De ces deux groupes, seuls les moines dûment ordonnés avaient pleinement droit au titre qu’on leur donnait communément de « fils du Çâkya » ; et déjà l’on se doute qu’à ces fils spirituels Çâkya-mouni témoignait une sollicitude particulière et toute paternelle. À ceux qui partageaient le même ermitage que lui il réservait chaque jour à tout le moins sa soirée ; et il trouvait toujours le temps de recevoir ceux qui à l’issue de la saison des pluies venaient, souvent de fort loin, lui rendre visite et hommage. Remarquons-le en passant, la façon stéréotypée dont il accueille ces derniers nous révèle immédiatement quelles étaient ses deux grandes préoccupations, et du même coup les deux principaux dangers qui menacent constamment des gens menant en commun et aux dépens d’autrui une vie relativement oisive, à savoir les dissensions intestines et la disette d’aumônes : « C’est la coutume des Bienheureux Bouddhas d’engager une amicale conversation avec les moines de passage : Tout va-t-il bien pour vous ? Trouvez-vous de quoi vivre ? Avez-vous en harmonie et amitié et sans querelles passé une bonne retraite ? Et n’avez-vous pas souffert du manque de nourriture ?… » Le Maître ne se croyait d’ailleurs pas quitte envers ses disciples avec ces marques d’affabilité ; il se sentait responsable de leur bien-être physique comme de leur santé morale, et il y pourvoyait de son mieux, tant en leur prodiguant ses exhortations qu’en mettant à leur service sa haute influence sur les gens du monde. À l’occasion il faisait mieux encore. Nous avons dû constater qu’une fois devenu à force de perfections et de sacrifices « Bouddha parfaitement accompli » il n’avait plus à sortir de sa sereine impassibilité et ne payait que très exceptionnellement de sa personne : cela lui est arrivé pourtant, et dans les circonstances les moins ragoûtantes, pour l’amour d’un de ses bhikshou :

En ce temps-là un moine était atteint d’un dérangement d’entrailles, et il gisait tombé dans son urine et ses excréments. Et comme le Bienheureux, suivi du révérend Ânanda, faisait sa ronde du monastère, il arriva à la cellule de ce moine. Et le Bienheureux vit ce moine qui gisait tombé dans son urine et ses excréments, et l’ayant vu il s’en approcha, et s’en étant approché il lui dit : « Quel est, ô moine mendiant, ta maladie ? — J’ai un dérangement d’entrailles, ô Bienheureux. — As-tu quelqu’un qui prenne soin de toi ? — Je n’ai personne, ô Bienheureux. — Pourquoi les moines ne te soignent-ils pas ? — Je ne leur suis, Seigneur, d’aucun service ; c’est pour cela qu’ils ne me soignent pas ». Et alors le Bienheureux s’adressa au révérend Ânanda : « Va chercher de l’eau, ô Ânanda, et nous baignerons ce moine. — Bien, Seigneur », dit le révérend Ânanda ; et en obéissance au Bienheureux il apporta de l’eau ; et le Bienheureux aspergea l’eau et le révérend Ânanda lava. Puis le Bienheureux prit le moine par la tête et le révérend Ânanda par les pieds, et, l’ayant soulevé, ils le déposèrent sur son lit. Et en cette occasion et à ce propos le Bienheureux convoqua une réunion des moines et (après les avoir interrogés) il leur dit : « Ô moines mendiants, vous n’avez plus ni père ni mère qui puissent prendre soin de vous ; si vous ne prenez pas vous-mêmes soin les uns des autres, qui donc le fera ? Quiconque veut prendre soin de moi, qu’il prenne soin des malades[63]. »

Tel est l’un des rares exemples et préceptes de charité active — on est tenté de dire de charité chrétienne — que l’on puisse citer du Bouddha parfaitement accompli ; et encore ne voit-on pas que sa portée déborde le cercle étroit de la Communauté. Il est vrai que, mises en pratique, ses recommandations eussent transformé chaque ermitage en un paradis terrestre, si seulement tous les moines avaient été de petits saints. Mais nul n’a tenté de nous le faire accroire. Tout au contraire les Commentaires sont pleins d’histoires où le Bienheureux se voit contraint de réprimander et morigéner ses moines et de les rappeler aux bonnes manières, à la modération, voire même à la pudeur[64]. Il lui fallait en effet prendre grand soin de ne rien leur permettre qui pût scandaliser les laïques, ni choquer de front les vieilles coutumes universellement admises de l’ascétisme indien. Ainsi, bon gré mal gré, il dut, comme les autres chefs de secte, édicter de bonne heure un règlement détaillé de la vie monastique et prévoir des pénitences pour toutes les infractions qui viendraient à être commises, depuis la simple négligence dans la tenue jusqu’aux quatre péchés capitaux (luxure, vol, meurtre, et fausse prétention aux pouvoirs magiques) qui entraînaient l’exclusion de la Communauté. Les mauvais chenapans qui constituaient la « Bande des Six » — inventés tout exprès par les casuistes bouddhiques pour servir de pendant-repoussoir à la « Bande bénie des Cinq » — interviennent pour commettre successivement tous les méfaits imaginables et provoquer à chaque fois la promulgation d’une défense nouvelle, si bien que la liste des prohibitions contenues dans le « Formulaire de confession » (qui devait être chaque quinzaine récité en commun par chaque chapitre de moines) finira par compter plus de deux cents paragraphes. Mais que ce chiffre n’effraye personne : il y avait avec la règle des accommodements. On déclarait bien accepter en principe le statut traditionnel de la vie ascétique au sujet des « Quatre ressources[65] », c’est-à-dire des quatre seules choses de première nécessité que le religieux mendiant fût en droit de requérir ; mais en fait, on ne s’y conformait pas. Théoriquement le moine ne devait vivre que du produit de sa quête, ne se vêtir que de haillons ramassés dans les ordures et rapiécés ensemble, n’avoir d’autre abri qu’un arbre de la forêt et se contenter pour tout remède de « l’urine fétide » de la vache : mais le Bouddha permettait pratiquement aux siens d’aller dîner en ville, de recevoir en cadeau costumes et couvertures, de loger sous un toit et d’accepter toutes sortes de médecines. La meilleure partie des traités de discipline est ainsi consacrée à apporter des adoucissements à la règle beaucoup plus qu’à en renforcer la rigueur ; et comme tout ce qui n’était pas expressément interdit était considéré comme permis pourvu que les bienséances fussent respectées, les zélateurs laïques pouvaient donner pleine carrière à leur préoccupation constante d’épargner aux moines mendiants toute peine ou privation « qui ne conduisît pas au salut[66] ».

Comment ne pas reconnaître à tous ces traits le constant souci qu’avait le Bouddha de s’en tenir à la « voie moyenne » qu’il avait préconisée dès le début de sa Première prédication, et de rester à égale distance de toute coupable indulgence aux plaisirs sensuels comme de toute incitation à des macérations aussi vaines qu’ostentatoires ? Ce parti était la sagesse même ; le difficile était de savoir exactement où tracer cette ligne du juste milieu, et l’inconvénient, de prêter sur ses deux flancs à la critique des gens engagés dans les voies extrêmes ; car nul en ce monde n’a impunément raison. D’une part l’idée de devoir éventuellement se restreindre aux « Quatre ressources » indispensables effrayait nombre d’âmes timorées et faisait avorter bien des vocations. Le pas semblait à beaucoup si dur à franchir que, nous assure-t-on, le Bienheureux aurait prescrit de ne rappeler ces quatre obligations à l’intéressé qu’une fois la cérémonie de son ordination terminée, quand il était trop tard pour qu’il pût reculer sans esclandre. Fort heureusement la chronologie des textes permet d’admettre que ce procédé par trop machiavélique n’a été mis au compte du Bouddha qu’après sa mort par un bonze moins scrupuleux que nous n’avons appris à le connaître[67]. D’autre part les membres des sectes rivales, astreints à des pratiques beaucoup plus austères, ne se privaient pas de railler et de décrier le relâchement de la discipline bouddhique. Une stance bien connue dépeint le « fils du Çâkya » comme menant une vie des plus confortables, mangeant bien, buvant frais, couchant dans un bon lit et s’endormant la bouche pleine de sucreries ; et en effet, la prescription même de l’unique repas par jour n’était pas rigoureusement observée : l’on était convenu que certains aliments, notamment les friandises, ne rompaient pas le jeûne. Et qu’on ne croie pas pouvoir balayer d’un mot ces critiques malveillantes et évidemment excessives en faisant observer qu’elles émanent de rivaux rien moins que désintéressés. Les Écritures elles-mêmes reconnaissent qu’elles n’étaient pas sans quelque fondement. Les gens, nous avoue-t-on, se disaient couramment : « Ces fils du Çâkya ont un code de morale facile ; ils ont une manière de vivre agréable : ils mangent de la bonne nourriture et couchent à l’abri des intempéries. » Et on ne fait aucune difficulté pour nous conter comment deux tendres parents, rêvant à l’avenir de leur fils, écartent tour à tour, comme trop pénibles pour lui, les métiers de scribe, de comptable ou de changeur, et finalement le destinent à devenir chômeur professionnel[68] dans la Communauté bouddhique. Surtout l’on n’a pu nous laisser ignorer qu’au sein même de l’Ordre un groupe de rigoristes, dont nous verrons bientôt le traître Dêvadatta prendre la tête, s’était insurgé du vivant de leur Maître contre l’excès de sa complaisance et réclamaient la stricte application en tout temps de la règle des « Quatre (dernières) ressources[69] ». Bref si dans sa recherche d’un parfait équilibre le Prédestiné a penché d’un certain côté, c’était plutôt au gré de ses contemporains, dans le sens de la facilité : qui songerait aujourd’hui à lui en faire reproche ?

Ce n’était d’ailleurs pas une tâche aisée que de faire régner la concorde et l’unanimité dans une Communauté instituée sur des bases aussi démocratiques. Des trois grands vœux monastiques qui sont de tradition en Europe : pauvreté, chasteté et obéissance, les adeptes des sectes indiennes, qu’elles fussent ou non brahmaniques, prononçaient bien les deux premiers, mais nulle part il n’est question du troisième. La raison de ce qui peut paraître un curieux manque de prévoyance était sans doute que dans l’Inde la soumission totale et sans réserve du disciple à la parole du Maître était, de mémoire d’homme, chose qui allait de soi. En fait comme en principe, le Bouddha était le souverain arbitre au sein de son ordre ; mais il est non moins certain que les membres de son ordre ne reconnaissaient pas d’autre autorité que la sienne. On conçoit aisément combien, au milieu d’une secte dépourvue de toute hiérarchie ecclésiastique et par ailleurs si dispersée, ce seul lien personnel, si prestigieux fût-il, pouvait à l’occasion s’avérer fragile. On ne nous cache pas que certains moines, surtout parmi ceux qui n’avaient été ordonnés que tard dans leur vie, supportaient impatiemment la direction, pourtant si douce, du Bienheureux. Au lendemain de sa mort, l’un de ces mécontents ne se serait-il pas écrié : « Bon débarras, mes amis ; le Grand çramane était tout le temps sur notre dos à nous dire : Il convient que vous fassiez ceci, il ne convient pas que vous fassiez cela. À présent nous ne ferons que ce qui nous plaira[70]. » Il suffisait d’un rebelle obstiné pour ébranler jusque dans ses fondements l’organisation de l’Ordre et faire éclater l’impuissance des seules armes spirituelles dont il disposât : car les menaces d’interdit et d’excommunication[71] ne produisent d’effet qu’autant que celui qui en est l’objet veut bien y attacher la même valeur que ceux qui les énoncent. Dès lors on comprend mieux pourquoi l’on redoutait tant et l’on blâmait si fort le péché qui consistait à provoquer un schisme : c’est qu’on ne connaissait à ce mal aucun remède, et c’est en vain que plus tard Açoka usera de son autorité impériale pour tenter d’en enrayer les progrès[72]. Le texte de son édit a été justement rajouté tout exprès sur un pilier érigé par lui à Kaouçambî, c’est-à-dire dans la ville même où s’était produit un cas de discorde particulièrement aigu et dont le souvenir s’est conservé[73]. Un des moines du lieu, par ailleurs savant et vertueux, avait commis ce que parmi ses confrères les uns considéraient comme une faute et les autres non : si bien qu’il se forma bientôt deux partis en désaccord sur ce point de discipline, et que, de discussions en disputes, le conflit alla vite s’envenimant. On entend d’ici les criailleries, car les moines n’étaient pas astreints à la règle du silence ; et ceux qui, pour être plus sûrs de n’en pas venir à se quereller entre eux, se l’imposaient à eux-mêmes, étaient sévèrement blâmés[74] pour avoir imité en cela l’exemple des hétérodoxes. Dès que l’affaire arriva, un peu tard, aux oreilles du Bouddha, il s’écria, sans déguiser ses alarmes : « La Communauté est divisée ! », et en hâte il alla trouver tour à tour les partisans de l’excommunication pour leur conseiller de retirer leur sentence et le clan opposé pour lui persuader de l’accepter : tant il était désireux d’éviter à tout prix « altercations, querelles, disputes, controverses et dissensions ». Mais cette fois il n’a pas plus de succès d’un côté que de l’autre, soit qu’il prône la tolérance ou qu’il prêche la docilité. En vain il les réunit tous et, pour fléchir leurs esprits en touchant leur cœur, leur raconte-t-il une émouvante histoire d’où il ressort que la chaîne des vendette ne peut s’interrompre que par un mutuel pardon[75] ; en vain il leur rappelle qu’ils doivent aux laïques l’exemple de l’indulgence et de l’esprit de conciliation. Un porte-parole des moines révoltés le prie, non sans y mettre les formes, de se mêler de ce qui le regarde : « Seigneur, que le Bienheureux prenne patience, lui, le Maître de la Loi ; qu’il ne s’inquiète pas et jouisse en paix de son bonheur dès ce monde. Pour ce qui est de ces altercations, querelles, disputes et controverses, nous en prenons sur nous la responsabilité. » Et alors le Bienheureux pensa : « Ces insensés sont un cas désespéré ; impossible de leur faire entendre raison. » Et se levant de son siège il s’en alla… » C’est seulement sous la pression de l’opinion publique que les deux partis se décident à convenir de leurs torts réciproques ; car les habitants de Kaouçâmbî se montrent indignés contre eux du fait que leur obstination ait contraint leur Maître de quitter la ville pour se retirer dans la forêt ; et la raréfaction des aumônes est, elle, une sanction avec laquelle on ne badine pas. Cependant au fond de la djangle le Bienheureux a fait la rencontre d’un noble éléphant qui, lui aussi, fuyait les importunités de sa harde ; et également dégoûtés de la compagnie de leurs semblables, ces deux grands esseulés se consolaient entre eux[76].

Le Bouddha et les nonnes. — L’égalité des castes devant le salut, comme devant la douleur et la mort, avait pour corollaire obligé celle des sexes. Il n’existait en bonne logique aucune raison de refuser aux femmes leur droit aux contraintes comme aux privilèges de la vie religieuse. Dans les plus vieilles Oupanishads nous voyons que les cercles brahmaniques étaient arrivés (à titre assez exceptionnel, il est vrai) à cette conclusion[77], et les sectes hétérodoxes ouvraient leurs rangs à des nonnes. Au risque de déconsidérer le Bouddha aux yeux de nos modernes féministes, il faut avouer qu’à en croire la tradition il ne se résigna qu’à contrecœur à suivre sur ce point leur exemple. Pour l’y décider il n’aurait pas fallu moins que l’insistance de sa tante et mère adoptive, et l’intercession du bon Ânanda. Après avoir essuyé plusieurs refus, Mahâpradjâpatî lui aurait en quelque sorte forcé la main. Après la mort de Çouddhodana elle ne se serait pas bornée, comme toutes les veuves indiennes, à se faire raser la tête ; elle aurait encore revêtu par avance l’habit monastique et, avec nombre de princesses, se serait rendue à pied de Kapilavastou à Vaïçâlî, où séjournait alors le Bienheureux. Attendri par le spectacle de la vieille reine, qui, « les pieds gonflés, le corps couvert de poussière, en larmes et gémissante » assiégeait l’entrée de l’ermitage, Ânanda prend sur lui de rappeler au Maître tout ce qu’il doit aux soins maternels de l’impétrante ; et, après lui avoir fait convenir que les femmes sont capables, elles aussi, de franchir successivement les quatre degrés de la sainteté[78], il lui arrache enfin pour elles l’autorisation de « sortir du monde et de quitter la vie dans la maison pour la vie sans maison sous la doctrine et la discipline qu’enseigne le Prédestiné ». Encore celui-ci ne cède-t-il qu’à condition qu’elles se soumettront sans réserve à huit règles des plus sévères, qui placent les nonnes sous l’étroite surveillance et la juridiction absolue de leurs confrères masculins ; et quand ces humiliantes stipulations ont été acceptées d’enthousiasme « comme on reçoit des deux mains et l’on pose sur sa tête une guirlande de fleurs », le Bienheureux gronde et soupire encore : « Si les femmes n’avaient pas obtenu leur admission dans l’Ordre, ô Ânanda, la vie religieuse aurait duré longtemps, la Bonne-Loi aurait duré mille ans ; mais maintenant, ô Ânanda, elle ne durera plus que cinq cents ans[79]… »

Il y aurait sur ce point beaucoup à dire. Après tout quand, au lieu de prophétiser que « sa parole ne passerait pas », il prédit pour sa religion un terme qui s’est révélé beaucoup trop court, le Bouddha ne fait que rester fidèle à sa doctrine sur l’impermanence des choses de ce monde. D’autre part un apologiste à gages pourrait soutenir, non sans un fond de vérité, que les pudibonds rédacteurs des traités de discipline (ils ne désignent jamais le beau sexe que par la circonlocution de « collection des mères ») ont forcé le tableau des répugnances de Çâkya-mouni pour mieux servir leurs propres rancunes. Mais ont-ils exagéré de beaucoup ? Nous savons déjà que le Bouddha n’était pas d’humeur révolutionnaire. Selon toute vraisemblance il partageait la vieille idée indienne, codifiée par Manou, qu’une femme doit toujours vivre dans la dépendance d’un membre masculin de sa famille, père, époux, frère, fils, etc. Pis encore à nos yeux : entre les sept variétés d’épouses qu’il distingue (celle qui est comme un bourreau, ou comme un voleur, ou comme une maîtresse, ou comme une mère, ou comme une sœur, ou comme une amie, ou comme une servante[80]), c’est la dernière qu’il préfère et place au premier rang, avec sa patience à toute épreuve et sa soumission que rien ne rebute : car les hommes ont toujours eu un faible pour le type de tout repos que personnifie chez nous la touchante Grisélidis. Écoutez enfin les suprêmes instructions que sur son lit de mort il aurait données à Ânanda[81] : « Comment, Seigneur, nous conduire à l’égard du sexe féminin ? — Ne pas les voir, ô Ânanda. — Mais, Bienheureux, si on les voit… ? — Ne pas leur parler, ô Ânanda. — Mais, Seigneur, si elles vous parlent… ? — Alors il faut prendre bien garde à soi, ô Ânanda… » N’oublions pas que, lui aussi, s’était fait moine, et qu’en tout pays et en tout temps la gent monacale a professé que, de tous les pièges du Malin, l’éternel féminin était le plus redoutable, parce qu’il est le plus séduisant. Les femmes ne s’y sont jamais trompées ; et l’extrême sollicitude qu’elles ne manquent jamais de témoigner à ceux qui font profession d’avoir renoncé à elles procède sans doute d’un sentiment fort complexe où beaucoup d’admiration et de respect le dispute à quelque compassion ; surtout, qu’elles se l’avouent ou non, elles se sentent intérieurement flattées de l’hommage indirectement rendu au charme de leur beauté par la défiance qu’on leur marque, voire même par les injures dont on prétend les accabler. Craindre de les aimer, c’est avouer qu’elles sont aimables, et là-contre un Bouddha même ne peut rien.

L’indice personnel du Bouddha. — Est-ce trop de présomption que de prétendre tirer d’un examen aussi rapide et superficiel d’une littérature considérable une image suffisamment approchée de la longue carrière enseignante de Çâkya-mouni ? Il reste en tout cas que les textes reconnus comme les plus anciens nous la dépeignent telle qu’elle s’était fixée dans le souvenir de sa Communauté un ou deux siècles au plus après sa mort. Assurément nous n’avons plus guère dans le corps des Écritures bouddhiques, par morceaux détachés, que des discours diffus et traînants, et l’on ne saurait un instant les considérer comme autant de procès-verbaux authentiques d’entretiens qui furent si variés et durent souvent s’animer d’une vie si intense. Mais si la plante desséchée dans l’herbier perd sa couleur et son parfum, du moins sa silhouette demeure ; et nous croirions volontiers qu’il en est advenu de même pour tous ces contes, paraboles, homélies ou dialogues mis dans la bouche du Bienheureux. Quand après avoir été ressassés de mémoire ils furent couchés par écrit, ils avaient déjà perdu le meilleur de leur spontanéité naturelle, et c’est à peine si sur leur aridité fleurissent encore çà et là — d’autant plus appréciées par le contraste, tel le chardon bleu des sables — des stances d’une belle venue et qui ont gardé leur fraîcheur[82]. Néanmoins la délinéation générale de leurs contours subsiste, et, par suite, il n’est pas absolument chimérique de tenter d’esquisser la façon dont Çâkya-mouni, pendant la deuxième moitié de sa vie, a compris et rempli son office de Bouddha. On a osé à ce propos mettre en parallèle les Dialogues de Platon et ceux que nous ont transmis les rédacteurs du canon bouddhique[83]. La comparaison est écrasante pour ces derniers, mais elle n’est pas sans apporter une fiche de consolation à l’indianiste. Certes ce fut une grande chance pour la renommée de Socrate — qui, lui non plus, n’a rien écrit — d’avoir eu comme disciple un écrivain de génie ; mais quand ils voient la peine qu’ont les historiens de la philosophie grecque à distinguer dans ces magnifiques compositions la part qui revient au maître, ceux de la pensée indienne éprouvent quelque soulagement à constater que les paroles de Câkya-mouni ont été originairement recueillies par des gens dénués de talent littéraire (à l’exception toutefois de celui de conteur) ; car il y a beaucoup à parier que ces interprètes plus plats auront aussi été en un sens plus fidèles, et, qu’en tout cas, s’ils n’ont pas su tout retenir et tout rendre, ils n’ont rien ajouté de leur cru. Ce soin était réservé à des générations plus tardives, et l’on sait assez quelle incessante prolifération de sectes et de doctrines a fini par donner naissance après le début de notre ère, sous l’action d’influences venues d’occident[84], à un Néo-bouddhisme fort différent du bouddhisme primitif. Mais au cours des siècles précédents on ne sache pas qu’il ait surgi au sein de la Communauté aucun st Paul capable d’imprimer à la Bonne-Loi une orientation nouvelle et de modifier en conséquence la conception que le Sangha se faisait du rôle et du comportement de son fondateur.

Nos scrupules apaisés sur ce point, il semble que nous puissions pousser encore plus loin et restituer en quelque mesure — du moins en imagination, mais pour des raisons proprement historiques — aux élucubrations des premiers rédacteurs des Écritures bouddhiques ce qui leur fait le plus grandement défaut, à savoir la vie. Eux-mêmes nous y invitent et nous y aident par leurs constantes allusions à la façon dont la sereine beauté du Bouddha et la pénétrante douceur de sa voix lui gagnaient les cœurs en même temps que sa dialectique avisée lui conquérait les esprits. Et sans doute là encore, comme il arrive trop souvent dans l’Inde, le mauvais démon de la statistique est venu gâter les choses. Persuadés que redondance vaut éloquence, les bons docteurs se sont infligés à eux-mêmes (et, par ricochet, à nous comme à leurs élèves), après la liste des cent douze marques de beauté[85], celle des soixante qualifications louangeuses de la voix du Bienheureux ; mais à travers ces excès d’analyse et cette grêle d’épithètes il reste permis d’entrevoir le charme que ces artifices masquent en prétendant l’exposer mieux. À cette mystérieuse attirance de la personne du Bouddha, on nous le répète sans cesse, nul n’échappait, si bien qu’on avait fini par lui attribuer une sorte de prestige magique et que, pour conserver leurs disciples, les hétérodoxes n’avaient trouvé d’autre moyen que de leur interdire de jamais regarder ni écouter le grand Sage[86]. Et que le critique ne se hâte pas trop de traiter avec dédain, comme trop attendue pour être vraie à la lettre, cette exaltation d’un chef de secte par ses propres sectateurs : ce serait négliger indûment la confirmation que plus de vingt siècles d’histoire — d’une histoire telle que les premiers panégyristes du Bouddha n’en auraient jamais rêvé de pareille — sont venus apporter à leurs dires. Il n’est pas de témoignage plus sûr que celui qu’apportent les faits ; et il faut bien que la parole de Çâkya-mouni ait exercé sur ses contemporains une influence extraordinairement profonde pour que l’écho s’en soit propagé à travers toute l’Asie orientale et se prolonge aujourd’hui, sans rien perdre de sa force de pénétration, dans tant de millions d’âmes. Devant l’étonnant phénomène de la propagation et de la persistance des grandes religions on crie volontiers au miracle historique ; le fait de leur naissance est un prodige plus surprenant encore et qui n’en est pas moins réel.


  1. Il y a deux sortes de nirvâṇa, celui qui comporte encore un résidu d’apparente personnalité dit upadhiçesha (c’est le cas du jîvan-mukta), et celui qui se réalise totalement à la mort. Il est commode de réserver à ce dernier le terme de Pari-nirvâṇa pour le distinguer de l’autre (cf. R. Pischel Leben und Lehre des Buddha p. 75) ; mais cet usage distinctif ne semble pas confirmé par les textes (cf. E. J. Thomas, Nirvâṇa and Pari-nirvâṇa dans India antiqua, Leyde 1947 p. 294-5).
  2. Sakalaṃ Buddha-kâryaṃ kṛtvâ ; cf. DA p. 269, 394 etc.
  3. Du moins si l’on en croit la tradition ; mais v. supra p. 322-3.
  4. Cf. la n. à p. 2183.
  5. BC tib. XXI.
  6. Sumangala-vilasinî (cf. BT p. 91 s. et Vie p. 187 s.).
  7. V. la liste des 40 « sujets de méditation » (dhyâna-sthâna) dans DhPC, I p. 2.
  8. C’est la yoga-nidrâ des yogin pendant leurs longues séances d’immobilité.
  9. MVU III p. 418-420.
  10. MVU III p. 49 s.
  11. Contre Luc X 7 : « N’allez pas de maison en maison ».
  12. Sur le pâṃçupradâna dans la Rue royale (râja-pâtha) v. surtout DA p. 366 et 402 et cf. AgbG fig. 255 et 256 a.
  13. Cf. DA p. 365.
  14. Mâra-saṃyutta II 8 et DhPC XV 2.
  15. Pourtant on a montré à Fa-hien (ch. XIII) le bâton de santal du Buddha.
  16. Littt : « Cela n’est pas assez pour te dresser d’en être venu de faire « Bho ! » (Manière hautaine d’interpeller les gens) à faire « Bhok ! » (c.-à-d. à aboyer) ». Cf. Mahâ-vibhanga, éd. S. Lévi (Paris 1932) p. 21 s. et AgbG fig. 257.
  17. D’où l’usage de distribuer à l’avance des tickets de bois (çalâkâ ; cf. DA p. 44, 184, etc.) en guise de cartes d’invitation ; cf. SA XV 74 (trad. É. Huber p. 426).
  18. AgbG fig. 262.
  19. Cf. Jâtaka no 246 ; d’autres sectes étaient plus strictes ; toutefois la chair d’homme, de cheval, d’éléphant, de bête fauve, etc. était interdite (MVA VI 23).
  20. DhPC XIX 8.
  21. DA p. 61.
  22. Tel est le procédé qu’emploie aussi bien un donateur intéressé qu’un couple de pauvres gens qui se font « esclaves pour dettes » afin de se procurer l’argent nécessaire pour offrir un repas à la Communauté (SA VI 37 et XV 75). Cf. la rivalité d’Âmrapâli et des Licchavis supra p. 290.
  23. MVA VI 22 et cf. 34, 17-21 et 32, 17. Noter la distinction entre les bhikshu et les vighâsâda nourris de leurs restes.
  24. DA p. 91 s.
  25. Il y avait forcément en cas de disette des atténuations à la règle (MVA VI 17, 8-9 et cf. 32, 2, 19, 21).
  26. V. par ex. MVA VI 31, 10 et cf. l’Upâli-sutta du Majjhima-nikâya (trad. L. Feer, J. A. 1887). — La rivalité était surtout âpre avec les Nirgrantha (Jainas) de Jñâti-putra (Nâṭaputta) et les Âjîvika de Maskarin (Makkhalî-putta) ; sur ces derniers voir l’article de Hoernle dans l’Encyclopédie Hastings. Les bouddhistes se voilaient la face devant cet attentat public à la pudeur. Cf MVA VI 34, 12, 13 etc. et DhP st. 316.
  27. Sur le guet-apens de Çrî-Gupta (Siri-Gutta) v. Leben p. 204-5 et le long délayage de DhPC XV 12. Fa-hien rappelle l’incident (B p. 59) et Hiuan-tsang a encore vu la fosse (J II p. 18-9 ; B II p. 151-2 ; W II p. 150). Pour une image v. AgbG fig. 262.
  28. Il s’agit de l’Aciravatî, auj. la Rapti (qu’il ne faut pas confondre avec l’Ajitavatî, rivière de Kuçinagara). On remarquera le machiavélisme avec lequel les rédacteurs bouddhiques prêtent à Pûraṇa une réflexion non seument niaise, mais méchante.
  29. Dans le SA (trad. É. Huber p. 363) c’est la cuiller qui est cachée au fond du bol.
  30. Sur l’histoire de Jyotishka sauvé du feu v. DA p. 262 s. ; Life p. 65 ; et AgbG fig. 258-260.
  31. Pour les calomnies v. supra p. 277 s.
  32. Pour l’héterodoxe au « passereau » ou au « loriot » v. Hiuan-tsang, J II p. 49 ; B II p. 173 ; W II p. 170.
  33. V. par ex. dès le début du MVA I 2, la rencontre avec le « brahmane grognon » ; mais la section 26 du DhP exalte le vrai brahmane tandis que le SN st. 381, 891-2 etc. critique les tîrthya ou tiṭṭhika et leur façon de discuter.
  34. V. notamment l’histoire du brahmane Pokkharasâdi (Pushkarasârin) dans Dial. I p. 108 (cf. Life p. 82 s.) et celle de Sonadaṇḍa (ibid. p. 144).
  35. V. Pârâyaṇa-vagga du SN V et cf. AgbG fig. 432 où le « sanctuaire rocheux » (pâsana-cetiya) est effectivement représenté.
  36. cf. Barhut pl. 16, 3 ; et Sâñchi, pl. 34, 35, 51 ; on notera qu’il n’est pas question du roi Udayana de Kauçâmbî (cf. infra n. à p. 273, 38).
  37. Cf. DA p. 147 et cf. Hiuan-tsang (J II p. 20-1 ; B II p. 153).
  38. V. la n. à p. 287, 21.
  39. C’est le refrain du Mangala-sutta (trad. Childers JRAS 1869 ou Feer JA 1871).
  40. Sur la visite d’Indra v. Dial. II p. 209 s. et AgbG fig. 246-8 etc. ; cf. Fa-hien (B p. 58) et Hiuan-tsang (J II p. 58-59 ; B II p. 180 ; W II p. 176).
  41. Cf. AgbG fig. 249 ; Fa-hien (B p. 68) ; Hiuan-tsang (J II p. 21-2 ; B II p. 154). L’absence de cet épisode dans le Mâra-samyutta là où on l’attendrait (II 7) dénonce son invention tardive.
  42. Mahâ-samaya-sutta (trad. dans Dial. II p. 282 s.) ; cf. le début du Mahâ-Govinda-sutta, ibid. p. 253 s. ou MVU III p. 197 s.
  43. À en croire un passage du MPS (Dial. II p. 98) le Buddha aurait été trop souvent importuné par des questions relatives aux vies antérieures.
  44. Cf. DhPC XVIII 9.
  45. DA p. 36. Sur la vraie façon d’honorer le Buddha cf. Dial. II p. 150.
  46. Tel est le cas pour certains des brahmanes (DA p. 71 l. 21 s. et 462 l. 9 s.) et encore y a-t-il eu préparation.
  47. Les mots entre crochets sont insérés d’après le MVU (par ex. III p. 413 l. 2) dans la citation du MVA i 7, 5-6 et 10 ; 9, 3 etc. ; cf. DA p. 616-7 ; SA (trad. É. Huber p. 427).
  48. MVA V 1 ; toutefois le rédacteur suppose que pour obtenir l’attention d’une telle multitude il fallut que le Buddha leur fit d’abord donner par un de ses moines une exhibition miraculeuse.
  49. DhPC XV 1 ; Manual p. 317 ; Vie p. 190.
  50. AgbG fig. 252-3.
  51. DhPC xiii 6 et AgbG fig. 304. et cf. le bon larron de Luc XXIII 39-40.
  52. DA p. 402 ; DhPC XXI 8 et AgbG fig. 261.
  53. C’est la maitrî (p. mettâ) : ex. typique dans MVA VI 36, 4. Ce sont seulement les légendes du Nord-Ouest qui lui font user de la force de Vajrapâṇi pour convertir le Nâga Apalâla (AgbG fig. 272-5).
  54. MVA IV 1, 10. Sur la prédication du Buddha cf. Rhys Davids Dial. I p. 161 et 206 et Oldenberg p. 189 s.
  55. Contre les superstitions v. Brahma-jâla-sutta (Dial. I p. 16-29 ; cf. à propos de l’éternûment JAOS XIII Proceedings p. 17 et SA X 60, trad. Éd. Huber p. 302) ; contre la caste l’Ambaṭṭha-sutta (Dial. I p. 98 s.) et SN I 7 ; contre le sacrifice sanglant le Kuṭa-danta-sutta (Dial. II p. 160 s.), DhPC V 1, BC XI 64-6 ; contre le panthéisme le Tevijja-sutta (Dial. I p. 298) etc.
  56. Tel était le code à l’usage des upâsaka ; tout bhikshu devait en outre s’abstenir de manger à toute heure (6), d’user de guirlandes ou de parfums (7), de dormir sur des lits de parade (8), de suivre des séances de danse et musique (9) et de posséder de l’argent (10). Les nos 6, 7 et 8 (ou parfois 6, 7 et 9) étaient recommandés aux laïques et s’imposaient à eux les jours de jeûne (uposatha) à la nouvelle lune, au premier quartier, à la pleine lune et au dernier quartier : aussi L. de la Vallée-Poussin et d’autres ont-ils pu penser à une sorte de tiers-ordre.
  57. Cf. supra p. 208.
  58. MVU III p. 137.
  59. Cf. BC tib. XXI ou SA (trad. Éd. Huber p. 204).
  60. DhPC XVIII, 9 ; SA (ibid. p. 92-3, 226, 228) ; cf. toutefois supra p. 228.
  61. SN III 4.
  62. « De même que toutes les rivières se perdent dans l’océan » (CVA ix 1, 4).
  63. MVA VIII 26 ; cf. DhPC III 7.
  64. DhPC IX 2 ; XII 2 et 8 ; XIX 10 ; XXI 3 etc.
  65. Ce sont le quatre nissaya ou niçraya.
  66. MVA VI 40 ; cf. supra p. 250.
  67. MVA I 31, 1.
  68. MVA I 49 ; cf. I 30 et 62.
  69. Cf. supra p. 287.
  70. CVA XI 1.
  71. Devadatta fut ainsi excommunié ; sur le cas de Channa v. ibid. X 1, 12 s. et cf. Dial. II p. 171.
  72. Sur le sangha-bheda v. Corpus Inscr. Ind. I p. 159 s.
  73. Tout le ch. X du MVA lui est consacré.
  74. MVA IV 1.
  75. L’histoire est tout au long traduite dans Oldenberg p. 332-3.
  76. Sur l’éléphant de Pârileyyaka v. MVA X 4, 6 ; DhPC I 5 et cf. XXIII 7 ; Jâtaka no 428 etc.
  77. Bṛhad-âraṇyaka-up. III 6 et 8 ; IV 5.
  78. Sur les quatre degrés de la sainteté cf. n. à p. 30, 42.
  79. Sur l’admission des nonnes v. CVA X et sur le garu-dhamma cf. Oldenberg p. 416 n. 1.
  80. V. Manual p. 498-500.
  81. Dial. II p. 154.
  82. Il s’agit du fameux recueil du Dhamma-pada.
  83. Rhys Davids Dial. I p. 207.
  84. Sur l’influence occidentale dans le Mahâyâna v. Mém. Dél. arch. fr. en Afghanistan I p. 283 s.
  85. Cf. supra p. 58 s. et 147 ; sur la voix du Buddha v. encore MVU I p. 170-1 ; III p. 342-3 et Hébôgirin s. v. Bonnon.
  86. Cf. l’Upâli-sutta (n. à p. 251, 15) et le bandeau sur les yeux de Migara dans Manual p. 232.