J.-A. Lelong (p. 30-63).
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ACTE II.

Deux chambres contiguës d’un hôtel garni. — Dans chacune des deux chambres une porte au fond et un lit. — Ameublement à peu près semblable. Dans la chambre de gauche, une petite table à droite, avec papier, plumes et encre. — Une cheminée à gauche avec un miroir. — À côté de la cheminée, un fauteuil et un petit guéridon — Une chaise à droite. — Sur la cheminée, une bouteille coiffée d’un bonnet. — À droite, un porte-manteau, auquel sont accrochés un châle et un chapeau. — Des cartes sur la cheminée. — Dans la chambre de gauche, une fenêtre fermée d’un rideau bleu. — À droite, à côté de la fenêtre, un guéridon sur lequel il y a des épreuves d’imprimerie. — Au dessus, un râtelier de pipes. — À droite, près du lit, une commode. — Au dessus de la commode, un corps de bibliothèque dans lequel il n’y a que quelques brochures. — À gauche, une table avec papier, plumes et encre. — Du même côté, un porte-manteau auquel sont accrochés un gilet, une redingote et un chapeau. — Deux chaises, l’une près de la table, l’autre près du guéridon. — Sur celle de droite, une vareuse. — Sous le lit, une malle dans laquelle il n’y a qu’un livre et une bretelle.

Scène première.

MUSETTE, dans la chambre de gauche ; il y fait jour.
RODOLPHE, dans la chambre de droite, tout est hermétiquement fermé. Il y fait nuit complète.
Musette, se coiffant devant une glace.
Air nouveau de M. J. Nargeot.

Bouche mignonne, et lèvre rose,
À la chanson (bis)
Toujours ouverte, voyez Rose
Alerte comme un gai pinson.
Pour en tresser une couronne,
À pleines mains, dans le blé mûr,
Rose moissonne, (bis)
À pleines mains les fleurs d’azur.

(Elle s’assied et arrange un bonnet qui est sur une bouteille. Se coiffant devant une glace.)

Qu’est-ce qu’aura dû dire M. le vicomte en ne me voyant pas revenir ?… Ah ! ma foi ! tant pis ! il m’ennuie, il tourne au saule pleureur… il lui pousse des branches. Je lui ai dit que j’allais aux eaux de Bagnères, il est capable de le croire et d’y voler. Tant mieux ! Lui parti, je retourne dans mes appartemens. Mais d’ici là… suis-je bête d’être partie sans argent ! Je ne pense jamais à ça, moi. Ah ! bah ! une jolie femme n’est jamais embarrassée… (Elle chantonne.)

Rodolphe, étendu tour habillé sur son lit, rêvant.

Est-il possible !… une telle fortune ! à moi… Le digne oncle !… Me laisser par testament toute une province du Pérou ! les Péruviennes avec…

On frappe à la porte de droite… Rodolphe se remue et ne se réveille pas… On frappe de nouveau.
Musette.

Entrez !… (On entre chez Rodolphe.) Tiens, c’est à côté, c’est chez ce monsieur qui dort si haut.


Scène II.

les mêmes, chez Rodolphe, un Garçon de caisse.
Le garçon.

Monsieur ! monsieur !…

Rodolphe, s’éveillant à moitié et regardant le Garçon qui fouille dans un grand portefeuille.

Quel est cet étranger ? Ah ! j’y suis, c’est un à-compte sur mon héritage.

Le garçon.

Monsieur, je viens pour…

Rodolphe.

Je sais ce que c’est… mettez ça là… Ah ! vous voulez un reçu… c’est juste… Passez-moi la plume et l’encre, là sur la table.

Le garçon.

Non, monsieur, je viens recevoir un effet de 150 francs. C’est aujourd’hui le 15 juillet.

Rodolphe, examinant le billet.

Le 15 juillet ! c’est étonnant ! je n’ai pas encore mangé de fraises !… Ah ! ordre Birmann !… C’est mon tailleur. Hélas !… (Regardant ses habits placés sur une chaise.) Les causes s’en vont, mais les effets reviennent.

Le garçon.

Vous avez jusqu’à quatre heures pour payer.

Il prend le billet, pose un petit papier sur la table et sort.
Rodolphe, avec noblesse.

Il n’y a pas d’heure pour les honnêtes gens… (Avec regret.) L’intrigant ! il remporte son sac… (Se recouchant.) C’est le 15… Le cap des tempêtes si difficile à doubler… jour néfaste qui commence par une pluie de billets, et se termine par une grêle de protêts. Dies iræ !… (Il se rendort.)

Musette
Deuxième Couplet.

Beaux bluets qu’on tressa en couronne,
Dans les beaux jours, (bis)
Belles fleurs que le printemps donne
Pour oracle aux premiers amours,
Tout se fane bien vite, Rose,
Un jour tu n’auras à cueillir
De fleur éclose (bis)
Que dans les champs du souvenir.

Rodolphe, s’éveillant en sursaut.

Qui diable chante ainsi ? Je ne m’entends pas rêver… (Criant.) Madame !

Musette, plus fort.

Monsieur !…

Rodolphe.

Il fait donc jour chez vous ?

Musette

Un peu ! Et chez vous, est-ce qu’il fait nuit ?

Rodolphe.

Beaucoup ! Il fera nuit toute la journée. J’ai arrêté le soleil pour cause de liquidation… (Il se recouche.)

Musette

Monsieur !…

Rodolphe.

Madame !…

Musette, se levant et remettant le bonnet et la bouteille sur la cheminée à gauche.

Vous êtes un malhonnête !… (Elle chante plus fort.)

Rodolphe.

Tiens, mais je n’avais pas remarqué… Il me semble reconnaître cette douce voix… mais oui, ce timbre m’est familier…

Sautant en bas du lit, et mettant une vareuse.
Musette.

Ah ! mais, attendez donc… Rodolphe !

Rodolphe.

Allons donc !

Musette.

Quel heureux hasard ! Je vous tends la main !

Rodolphe.

Je vous baise au front… Mais, au fait… (Frappant au mur.) Peut-on entrer ?

Musette.

Toujours ! mais pas par ici, faites le tour.

Rodolphe, sort de sa chambre et entre aussitôt chez Musette qu’il embrasse.

Le tour est fait !


Scène III.

RODOLPHE, MUSETTE, à gauche.
Rodolphe.

Ma jolie petite Musette !

Musette.

Mon bon Rodolphe ! qu’êtes-vous donc devenu ?

Rodolphe.

Je suis devenu philosophe.

Musette.

Ce qui veut dire que vous n’avez pas d’argent.

Rodolphe.

Pardonnez-moi, j’en ai… j’en ai à payer.

Musette.

Vous avez des dettes ?

Rodolphe.

Beaucoup ! si vous en voulez ?…

Musette.

Non, merci… Faites-vous toujours des vers ?

Rodolphe.

Oui, les jours fériés ; mais, dans la semaine, c’est différent ! Et même je viens de terminer un petit ouvrage fort intéressant, intitulé le Parfait Fumiste. C’est de la haute littérature en terre cuite… Enfin, ça se vend… Baptiste l’a lu, il en est assez content.

Musette.

Baptiste est ici !

Rodolphe.

Oui, par ma protection…

Musette.

Savez-vous qu’il y a un an que nous ne nous sommes vus !

Rodolphe.

Je le sais !

Musette.

Et votre oncle ?

Rodolphe.

Il y a six mois de plus, et c’est au bout de ces six mois-là, les premiers que je passais à Paris au sein de la Bohême, que vous l’avez abandonné, vous, inconstante Musette, pour aller habiter les hauteurs cythéréennes du quartier Bréda.

Musette, riant.

Vicomtesse, mon cher… (Elle passe à droite.)

Rodolphe.

Ah ! j’étais bien sûr que vous finiriez ainsi… une nuit ou l’autre. Mais alors, comment se fait-il que je vous retrouve dans cette humble mansarde ?

Musette.

Je l’ai louée par prévision, il y a deux mois, et j’y suis venue hier soir pour la première fois, c’est un pied-à-terre.

Rodolphe.

Au cinquième étage ? Enfin, je comprends… Le cœur d’un vicomte sans préjudice du courant.

Musette.

Non ! non ! c’est fini !

Rodolphe, s’asseyant.

Et Marcel ?

Musette.

Je l’aime plus que jamais… Et la preuve… (Montrant un petit coffre qui est sur une table à droite.) Voilà ses lettres… C’est même la seule chose que j’aie emportée dans ma fuite.

Rodolphe, se levant.

Vous nous revenez donc ?

Musette.

Oui, décidément je veux manger encore avec vous le pain bénit de la gaîté !

Air d’une polka.

C’en est fait, j’oublie
Ma brillante vie,
Et je répudie
Mes nobles amours ;
Oui, je vous dis adieu pour toujours,
Diamans et cachemires !
À toi, Marcel, mes seules amours,
Et caresses, et sourires !
C’en est fait j’oublie, etc.

Rodolphe.

Enfin, elle oublie
Sa brillante vie !
Elle répudie
Ses nobles amours !

Rodolphe.

Ah ! vous me rendez bien heureux, allez, Musette… Mais si vous retrouvez Marcel, s’il oublie le passé… Il faut à l’avenir ne plus lui déchirer le cœur avec vos petits ongles roses.

Musette.

Je les couperai bien courts…

Elle passe à gauche.
Rodolphe.

C’est ça… et tâchez qu’ils ne repoussent pas trop vite… Parce que, voyez-vous ? c’est grave, Musette ! Nous autres, tout nous quitte avec la femme aimée, notre jeunesse, notre courage, notre talent ! pour quelque temps du moins… J’en sais quelque chose.

Musette, accoudée à la cheminée.

Marie, n’est-ce pas ?

Rodolphe.

Oui, Marie !

Musette.

Elle vous a bien aimé.

Rodolphe, se mettant à cheval sur une chaise.

Oui, pendant un mois… Dans ce temps-là le Pactole passait dans ma chambre… Mais le Pactole a changé de lit…

Musette.

Et Marie ?

Rodolphe, avec un geste significatif.

Elle a suivi le courant… Ah ! dans le premier moment, je n’étais pas drôle, vrai ! le chagrin m’avait mordu, j’étais devenu enragé.

Musette.

Pauvre garçon !

Rodolphe.

Et après, j’ai eu des idées bizarres, fantastiques… Il me fallait absolument un être à aimer. J’avais adopté un homard vivant ; je l’avais fait peindre en rouge, c’était plus gai… Mais cette affection ne me suffisait pas… (Se levant.) J’en ai fait une mayonnaise ! Puis il me vint une autre idée… Je m’en fus aux Enfans trouvés.

Musette.

Bah ?

Rodolphe.

En regardant les enfans, je vis une belle jeune fille de dix-huit ans, orpheline comme les autres, mais qu’on avait gardée dans la maison…

Musette.

Vous vouliez l’adopter ?

Rodolphe.

Mieux que ça… Je voulais l’épouser… Je fis ma demande, je dis franchement quels étaient mes moyens d’existence : poète lyrique. Le mariage manqua !

Musette, riant.

Pauvre ami !

Rodolphe.

Eh bien ! ça m’a fait mal de la quitter, vrai… Et je crois que de son côté… Oui, quand je me suis éloigné, ses yeux m’ont suivi jusqu’au seuil de la maison. N’est-ce pas que ça serait très-gentil tout ça avec des vignettes ?…

Musette.

Dites donc, croyez-vous que Marcel m’aime encore ?

Rodolphe.

C’est à craindre.

Musette.

Où est-il ?

Rodolphe.

Je n’en sais rien… Il voyage ; je crois qu’il a dû aller en Auvergne pour faire des portraits de Savoyards…

On frappe chez Rodolphe.
Musette.

On frappe chez vous.

Rodolphe.

Vous croyez ?

Benoît, en dehors.

M. Rodolphe, c’est moi !

Rodolphe.

Ah ! c’est M. Benoît, notre propriétaire ; il vient cherchercher de l’argent… C’est une bonne idée qu’il a là !… (Criant.) Entrez ! Au revoir, Musette… (Il sort.)

Benoît, entrant dans la chambre de Rodolphe.

Pardon ! je suis peut-être indiscret… Tiens, il n’y a personne… (Rodolphe entre chez lui.) Ah ! le voilà !


Scène IV.

À gauche, MUSETTE seule. À droite, RODOLPHE, BENOÎT.
Benoît.

Monsieur, je vous salue.

Rodolphe.

Bonjour, M. Benoît… Asseyez-vous donc !…

Benoît s’assied à gauche.
Musette, prenant le coffre où sont les lettres, allant s’asseoir dans le fauteuil, et les parcourant.

Que d’amour il y avait là-dedans !…

Rodolphe, ouvrant le rideau et la fenêtre.

Permettez-moi de vous offrir un rayon de soleil !… (Le jour se fait.) M. Benoît, quel heureux concours de circonstances me procure l’avantage de votre visite ?

Benoît, à part.

Il est poli ! Ça m’inquiète… (Haut.) Mais je venais vous dire que c’est aujourd’hui le quinze juillet…

Il tire un papier de sa poche.
Rodolphe.

Vraiment ?… Il faudra que j’achète un pantalon de nankin le 15 juillet !… Je n’y aurais jamais songé sans vous, M. Benoît.

Benoît.

C’est cent soixante-deux francs, et il se fait temps de régler ce petit compte.

Rodolphe.

Je ne suis pas absolument pressé ; il ne faut pas vous gêner. Petit compte deviendra grand…

Benoît.

Hein ?

Rodolphe.

Mais si vous y tenez absolument, réglons, M. Benoît.

Il s’assied à côté de lui.
Benoît, souriant.

Ah !

Rodolphe.

Oh ! mon Dieu ! aujourd’hui ou demain, cela m’est absolument indifférent… Qu’est-ce que je vous dois…

Benoît, lui montrant le papier.

D’abord nous avons trois mois de chambre à 25 francs, ci 75. Plus, avances pour trois paires de bottes à 20 francs. Plus, argent prêté, 27 francs. — 75, 60, et 27, tout cela fait 162 francs !

Rodolphe.

162 francs ! c’est extraordinaire… Quelle belle chose que l’addition !… (Se levant.) Eh bien ! M. Benoît, maintenant que le compte est réglé… (Il tire de sa poche un paquet de tabac et bourre sa pipe.) nous pouvons être tranquilles…

Benoît, se levant.

Monsieur, je n’aime pas que l’on se moque de moi ! C’est de l’argent qu’il me faut.

Rodolphe.

De l’argent ! de l’argent !… Vous êtes étonnant ! est-ce que je vous en demande, moi… D’ailleurs, j’en aurais que je ne vous en donnerais pas… Un vendredi, ça porte malheur !

Benoît.

Morbleu ! monsieur…

Musette remet les lettres dans le coffre, prend des cartes sur la cheminée et fait une réussite.
Rodolphe, allumant sa pipe avec des allumettes qui sont sur le guéridon.

Voyons, M. Benoît, attendez quelques jours…

Benoît.

Non, monsieur ; je sais ce qu’il me reste à faire… et si l’on vient louer une chambre…

Rodolphe.

Voulez-vous un objet d’art comme à-compte ?

Benoît.

Un objet d’art ? une chose inutile ? merci !…

Il remonte.
Rodolphe, apercevant sur la table de gauche un sac d’argent que Benoît y a posé, et allant le prendre.

M. Benoît !… (Benoît descend.) vous oubliez un objet d’art : votre sac… (Il le lui donne.)

Benoît, furieux.

Ah ! très-bien ! monsieur, vous aurez de mes nouvelles !… (Il sort.)


Scène V.

À gauche, MUSETTE, à droite, RODOLPHE.
Musette, se levant et remettant les cartes sur la cheminée.

Ma réussite est bonne… je le retrouverai !…

Elle reporte le petit coffre sur la table à droite.
Rodolphe, après avoir reconduit Benoît, redescendant.

Ah ! mais, je ne peux pas rester ici ; l’invasion des alliés va commencer, il faut fuir… Où sont mes ornemens ?… (Il s’habille.)


Scène VI.

À gauche, MUSETTE, M. BENOÎT, à droite, RODOLPHE, puis SCHAUNARD.
Benoît, en dehors, frappant à la porte de Musette.

Peut-on entrer ?

Musette

Oui, M. Benoît, je suis visible…

Benoît, entrant.

Mademoiselle…

Musette.

Vous faites votre tournée, M. Benoît ?

Benoît.

Oui, et je vous avouerai que je venais…

Musette.

Comment donc ! mais c’est tout naturel…

Benoît, à part.

Ah ! enfin !

Musette.

Je vous demanderai la permission de lacer mes bottines…

Benoît.

Très-bien… Je dois avoir le reçu…

Il cherche dans ses poches. Musette au fond, met ses bottines.
Schaunard, entrant brusquement chez Rodolphe.

Bonjour !… (S’asseyant sur le lit.) Ouf !

Rodolphe, s’arrangeant devant une petite glace au dessus de la table à gauche.

Tiens, c’est toi !

Schaunard.

Tu n’as pas cent francs à me prêter ?

Rodolphe.

Cent francs ! tu feras donc toujours de la fantaisie ? Tu as pris du hatchich…

Schaunard.

Je n’ai rien pris du tout… Ah ! si, j’ai pris un cabriolet à l’heure pour chercher de l’argent…

Rodolphe.

Ah ! bon !

Benoît, lisant un reçu.

Non, celui-ci, c’est le reçu de M. Rodolphe…

Il cherche.
Rodolphe.

Eh bien ?

Schaunard.

Je n’ai trouvé d’argent nulle part, et j’ai retrouvé mon cabriolet partout… Cinq heures ! sept francs cinquante… Les as-tu ?

Rodolphe.

Je ne crois pas… vois dans ce meuble de Boule…

Il désigne la commode, Schaunard ouvre les tiroirs.
Benoît.

Je l’aurai laissé en bas… je vais en faire un autre…

Il s’assied et écrit à la table. Musette a mis une bottine et se dispose à mettre l’autre.

Schaunard.

Mais il n’y a pas d’argent dans ce meuble…

Rodolphe.

C’est que le précédent locataire n’en a pas laissé…

Schaunard.

Qui payera mon cabriolet ?

Rodolphe.

Qui m’invitera à dîner ?… (Ils réfléchissent.)

Schaunard.

Ah ! dîner ! c’est aujourd’hui vendredi… Vendredi rien ne mangeras, ni autre chose pareillement…

Benoît, se levant après avoir écrit.

Mademoiselle, voici l’affaire : 25 et 25…

Musette, ajustant sa robe.

Voulez-vous me mettre cette agrafe-là ?

Benoît.

Mais…

Musette, le dos tourné.

Mais dépêchez-vous donc !…

Benoît fait des efforts prodigieux ; Musette chantonne et se balance en mesure.

Rodolphe, se frappant le front.

Ah ! j’ai une idée !

Benoît.

Mademoiselle, si vous remuez ainsi…

Musette.

Je croyais que ça y était…

Rodolphe.

Si tu les empruntais au cocher ?

Schaunard.

Impossible, mon cher, il a été échaudé ces jours derniers…

Benoît, s’essuyant le front.

Voilà !

Musette, montant sur ses pointes pour voir dans la glace.

Voyons…

Schaunard.

Tu n’as rien à vendre, ici ?

Rodolphe.

Peut-être bien…

Ils cherchent et font un inventaire des effets.
Musette.

Tiens, vous n’êtes pas trop maladroit pour votre âge…

Benoît, offrant sa quittance.

25 et 25, 50…

Musette.

50 ! on ne vous les donnera jamais…

Elle va prendre à droite son chapeau et son châle.
Benoît.

Mais, permettez…

Musette.

Je suis à vous dans une minute…

Rodolphe, avec triomphe, trouvant un livre dans sa malle.

Ah ! à vendre, un volume de poésies avec le portrait de l’auteur, en lunettes…

Schaunard.

J’aimerais mieux un pantalon… sans lunettes !

Musette, ayant mis son châle et son chapeau.

M. Benoît, tous devez perdre beaucoup avec les jeunes gens qui perchent chez vous…

Benoît.

Oui, mademoiselle, beaucoup…

Musette.

Et quand ils ne vous payent pas, comment faites-vous ?

Benoît.

Je les fais poursuivre.

Musette.

Et quand ce sont des femmes ?

Benoît.

Je les poursuis moi-même…

Musette.

Vraiment ?… eh bien ! courez après…

Elle se sauve en riant.
Benoît, furieux.

Mademoiselle ! mademoiselle !… (Il sort derrière elle.)


Scène VII.

À droite, RODOLPHE, SCHAUNARD, puis BAPTISTE à gauche.
Schaunard.

Il n’y a rien de propre à laver ici… (On entend une demie.) Ah ! cinq heures et demie de cabriolet !… sept quatre-vingts !… Adieu, je vais chercher de l’argent… (Il remonte.)

Rodolphe.

Je vais courir après un dîner… (Avec un cri.) Ah !… (Il fouille dans sa poche et en tire du papier.) Je le tiens !… (Schaunard redescend. Lisant.) « Banquet de cinq cents couverts, en l’honneur de la naissance du messie humanitaire. »

Schaunard.

On ne tient qu’un sur ton billet ?

Rodolphe.

Oui, mais on en tient deux dans ton cabriolet, partons !… je te rapporterai des noisettes. (Ils remontent.)

Schaunard.

Oh !… (Ils redescendent.) quelle idée ! je garde mon cabriolet — au mois !… (Ils sortent.)

Rododphe, à Baptiste qui est sur le seuil de la chambre de Musette.

Baptiste, s’il vient des anglais pour moi, vous direz que je suis dans les Basses-Pyrénées…

Ils disparaissent.
Baptiste.

Oui, monsieur… (Entrant à gauche.) Basses-Pyrénées, Pau… patrie de Henri IV !


Scène VIII.

À gauche, BAPTISTE, seul.
Il porte un balai, un plumeau, un sceau et une cruche en zinc, et deux paires de draps. Il dépose tous ces objets en entrant.

M. Benoît m’a dit de faire cette chambre, et de mettre des draps au lit… Cette chambre était donc habitée ? je l’ignorais… Tiens, c’est ma foi vrai, et ces fragmens d’uniforme, dispersés ça et là, indiquent suffisamment à quel régiment gracieux appartient la créature qui loge sous ces poutres : c’est une fille d’Ève ! une mangeuse de pommes… (Il furète dans la chambre.) Voyons un peu… comme ce petit bonnet est coquettement placé sur cette bouteille !… comme ces fleurs et ces rubans attestent bien le passage d’une petite main capricieuse et mutine !… (Il s’approche du lit.) C’est là qu’elle a dormi, le lit conserve encore une empreinte voluptueuse dans laquelle on pourrait mouler une Vénus… Et M. Benoît s’imagine que je vais détruire cela… (Avec dédain.) Ah ! barbare ! Vandale ! Visigoth !… (Il prend tout son attirail.) Allons faire l’autre chambre… (Il passe à droite ; arrivé au milieu de la chambre, regarde de tous côtés, et éclate de rire.) Ah ! ah ! quel admirable désordre ! rien n’est à sa place, tout est parfaitement dérangé… (Il dépose tout ce qu’il tient.) Quelle antithèse !… Là-bas, la grâce, la coquetterie… ici, la force, le travail… là-bas, des fleurs, des rubans… ici, des pipes, des papiers, de l’encre partout, jusque sur les draps… et je les changerais… jamais !… (Il s’asseoit près du guéridon.) Il y a beaucoup de besogne dans cette maison… dire que j’ai vingt-sept chambres à faire comme ça tous les jours… ça me prend tout mon temps. (Regardant sur le guéridon.) Tiens, M. Rodolphe a reçu les épreuves du Parfait Fumiste… (Prenant les épreuves et se levant.) Je vais les lui corriger et mettre un cent de virgules… (S’asseyant à la table de droite et lisant.) « Chapitre des ventouses. »

Il continue à lire tout bas et corrige.

Scène IX.

À gauche, BENOÎT, MARCEL, un Commissionnaire, portant une malle ; à droite, BAPTISTE, travaillant.
Benoît, entrant le premier.

C’est ici, monsieur ; ça vous convient-il ?

Marcel, entrant.

Parfait ! admirable ! le Louvre en petit… (Au Commissionnaire.) Déposez là cet objet… Prenez garde ! c’est un peu lourd…

Il l’aide à mettre la malle à terre contre le lit.
Benoît, à part, avec satisfaction.

Ce jeune homme paraît avoir beaucoup de linge. (Haut.) Désirez-vous que je vous aide à ouvrir votre malle ?

Marcel.

Je vous remercie bien… elle ne ferme pas…

Il paye le Commissionnaire qui sort.
Benoît.

Excusez-moi, monsieur, si je vous quitte, mais il y a en bas une jeune fille qui m’attend pour voir la chambre à côté…

Marcel.

Bien le bonjour, que je ne vous retienne pas… (Il le reconduit. Benoît sort. Redescendant.) Une jeune femme près de moi !… c’est un cadeau de la Providence !

Baptiste.

Vingt-deux fautes dans trois lignes !… Ô Gutenberg !…


Scène X.

À gauche, MARCEL ; à droite, BAPTISTE.
Marcel.

Oh ! j’ai une idée !… vite une vrille…

Il en prend une dans sa malle, après en avoir retiré quelques toiles, des crayons, des pinceaux qu’il pose sur le lit.
Baptiste.

Je crois que cette dame est rentrée… Ma foi, en ce moment, l’amour des belles-lettres est moins fort chez moi que la curiosité…

Il se lève et colle son oreille à la cloison.
Marcel.

Voilà mon affaire (Perçant la cloison.) Grâce à cet observatoire, si cette personne est d’une architecture agréable…

Baptiste.

Je crois que je n’entends rien…

Il colle son oreille à la cloison.
Marcel.

Je transmettrai ses épaules à ma chaste Suzanne, qui n’en a pas encore… Je crois que ça avance…

Baptiste.

C’est singulier, la voix ne pénètre pas… (Poussant un cri et se reculant en tenant sa joue à deux mains.) Ah ! une bête ! un aspic !…

Marcel, reculant.

Il y a du monde dans ce mur !…

L’orchestre joue : Réveillez-vous, ma mie Jeannette.

Scène XI.

À gauche, MARCEL ; à droite, BAPTISTE, MIMI, un carton à la main, BENOÎT.
Benoît, entrant le premier.

Nous y voilà… (Mimi entre et s’appuie sur le bois du lit.) Asseyez-vous, mademoiselle, vous paraissez souffrir…

Mimi, la main sur la poitrine.

Oui, de là… c’est quand je monte, mais ce n’est rien !

Elle pose son chapeau et son châle sur le lit.
Marcel, regardant à travers la cloison.

Oh ! qu’elle est jolie ! voilà un cou qui fera joliment mon affaire… Vite, profitons de l’inspiration…

Il prend une toile, un crayon, s’assied contre la cloison et se dispose à travailler.

Mimi.

Voit-on clair ici ?

Baptiste.

Ah ! mademoiselle, le soleil en est le locataire assidu.

Mimi, qui a été à la fenêtre, après avoir mis son carton sur le guéridon.

Il fera de l’orage, voyez-vous, ce soir… c’est un peu pour ça que je ne me sens pas bien…

Benoît.

Mademoiselle est couturière ?

Mimi.

Je fais des fleurs, monsieur…

Baptiste.

C’est une bien jolie profession… le printemps est votre confrère…

Benoît, bas à Baptiste.

Comment ! cette chambre n’est point faite ?

Baptiste.

Pardonnez-moi, monsieur, elle est faite au point de vue de l’art…

Benoît.

Hein ? voyons, dépêchez-vous…

Baptiste.

Oui, monsieur…

Benoît, saluant.

Mademoiselle, on va tout préparer… (Il sort.)

Baptiste, reprenant tous ses ustensiles à Mimi.

Mademoiselle, si vous avez besoin de quelque chose, vous sonnerez… Je n’y serai pas… je vais au cabinet littéraire en face… (Il sort.)


Scène XII.

À gauche, MARCEL, travaillant ; à droite, MIMI.
Mimi, prenant dans son carton une garniture de fleurs.

Pourvu qu’on ne m’ait pas suivie !… Voyons, j’examinerai mon logement plus tard… je voudrais finir cette garniture avant la nuit…

Elle s’assied près du guéridon et travaille.
Marcel, l’œil à la cloison.

Diable ! elle a une robe bien montante, je ne vois pas même l’origine des épaules… il me faut des épaules !

Mimi.

Il fait bien chaud ici…

Elle ôte un petit fichu qui lui couvrait les épaules.
Marcel, avec un cri de joie.

Ah ! les ravissantes courbes !… (Il travaille.)

Mimi.

C’est drôle… quand je souffre comme tout-à-l’heure, ça me rend triste tout de suite… il me semble que je ne rirai plus jamais… et tout ce que j’ai de chagrins me revient là… mais quand la douleur est partie, comme en ce moment, je ne pense plus qu’à ce qui peut me rendre heureuse… je ne pense plus qu’à lui, et mes chansons me reviennent aux lèvres.

Air nouveau de M. J. Nargeot.

Réveillez vous, ma mie Jeannette,
Et mettez vos plus beaux habits,
C’est aujourd’hui le jour de fête,
Le jour de fête du pays !

Marcel.

Oh ! la jolie petite voix !… Mais elle est charmante ! adorable !… J’en suis amoureux fou !… Et j’admire des lignes, au lieu d’en tracer de brûlantes !… (Se levant et posant sa toile et son crayon sur la table.) Vite, quelque chose à quatre-vingt-dix degrés. Richelieu !… Une plume, de l’encre !… (Il court dans la chambre et aperçoit le bonnet.) Un bonnet !… (Prenant le bonnet.) est venu un bonnet chez moi !… c’est-à-dire, non, c’est moi qui suis venu chez le bonnet… Je me souviens, une pauvre fille qui ne payait pas… ce butor de maître d’hôtel m’a prévenu… (Remettant le bonnet sur la bouteille.) Oh ! c’est particulier !…

Mimi.

Le jour baisse… je n’aurai pas fini !…

Marcel.

Oh ! c’est particulier ! ce petit bonnet ressemble à Musette ; il a comme elle quelque chose de retroussé dans la physionomie… Qu’est-ce que c’est que ça ?… (Trouvant une ceinture sur la cheminée.) Une ceinture… juste ! la taille de Musette… Ah ! mon Dieu ! est-ce que… voyons donc… (Il continue à fureter.)


Scène XIII.

Les mêmes, RODOLPHE, puis BAPTISTE.
Rodolphe, en dehors, criant.

Baptiste ! ma clef !

Marcel.

Tiens !… (Il écoute.)

Rodolphe.

Baptiste ! ma clef, animal !

Marcel.

Je connais cet instrument humain…

Rodolphe, ouvrant la porte de gauche.

Il n’y a donc personne ici ?

Mimi.

Oh ! il m’a semblé… (Elle écoute.)

Marcel, criant.

Juste !

Rodolphe, entrant à gauche.

Ah ! bah ! c’est toi ?

Marcel.

C’est moi…

Rodolphe.

C’est toi ! c’est moi ! c’est nous !… embrassons-nous !

Et puisque je retrouve un ami si fidèle…

Prête-moi cinq francs…

Marcel, lui donnant de l’argent.

Les voilà !

Rodolphe.

Je suis à toi !…

Il va au fond, en dehors, et sonne à tour de bras.
Mimi.

Je suis folle !… mais je crois toujours le voir ou l’entendre…

Baptiste, entrant à gauche.

Me voilà, monsieur…

Rodolphe.

C’est heureux !

Baptiste.

J’étais en face, je compulsais… Tiens, M. Marcel !…

Rodolphe, lui donnant l’argent.

C’est bon… va-t’en et apporte ici de la nourriture pour cinq francs… (Baptiste sort.)

Marcel.

Tu n’as donc pas dîné ?

Rodolphe.

J’ai failli dîner… j’ai été sur le bord d’un potage, mais la police est venue le renverser… (On entend sonner une demie.) Et ce pauvre Schaunard, quand je pense qu’à l’heure qu’il est, il a onze heures de cabriolet…

Il va s’asseoir dans le fauteuil.
Marcel.

Ah ! qu’est-ce que c’est que ça !… autrefois j’ai eu quinze jours de bateau à vapeur… du reste, s’il avait l’idée de venir, je le tirerais d’embarras…

Rodolphe.

Tu es donc millionnaire ?

Marcel.

À peu près, j’ai deux mille francs de placés… là, dans ma malle… deux mille francs d’Auvergnats… Dieu ! qu’ils sont laid ! mais qu’ils paient bien !… Ah ! ça, mon ami, permets-moi de continuer mes recherches… je suis une piste… (Il continue à fureter.)

Rodolphe.

Ne te gêne pas… Eh bien ! vous êtes raccommodés ?

Marcel.

Avec qui ?

Rodolphe.

Avec Musette.

Marcel.

Pourquoi ça ?

Rodolphe.

Comment, pourquoi ça ?

Marcel, qui a trouvé et ouvert le petit coffret.

Des lettres !…

Rodolphe.

Eh bien ! les tiennes !

Marcel.

Bah !… et ce bonnet ?

Rodolphe.

Le sien !

Marcel.

Elle est ici !… Je m’en doutais !

Rodolphe, se levant.

Tu ne l’as donc pas vue ?

Marcel.

Mais non… on m’a loué cette chambre, on lui a donné congé.

Rodolphe.

C’est un tour de Benoît !

Marcel.

Elle est partie !

Rodolphe.

Elle reviendra… elle tient à tes lettres…

Marcel.

Tu crois ?… Je vais attendre cinq minutes, et après j’irai chez Madeleine… elle me dira où est Musette… Consacrons ces cinq minutes à l’amitié… Tu loges ici ?

Rodolphe.

Oui, là…

Marcel.

Comment, là ? il y a une jeune fille !

Rodolphe.

Allons donc !

Marcel.

Regarde !

Rodolphe, allant regarder par la cloison, avec un cri.

Ah !

Marcel.

Quoi ?

Rodolphe.

Mimi !

Mimi.

Qui m’appelle ?

Rodolphe, avec joie.

C’est Mimi !

Marcel.

L’enfant trouvé !

Mimi, se levant.

Oh ! je ne me suis pas trompée !…

Elle se rapproche de la cloison.
Rodolphe, revenant près de Marcel.

Ah ! mon ami !

Mimi.

C’est sa voix !

Rodolphe, s’appuyant sur Marcel.

Mes jambes ne me suffirent plus ; prête-moi les tiennes.

Marcel.

Je n’ai que celles-là, j’en ai besoin pour courir après Musette ; adieu !… (Il se sauve.)

Rodolphe.

C’est drôle !… je n’ose pas entrer chez moi, chez… elle.. Ah ! bah !… allons !… (Il sort.)

Mimi, écoutant.

Je n’entends plus rien… Est-ce qu’il est parti ?… (Rodolphe frappe à la porte de droite. — Avec joie.) Le voilà ! Entrez !

Rodolphe, entrant à droite.

Mademoiselle…

Mimi, lui tendant la main.

C’est moi !

Rodolphe.

Ah ! j’en étais bien sûr !… ma chère Mimi…

Mimi.

Vous ne m’avez donc pas oubliée ?

Rodolphe.

Vous oublier ! oh ! je pensais trop à vous pour ça.

Mimi, joyeux.

Oh ! la bonne Providence, qui a bien voulu nous réunir !…

Rodolphe.

Oui, c’est elle qui a voulu que je dusse deux termes, pour que mon propriétaire louât ma chambre à une autre personne… et que cette autre personne fût vous !

Mimi.

Ah ! ça, est-ce que vous n’êtes pas étonné de me voir ?

Rodolphe.

Oh ! moi, je suis heureux… d’abord, je serai étonné tout-à-l’heure.

Mimi.

Vous ne me faites pas de questions ?

Rodolphe.

À quoi bon ? vous êtes près de moi, le reste m’est égal.

Mimi.

Mais moi, je ne veux pas que vous puissiez avoir de mauvaises idées… et je vais tout vous dire…

Rodolphe prend une chaise, la fait asseoir, et s’assied à côté d’elle.
Baptiste, entrant à gauche et apportant un panier de restaurateur plein de provisions.

Voilà les comestibles… (Regardant autour de lui.) Personne !… (Posant le panier près de la cheminée.) Ça se tiendra chaud, si on fait du feu… (Il sort.)

Mimi, à Rodolphe.

Et maintenant, écoutez-moi !…

Rodolphe.

Donnez moi vos mains, j’écouterai mieux.

Mimi.

Les voilà !

Rodolphe, lui prenant les mains.

J’écoute !

Mimi.

Depuis ce jour où vous êtes venu, vous savez ?…

Rodolphe.

Oui, pour vous demander en mariage… une idée… qui n’a pas eu de succès.

Mimi.

Depuis ce jour-là, je n’ai pas cessé de penser à vous.

Rodolphe.

Chère petite Mimi !

Mimi.

Ça vous semble peut-être drôle que je vous dise ça.

Rodolphe.

Non, non, allez.

Mimi.

J’espérais toujours que vous reviendriez.

Rodolphe.

Ma fortune n’était pas encore assez bien établie.

Mimi.

C’est ce que j’ai pensé. Un jour on me proposa d’entrer chez une vieille dame comme demoiselle de compagnie ; l’idée m’est venue qu’en quittant l’hospice j’aurais peut-être l’occasion de vous rencontrer, et j’ai accepté avec joie. Mais je n’ai pas tardé à me repentir, allez !

Rodolphe.

Comment !

Mimi.

La dame chez qui j’étais recevait souvent la visite d’un vieux monsieur, et toutes les fois qu’il venait à la maison elle trouvait toujours un prétexte pour me laisser seule avec lui.

Rodolphe.

Ah ! je comprends.

Mimi.

Ce monsieur me disait des choses… si vous saviez.

Rodolphe.

Je les sais par cœur.

Mimi.

Enfin, hier, quand je m’y attendais le moins, il m’a prise dans ses bras.

Rodolphe.

Oh !… (Il l’enlace.)

Mimi.

Et il m’a embrassée…

Rodolphe, l’embrasse.

C’est affreux !…

Mimi.

Madame est arrivée, et elle m’a dit que si une pareille scène se renouvelait, elle me chasserait.

Rodolphe, se levant.

Ah ! c’est très-gentil.

Mimi, se levant aussi.

Moi, je n’ai pas voulu rester plus longtemps dans cette maison ; le soir…je me suis sauvée, et voilà comment je suis ici…

Rodolphe.

Chère petite Mimi, ne craignez plus rien ! Autrefois je voulais vous épouser, aujourd’hui je vous adopte !… (Après l’avoir embrassée.) Voulez-vous me permettre de vous embrasser ?

Mimi.

Mais vous m’avez déjà embrassée une fois.

Rodolphe.

Non, deux fois seulement.

Mimi.

Oh ! c’est différent… (Rodolphe l’embrasse.)

Rodolphe.

Adieu, Mimi ; je vais faire mes malles, car il faut que je parte…

Il ramasse ses papiers et les met dans sa malle.
Mimi.

S’il y avait deux chambres.

Rodolphe.

Oui, mais il n’y en a qu’une…

Mimi.

Ah ! vous n’avez pas un ami à côté ?

Rodolphe.

Il n’est pas seul, il est… marié !…

La nuit commence à venir.
Mimi.

Eh bien ! ce monsieur viendra ici avec vous, et moi, je passerai la nuit avec cette dame, ça revient au même.

Rodolphe.

Non, Mimi, ça ne revient pas au même !… Je m’en vais… (Il remonte.)

Mimi, allant à la fenêtre.

Ah ! il pleut à verse.

Rodolphe.

Ce n’est qu’une pluie d’orage, il ne pleuvra plus après-demain.

Mimi.

S’il faisait jour…

Rodolphe.

Oui, mais il fait nuit… Je dirai qu’on vous envoie de la lumière.


Scène XIV.

les mêmes, à droite ; à gauche MARCEL,
entrant brusquement la chandelle à la main.
Le jour se fait dans la chambre à gauche.
Marcel.

Pas de Musette ! Je suis imbibé…

Il ferme sa porte avec fracas, met sa chandelle sur la cheminée, et secoue son chapeau.
Mimi, à Rodolphe qui allait sortir.

Il me semble que ce monsieur est rentré.

Rodolphe.

Vous croyez ?… (Appelant.) Est-ce toi, Marcel ?

Marcel.

Tiens, tu es là, toi, gaillard ?

Rodolphe.

Oui !

Marcel.

Tu es deux ?

Rodolphe.

Oui ; aussi je déménage, j’attends que l’averse soit calmée.

Marcel.

Je n’ai pas retrouvé Musette ; si tu veux venir loger avec moi…

Mimi.

Quel bonheur !

Rodolphe.

Que le diable t’emporte !

Marcel.

Ah ! bon ! compris.

Mimi.

Comment ?

Rodolphe.

Rien, rien… (À part.) Il faut partir…

Bruit dans l’escalier.
Musette, criant en dehors.

Il me faut mes lettres !

Marcel.

C’est Musette !… (Il court à la porte qu’il ouvre.)


Scène XV.

À gauche, MARCEL, MUSETTE, BENOÎT ; à droite, RODOLPHE, MIMI.
Musette, se jetant dans les bras de Marcel.

Marcel !

Marcel.

Quelle chance !… (La faisant asseoir à gauche.)

Benoît, entrant à gauche.

Madame, c’est scandaleux ; vous n’êtes plus ici chez vous.

Marcel.

C’est juste ! madame est chez moi… (Allant près de la cloison et criant.) Je te reprends mon hospitalité, Rodolphe.

Benoît.

Comment ! M. Rodolphe aussi… Ah ! c’est trop fort…

Il sort, Marcel ferme la porte sur lui.
Mimi, avec effroi.

Il vient ici, il va vous faire une scène…

Elle ferme vivement la porte.
Benoît, en dehors, frappant à la porte de droite.

Sortez, monsieur, vous n’êtes plus chez vous.

Rodolphe.

Non, je suis chez mademoiselle.

Benoît.

C’est scandaleux !

Rodolphe.

Calmez-vous, je lève l’ancre.

Marcel.

Et maintenant, soupons…

Aidé de Musette, il met les provisions sur la table qu’il a placée au milieu ; ils s’asseyent de chaque côté de la table, et soupent.
Musette.

Ah ! et Rodolphe ?… (Elle va se lever.)

Marcel, la retenant.

Il ne soupera pas.

Rodolphe.

Adieu, Mimi.

Mimi.

Vous partez ?

Rodolphe.

Je vais vous envoyer Musette et prendre sa place… (À part.) Ça ne reviendra pas au même comme je le disais, mais enfin !… (Haut.) Voyez-vous, Mimi, je pourrais peut-être rester en vous promettant bien, car je tiens ordinairement ma parole ; mais j’ai vingt-deux ans et vous dix-huit. Ô Mimi et… Je m’en vais…

Il remonte. — L’orchestre joue un fragment du final du 2me acte du Barbier.

Mimi.

Nous ne nous reverrons plus que demain…

Rodolphe l’embrasse et sort en emportant sa malle.
Mimi, redescendant après avoir fermé la porte.

Heureusement les nuits sont courtes.

Rodolphe, en dehors, frappant à la porte de Marcel.

Marcel, ouvre-moi !

Marcel.

Hein ?

Rodolphe.

Il le faut !

Musette.

Vous vous moquez du monde.

Rodolphe.

Marcel, ne consulte pas Musette, consulte la morale.

Marcel, se levant et rangeant la table dans un coin.

Je ne consulte que mon cœur, je n’ouvre pas…

Il se met aux genoux de Musette.
Rodolphe.

Pas de bêtises… (Il frappe plus fort.)

Marcel, criant.

La porte à côté !…

Il embrasse Musette — Mimi est près du lit. On frappe doucement à sa porte.

Rodolphe, en dehors, à voix basse.

Mimi… c’est moi !…

Mimi reste toute interdite.
FIN DU DEUXIÈME ACTE.