La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XXXV

P. Fort (p. 166-171).

CHAPITRE XXXV

JÉSUS PREND UNE MAÎTRESSE

Ennemis de Jésus étaient les pharisiens, avons-nous dit. Toutefois, quoique ennemis, certains d’entre eux n’étaient pas exempts d’une certaine curiosité. Ils tenaient à voir par eux-mêmes ce que valait la réputation du grand rebouteur. C’est ainsi que nous avons vu Nicodème se rendre en cachette auprès du fils du pigeon et l’interroger sincèrement.

De même, à Naïm, un nommé Simon, qui était un gros légume dans la secte des pharisiens, se promit d’expérimenter la puissance du nazaréen, ou tout au moins de le juger en tête-à-tête.

Un matin donc, Jésus reçut un billet ainsi conçu :

« Le pharisien Simon recevra demain chez lui. Il sera heureux d’avoir à sa table Jésus de Nazareth. »

Notre gaillard fit savoir à Simon qu’il acceptait son invitation. À l’heure voulue, il franchit le seuil de sa demeure.

D’après l’usage de l’époque, quand on recevait quelqu’un chez soi, on lui témoignait son estime en lui faisant prendre un bain de pieds dès son arrivée, en lui offrant quelques parfums et même en l’embrassant sur la joue.

Le pharisien, qui était simplement curieux de voir comment était fabriqué un Messie, omit toutes ces politesses. Il fit à Jésus une réception assez froide, se contentant de lui adresser ces compliments d’une banalité extrême :

— Enchanté, monsieur, de faire votre connaissance ; il y a longtemps que j’entends parler de vous, j’ai tenu à vous avoir à déjeuner… Ce sera sans façon, j’espère que vous ne m’en voudrez pas.

Jésus répondit par une salutation. En définitive, il lui était très indifférent d’être reçu avec plus ou moins d’égards ; l’essentiel était que le repas qu’on lui offrait fût convenable et satisfît son appétit.

Il s’assit tranquillement à table, et, tout en causant de la pluie et du beau temps, s’occupa à engloutir le plus de fricots qu’il lui fut possible. Au fait, il n’avait pas tout à fait tort : on l’avait invité, non par sympathie, mais par curiosité ; il n’avait donc qu’à se comporter en conséquence.

Il mit la conversation sur un terrain vulgaire et ne laissa rien paraître de sa toute puissance.

Cependant, le bruit s’était répandu dans la ville que Jésus banquetait chez Simon. Les badauds, poussés par la curiosité, se rendirent, sous divers prétextes, à la maison de l’amphitryon. Or, comme cela était dans les mœurs du pays, les serviteurs du pharisien laissèrent entrer qui voulut dans la salle du festin. Les portes étaient grandes ouvertes.

Soudain, une femme, qui s’était mêlée à la foule, réussit à se faufiler auprès du charpentier rebouteur.

Elle était jeune, blonde, jolie et très décolletée. Elle portait à la main un vase d’albâtre rempli de parfums.

Quand elle fut devant Jésus, elle se jeta à ses pieds et brisa le récipient. Les parfums se répandirent. La belle, dénouant alors ses cheveux, les trempa dans l’huile embaumée qu’elle avait répandue sur le parquet et se mit en devoir d’astiquer, avec ce tampon improvisé, les ripatons du Verbe.

Les assistants étaient quelque peu surpris de cet hommage significatif. C’était, d’après les mœurs du temps, une déclaration dans toutes les règles. Simon, le beau premier, ne se méprenait pas sur le caractère de cette manifestation.

Elle huilait, huilait, huilait ; elle frottait, frottait, frottait ; et Jésus trouvait bon ce chatouillement produit à un endroit sensible par les blonds cheveux de la belle.

Mais voilà que la chère petite n’était pas précisément un premier prix de vertu. Elle n’avait jamais été couronnée rosière ni en Judée, ni ailleurs. C’était même une particulière très connue par ses fredaines galantes. Elle se nommait Marie. Elle était mariée, mais il y avait longtemps qu’elle avait envoyé son mari à la balançoire. Cet époux riche en cornes, était un docteur de la loi, appelé Pappus, fils de Juda. La belle lui en avait fait voir de toutes les couleurs.

Dans les premiers jours de sa cocufication, Pappus s’était rebiffé. Il avait témoigné sa jalousie, — tout cela est rapporté par les théologiens catholiques, — en enfermant Marie dans le domicile conjugal.

Je t’en fiche ! Marie lui en faisait porter tout de même. Le jardinier, le cocher, le valet de chambre, le cuisinier, les garçons boulangers qui apportaient le pain, les employés de l’épicier d’en face qui venaient faire solder leurs factures, le concierge, tout lui était bon. Elle était insatiable. Quand ses amoureux étaient à bout, elle soupirait encore.

Un beau matin, profitant d’une courte absence de Pappus, elle s’était esquivée et avait rejoint un jeune officier que, depuis quelque temps, elle avait remarqué de sa fenêtre.

Cet officier était en garnison à Magdala.

Marie changea de ville. L’époux mortifié eut le bon sens de ne pas courir après l’infidèle, et celle-ci, désormais libre d’assouvir ses passions charnelles, ne se gêna pas ; elle leur donna un libre cours.

Les commentateurs pieux reconnaissent sans difficulté que la courtisane, après avoir cocufié son mari, cocufia son amant. Bref, les désordres qu’elle étala à Magdala furent tels que la célébrité fut son partage, et qu’en parlant de Marie, on ne la désigna plus que sous le sobriquet de « la Magdeleine » ; car, en peu de mois, elle était devenue la maîtresse de tout Magdala.

Quand elle vit Jésus, elle se dit :

— Cré pétard ! faut que je me paie ce garçon-là !

Elle se porta donc partout sur son passage, joua de la prunelle, assista à plusieurs de ses miracles. Bref, elle se trouvait à Naïm lors de l’épisode du fils de la veuve ressuscité, et, ennuyée de ne pas avoir été remarquée, elle se présenta hardiment à l’Oint au festin du pharisien Simon.

Il n’était plus possible, de cette façon, que Jésus ne fit pas attention à elle. Et, par le fait, non seulement le Verbe la remarqua ; mais encore il abandonna complaisamment ses pieds aux chatouilles et aux baisers de la Magdeleine.

Ce que voyant, le pharisien Simon fut profondément scandalisé. Quoi ! un individu qui se faisait passer pour prophète ne se montrait pas plus clairvoyant que ça ! Il se laissait embrasser les arpions par la première femme venue ; il ne se doutait même pas que cette blonde aux embrassements passionnés n’était ni plus ni moins qu’une gadoue !

— Elle est raide, celle-là ! se disait-il dans son for intérieur. Qu’on vienne me raconter maintenant que l’avenir n’a rien de caché pour ce Jésus ! Il devrait commencer par savoir découvrir le présent… De deux choses l’une : ou il voit qu’il a affaire à une prostituée des plus dévergondées, ou il ne le voit pas. S’il ne le voit pas, c’est qu’il n’est pas plus prophète que mes sabots ; et s’il le voit, eh bien, c’est du propre !

Ce que c’est tout de même que de ne pas avoir la foi ! Comme on envisage les choses à un point de vue faux !

Jésus lut très bien dans le cœur de Simon les réflexions que celui-ci se faisait, et il résolut de lui donner une petite leçon, courte, mais sentie.

Après avoir tendu de plus belle son pied à Magdeleine en l’invitant à le chatouiller encore, il se tourna vers le pharisien et lui dit :

— Simon, je désirerai vous pousser deux mots.

— Allez-y, repartit l’amphitryon.

— Un créancier avait deux débiteurs : l’un lui devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante. Comme il voyait qu’il aurait toutes les peines du monde à se faire payer, vu que les deux débiteurs tiraient, chacun de son côté, le diable par la queue, il prit le parti d’être généreux. Il dit à l’un et à l’autre : « Mon ami, vous m’êtes redevable d’une certaine somme que vous savez ; mais je tiens à vous obliger tout à fait ; nous passerons l’éponge là-dessus ». Il est évident que chacun des deux débiteurs exulta de joie et se confondit en remerciements. Mais, je vous le demande, Simon, quel est celui qui eut le plus de reconnaissance envers ce créancier magnanime ?

— Parbleu ! c’est celui à qui la dette la plus forte a été remise.

— Je suis de votre avis.

— Et alors ?

Quelques aimables dames entretiennent Alphonse Christ (chap. XXXVI)
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Quelques aimables dames entretiennent Alphonse Christ (chap. xxxvi).
 

— Alors, ma comparaison vous concerne ainsi que cette femme…

— Vous voulez rire ?

— Que nenni ! Je parle au contraire très sérieusement. Quand je suis entré dans votre maison, vous ne m’avez pas offert le bain de pieds traditionnel… Oh ! je ne vous dis pas cela pour vous adresser un reproche ; c’est une simple constatation que je vous demande la permission de faire… Cette femme, en revanche, m’a parfumé les orteils des senteurs les plus exquises… Voulez-vous poser votre nez sur mes ripatons ? vous verrez qu’ils embaument…

— Je n’en doute pas, maître.

— Vous ne m’avez pas non plus embrassé sur la joue, comme c’est l’habitude : elle, elle m’embrasse mieux que sur la joue ; ce sont mes pieds mêmes qu’elle baise, et regardez-moi avec quelle ardeur… C’est donc que cette jolie blonde m’aime beaucoup plus que vous ne m’aimez, c’est qu’elle me porte une très vive reconnaissance…

— Une reconnaissance de quoi ?

— Dame, d’un service que je lui ai rendu et dont vous ne vous rendez pas compte.

— Lequel donc, s’il vous plaît ?

— J’ai le pouvoir, Simon, de remettre les péchés ; cela vous étonne peut-être, mais il en est pourtant ainsi… En m’asseyant à votre table, je vous ai remis, sans que vous y ayez pris garde, les quelques peccadilles que vous aviez sur la conscience. De même, en abandonnant mes pieds aux caresses de cette femme, j’ai nettoyé son âme de toutes ses noirceurs, et je vous prie de croire que le nettoyage était nécessaire… Cette jolie blonde l’a compris, et voilà pourquoi elle m’aime tant… Elle est le débiteur à qui le créancier généreux a fait cadeau d’une dette de cinq cents deniers.

Simon n’était pas encore bien convaincu ; il était rebelle à la foi.

— Pourquoi donc, objecta-t-il, tant de mansuétude envers cette fille galante ?

— Précisément à cause de la nature de ses péchés. J’ai une amitié toute particulière pour les noceuses. Plus une femme se livre à l’amour, plus elle possède mon affection. À celle-ci, il sera beaucoup pardonné, parce qu’elle s’est beaucoup livrée à l’amour.

Le pharisien Simon ne répondit rien ; mais, fermant de plus en plus son cœur à la croyance en Jésus-Christ, il pensa que les principes de son hôte n’étaient pas remarquables par leur moralité. (Luc, chap. VII, versets 36-50.)

L’Évangile ne raconte pas la fin de l’aventure.

Il est cependant certain que la Magdeleine, après avoir vu ses avances si bien accueillies, ne s’en revint pas bredouille, et, pour ma part, je n’hésite pas à croire qu’elle emmena Jésus à son hôtel.

Quand un monsieur accepte qu’une jolie femme lui chatouille voluptueusement la plante des pieds avec un pinceau fait de blonds cheveux, ce n’est pas pour en rester là.

Du reste, le catholicisme s’évertue à ériger en dogme la virginité de Marie, mère du Verbe ; mais il ne s’est jamais attaché à démontrer que Jésus ait résisté aux cajoleries des nombreuses amoureuses chez qui il allait de jour et de nuit.

Simon le pharisien, qui n’avait pas la foi, pouvait se scandaliser des mœurs du Christ ; un dévot, au contraire, considère comme sanctifiantes les faveurs de tout personnage revêtu d’un caractère sacré. Ainsi, quand un curé, c’est-à-dire un homme en qui réside une portion de la divinité, s’abandonne à des privautés avec une petite fille, les bons catholiques ne voient pas la chose en mal : la loi civile peut condamner les prêtres trop charnels, mais la loi religieuse les absout ; un vicaire de Jésus-Christ, qui est mis en prison pour avoir cocufié un mari ou dévirginé une fillette, est un martyr, tant il est vrai que de sa part l’acte conjugal sanctifie la personne qui y collabore avec lui.

À plus forte raison, Jésus sanctifia-t-il la Magdeleine en la prenant pour maîtresse.

L’épouse infidèle du docteur Pappus, qui avait trompé tous ses adorateurs, y compris l’officier de Magdala, retrouva dans les bras du fils du pigeon une nouvelle virginité. Elle s’éprit ardemment de Jésus, et celui-ci en eut bien de l’agrément ; car il dut être le premier de ses amants à qui elle n’en fit pas porter.

Nous reviendrons, du reste, sur les amours du Christ et de Marie la Magdeleine, amours qui ne sont contestées que par quelques théologiens d’un fanatisme aveugle, mais qui sont formellement reconnus par plusieurs prêtres, notamment par l’abbé Desdossat de La Baume, chanoine à la Collégiale de Saint-Agricol d’Avignon, dans son ouvrage la Christiade ou le Paradis reconquis.