La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XXXIII

P. Fort (p. 159-162).

CHAPITRE XXXIII

FUNÉRAILLES INTERROMPUES

Or, Jésus, ayant endoctriné ses douze apôtres, descendit de la montagne et rentra dans Capharnaüm.

Et voici qu’un centurion, c’est-à-dire un officier romain, commandant le détachement des légionnaires établi sur les bords du lac, vint trouver le Verbe et lui adressa cette supplique :

— J’ai chez moi un de mes domestiques que j’aime beaucoup. Le malheureux est perclus de rhumatismes ; il souffre affreusement.

— C’est bien, répondit Jésus. J’irai chez vous et je le guérirai.

— Pas besoin de vous déranger, Rabbi ; dites seulement un mot, et mon serviteur sera guéri.

L’Oint charmé d’une telle confiance, prononça le mot demandé, et, à l’instant, les rhumatismes quittèrent le corps du domestique du centurion (Luc, chap. VII, vers. 1-10.)

Le lendemain de ce prodige, Jésus, dit l’Évangile, se trouvait à Naïm. À qui connaît la topographie de l’Asie Mineure, cette promenade paraîtra bien rapide ; car Naïm est à quarante-cinq kilomètres de Capharnaüm : mais Jésus et les apôtres parcouraient les plus grandes distances sans aucune fatigue et, comme le petit Poucet, avec des bottes de sept lieues.

Il y avait, ce jour-là, un enterrement dans ce petit village.

Le Christ rencontra la funèbre procession.

Rien de plus triste que des funérailles en Orient : les parents portent sur une litière le cadavre enveloppé de parfums et de bandelettes ; devant eux, des joueurs de flûte tirent de leurs instruments des sons lugubres ; des pleureuses, payées pour la circonstance, poussent en chœur des lamentations, tantôt se frappant la poitrine, tantôt levant les mains au ciel ou s’arrachant des cheveux placés ad hoc au milieu de la coiffure.

Ce jour-là, les pleureuses s’étaient solidement frotté les yeux avec de l’oignon ; car elles versaient des larmes en quantité diluvienne et elles étaient dans un état vraiment pitoyable.

Jésus, qui cependant, en sa qualité de dieu, aurait dû deviner la frime, fut profondément touché de ce beau désespoir.

— Qui enterre-t-on ? demanda-t-il.

L’Évangile ne donne pas le nom du trépassé ni celui de sa famille. Appelons ce défunt : le fils Quilledru.

— C’est, répondirent, les gens du village, le fils Quilledru qui s’est laissé mourir hier. Une bien mauvaise idée qu’il a eue là ! Il était le fils unique de la mère Quilledru. Pauvre femme ! elle n’a plus aucun soutien maintenant, vu qu’elle est veuve.

Un des apôtres s’approcha du Verbe et lui dit à l’oreille :

— N’y aurait-il pas moyen de faire ici quelque grand miracle ? Voilà qui accroîtrait singulièrement votre renommée.

— J’y pensais, répliqua Jésus.

En effet, le Rabbi réfléchissait. Jusqu’alors il avait guéri des malades et expulsé les démons des corps de quelques possédés. Ressusciter un cadavre était tentant. Qui pourrait nier désormais sa puissance, une fois qu’il aurait exécuté un tour de cette force ?

Jésus fit à ses apôtres un clignement d’œil significatif.

Ceux-ci, qui s’étaient mêlés à la foule, excitèrent les villageois à demander le miracle.

— Ce grand châtain-clair, disaient-ils, est un prophète de premier acabit. Si ça lui convient, il peut ressusciter votre mort.

Et les villageois de s’écrier :

— Rabbi, rabbi, ayez pitié de la pauvre veuve ! Le cortège s’arrêta. Le charpentier rebouteur alla droit à la mère Quilledru.

— Bonne femme, lui dit-il, ne pleurez donc pas tant.

— Ah ! monsieur, il était si bon, si honnête, si rangé !… Que vais-je devenir, maintenant qu’il est mort ? Voyez-vous, monsieur, il n’avait pas son pareil sur terre ; il était le bâton de ma vieillesse… Hélas ! hélas ! à présent je n’ai plus de bâton !…

— Ne pleurez pas, vous dis-je.

— Hélas ! monsieur, cela est facile à dire ; mais mon affliction est immense… Ah ! mon fils, mon fils chéri, mon bâton de vieillesse, je l’ai perdu !…

Les joueurs de flûte et les pleureuses se taisaient. Les villageois se chuchotaient les uns aux autres :

— Est-il réellement prophète ?

— Il n’en a pas l’air.

— Que si ! remarquez son œil inspiré. Il va ressusciter le mort.

— Pas tant que ça ! Il ne ressuscitera rien du tout !

— Ressuscitera !

— Ressuscitera pas !

— Deux sous qu’il ressuscitera I

— Quatre sous qu’il ne ressuscitera pas !

Ceux qui trouvaient à Jésus l’air prophète s’attendaient à le voir manœuvrer comme Élie et Élisée, vu qu’il y a un rituel pour la résurrection des morts. Lisez la Bible ; pour rendre la vie à un mort, il faut que le prophète se couche tout de son long à côté du cadavre, qu’il lui ouvre la bouche et qu’il y souffle de toutes ses forces à plusieurs reprises. Les villageois furent donc étonnés quand ils virent que Jésus ne se couchait pas à côté du fils de la veuve.

En effet, il toucha simplement le bord de la litière et dit :

— Jeune homme, lève-toi.

Allons, à l’ouvrage, Magdeleine, ma parfumeuse de pieds ! (chap. XXXV)
Allons, à l’ouvrage, Magdeleine, ma parfumeuse de pieds ! (chap. XXXV)
Allons, à l’ouvrage, Magdeleine, ma parfumeuse de pieds ! (chap. xxxv).
 

À ce commandement, le mort bondit sur son séant comme diable à ressort qui jaillit de sa boîte, brisa ses bandelettes, frotta les yeux et commença à chanter, tant il était joyeux de vivre :

Si vous voulez des pommes,
Montez sur le pommier
V’lan !
Si vous voulez des poires,
Montez sur le poirier !
V’lan !

Il allait continuer :

Si vous voulez des prunes,
Montez…

Mais Jésus l’arrêta d’un geste :

— Non, assez, jeune homme ; tout le monde la connaît, votre chanson ; ça finit par :

Si vous voulez des dames.
Montez sur le damier
V’lan !

» C’est assez idiot ce cantique-là, vous le finirez chez vous. Pour le quart d’heure, embrassez votre mère, cette excellente madame Quilledru, et vivez jusqu’à votre second décès.

Le jeune homme était revenu ; mais sa mère n’en revenait pas.

Elle se jeta aux pieds du Christ et baisa le bas de sa tunique sans couture.

Les villageois, eux, au lieu de faire fête au grand fabricant de miracles, eurent un trac épouvantable. « Tous en furent saisis de crainte, dit l’évangéliste Luc ; ils s’écriaient avec frayeur : « Nous avons un prophète parmi nous ! »

Pourquoi cette épouvante ?

Eh ! c’est que ces braves gens étaient logiques.

— S’il ressuscite les morts rien qu’en leur parlant, pensèrent-ils, il peut nous faire trépasser rien qu’en nous décochant un de ses regards.

Ils prirent donc leurs jambes à leur cou et se sauvèrent dans toutes les directions. Un peu plus, il lui auraient envoyé des pommes cuites.

Donnez-vous donc la peine d’accomplir de grands miracles pour obtenir comme résultat une pareille popularité ! (Luc, VII, 11-16).

Le ressuscité se débarrassa de ses bandelettes, en fit un paquet et alla les vendre au kilog, comme vieux papiers ; avec le produit de sa vente, il acheta des éponges pour absorber les larmes des pleureuses, qui, vu qu’elles s’étaient consciencieusement frotté les yeux à l’oignon cru, ne pouvaient parvenir à arrêter le torrent de leurs sanglots.

Quant aux croque-morts, dont la besogne fut interrompue, quant aux fossoyeurs, dont le travail fut décommandé, ils en gardèrent une dent à Jésus ; car il est bien certain que la mère Quilledru se refusa à payer un ouvrage à moitié fait et dépourvu de toute utilité. Il y eut sans doute procès pour le règlement de la facture des obsèques ; mais j’ignore qui le perdit.