La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XXVII

P. Fort (p. 112-118).

CHAPITRE XXVII

MIRACLES À LA DOUZAINE

Pour le coup, la réputation de Jésus était solidement établie, du moins en Galilée.

Mais notre dieu n’était pas homme à s’en tenir là.

Il avait bien d’autres miracles dans son sac.

Précisément, au sortir de la synagogue, tandis que tous les Capharnautes étaient dans le ravissement, Simon-Caillou se précipita au devant du Maître, et lui dit, de façon à être entendu de tout le monde :

— Eh bien, Seigneur, il m’en arrive une belle !

— Quoi donc ? interrogea Jésus.

— Vous savez que ma famille habite Bethsaïde ?

— Oui.

— Mais la famille de ma femme demeure par ici.

— En effet, mon vieux Pierre, tu m’as raconté que tu avais épousé une fille de Capharnaüm… Te rend-elle malheureux ?

— Ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

— De quoi alors ?

— Il y a que ma belle-mère vient d’être atteinte brusquement d’une fièvre ardente, et j’ai bien peur que la bonne femme en trépasse.

— Ta belle-mère ?

— Oui, Seigneur.

Comment Jésus d’un pauvre diable en fît sortir un autre (chap. XXVI.)
Comment Jésus d’un pauvre diable en fît sortir un autre (chap. XXVI.)
Comment Jésus d’un pauvre diable en fît sortir un autre (chap. xxvi).
 

— Qu’est-ce que tu me chantes ? Ta belle-mère est malade et tu te fais du mauvais sang dans la crainte qu’elle aille rejoindre ses aïeux ?… C’est étrange.

— Non, Maître, ce n’est pas si étrange que ça… Ma belle-mère est une belle-mère modèle…

— Une belle-mère dont on a perdu le moule, quoi !

— Justement… Je tiens beaucoup à la pauvre chère femme, et je désirerais que vous vinssiez la guérir.

— Mon vieux Pierre, je ne puis pas te refuser cela. Conduis-moi auprès de cette belle-mère phénomène.

Simon-Caillou ne se le fit pas dire deux fois. Il se dirigea du côté de la maison de la malade. Jésus lui emboîta le pas.

Peu d’instants après, il pénétrait dans l’habitacle. C’était un humble logis. La belle-mère en question était étendue sur un mauvais matelas ; sa fièvre était si forte qu’elle avait le délire.

En apercevant Jésus, elle se mit à débiter un tas de bêtises ; mais l’Oint ne s’en offensa pas. Il possédait une bonne nature.

— Vous la voyez, murmura le fils de Jonas le pêcheur ; elle ne sait même pas ce qu’elle dit. Cette fièvre nous inquiète tous au plus haut point. Dans son délire, elle extravague. Cela la tient, comme ça, du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au matin.

— C’est très grave, fit Jésus.

Il tâta un moment le pouls à la malade.

Puis, de même qu’il avait interpellé le démon à la synagogue, il prit à partie la fièvre.

— Fièvre ! s’écria-t-il, de quel droit as-tu élu domicile dans le corps de cette excellente femme ?

Mais la fièvre n’avait pas la langue aussi bien pendue que le diable ; elle ne répondit rien.

— Ah ! fièvre, fièvre, reprit Jésus, tu ne souffles mot ?… Tu reconnais donc ton maître… Eh bien, je te commande de t’éloigner… Et du leste, s’il te plaît !

« En prononçant ces paroles, il saisit la main de la malade, souleva son corps abattu, et y influa par cet attouchement la plénitude de la vie. »

La fièvre disparut, sans laisser après elle l’abattement qui en est la suite ordinaire.

À l’instant, la belle-mère de Simon se leva, et, se rappelant tout à coup qu’elle avait oublié son pot-au-feu, se précipita à la cuisine pour écumer sa soupe.

Quelques minutes après, solide comme une pyramide, elle mettait le couvert et servait à dîner à son gendre et à toute la compagnie.

Cela faisait deux miracles coup sur coup. Les Capharnautes n’en revenaient pas.

— C’est-y Dieu possible ! disaient les bonnes femmes ; mais qu’est-ce donc que cet homme qui guérit les possédés et les fiévreux rien qu’en leur parlant ?

Jésus était pris par tout le monde pour un sorcier hors ligne ; nul ne se doutait qu’il devait le don des miracles à sa qualité de fils du pigeon. Si l’on avait su que l’oiseau céleste l’avait engendré, personne alors n’aurait plus été étonné, parbleu !

Quoi qu’il en soit, les malades de toute espèce ayant entendu parler des guérisons merveilleuses opérées par Jésus, tressaillirent de joie au milieu de leurs souffrances, et conçurent l’espoir de voir mettre un terme à leurs maux.

Ils attendirent que le soleil, descendu sous l’horizon, eût marqué la fin du jour ; car le samedi, chez les juifs, était consacré au repos, et le fait d’aller se faire raccommoder une jambe était considéré comme un travail enfreignant la loi.

Mais dès que le soir fut venu, ce fut un débordement d’éclopés dans les rues de Capharnaüm. Jamais les habitants n’avaient vu pareille procession : on se serait cru à une descente de la cour des Miracles.

Les fiévreux grelottaient de tous leurs membres ; les possédés se tordaient en convulsions épileptiques ; les fous faisaient des grimaces, au grand amusement des gamins de la ville ; la majeure partie exhibaient des plaies dégoûtantes, des chancres hideux : certains malheureux, affligés de la danse de Saint-Gui, se livraient à un chahut désordonné ; les paralytiques se faisaient charrier dans des brouettes. Il ne manquait à ce carnaval de malades que des décapités portant leur tête sous le bras.

Cette foule grouillante eut bientôt assiégé la maison de Simon-Caillou, où l’on savait que le grand rebouteur était descendu.

Et tous de réclamer le sorcier :

— Rabbi ! rabbi ! ayez pitié de nos douleurs ! guérissez-nous !

Jésus ne se fit pas trop prier. Pour ce que les miracles lui coûtaient, il aurait eu tort de les marchander aux infortunés solliciteurs.

Donc, au fur et à mesure qu’un malade se présentait, il étendait ses mains sur lui et le guérissait d’un seul mot. Ce n’était pas plus malin que cela.

Quand c’était le tour d’un possédé, Jésus commandait au diable de quitter le corps dont il avait fait sa proie. Le démon alors poussait une litanie de blasphèmes à faire dresser des cheveux sur la tête d’un chauve ; mais il obéissait tout de même. C’était par la bouche ou par les narines qu’il s’échappait.

En sortant, le diable ne manquait pas de s’écrier :

— Sacré nom de nom ! faut-il tout de même que vous soyez puissant pour me mettre ainsi hors de mon domicile ! Bien sûr, vous n’êtes pas un prophète ordinaire, vous êtes le Fils de Dieu !

Le Verbe ne s’enorgueillissait pas de ces hommages rendus ainsi à sa divinité. Bien au contraire, il était vexé de voir les démons révéler son état-civil. L’Évangile nous dit, en effet, que Jésus menaçait les diables et les empêchait de proclamer ce qu’ils savaient, c’est-à-dire qu’il était le Christ.

Au premier aspect, cette conduite est faite pour étonner ; mais, en y réfléchissant un peu, on voit combien elle était logique.

En se laissant prendre pour un simple mortel, Jésus épatait ses contemporains plus qu’un guérisseur émérite ; tandis que, si l’on avait su son origine, les miracles n’auraient plus fait grand honneur à leur auteur. Quand on a créé le monde et l’univers tout entier avec rien du tout, on n’a pas grand’peine à chasser une fièvre ou à redresser l’épine dorsale d’un bossu.

L’Oint opéra ses guérisons toute la nuit. Pas une fois il ne rechigna devant la besogne. Tant qu’il y eut des infirmes quelconques à soulager, il étendit les mains et supprima les maladies.

Cette abondance de miracles plonge l’évangéliste Matthieu dans le rêve. Il se demande ce que Jésus pouvait bien faire de tout ce stock de maladies, et, du moment qu’il en débarrassait les gens, Matthieu en conclut qu’elles restaient pour compte au divin rebouteur.

En effet, dit-il, dans les prodiges de cette journée fut accomplie la parole d’Isaïe : « Lui-même a pris nos faiblesses et porté nos infirmités. » (Matthieu, VIII, 14-17.)

On sait que Jésus était venu en notre planète exprès pour prendre sur son dos tous les péchés de l’humanité. L’homme en mourant, on ne l’a pas oublié, subissait les conséquences du péché commis par Adam et Ève au Paradis terrestre lorsqu’ils mangèrent des pommes, contrairement à la défense de papa Bon-Dieu. Maître Jéhovah avait dit aux deux désobéissants : « Vous avez failli ; eh bien, pour vous punir, votre race sera tourmentée par les maladies dont vous aviez été toujours exempts ; et, ce qui sera le plus contrariant pour vous, c’est que vous mourrez, au lieu de bénéficier de la vie éternelle que je vous avais accordée. »

En vertu de ce raisonnement, formulé d’après la Bible, les Israélites considéraient donc tout malade comme étant un individu puni à raison de quelque péché secret.

La première condition requise pour être reconnu saint consistait à être bien portant.

Et voilà pourquoi Jésus était tout à fait dans son rôle en guérissant les malades. Il enlevait de leurs âmes leurs péchés.

Quand le dernier infirme s’en fût allé, abandonnant devant la porte de Simon ses béquilles désormais inutiles, le jour commençait à poindre à l’horizon. Jésus, qui n’avait pas fermé la paupière de toute la nuit, se leva.

La petite ville de Capharnaüm était encore silencieuse, quand il en traversa les rues et se retira dans un lieu désert pour faire sa prière du matin.

Mais il était écrit que Jésus n’aurait pas un instant de tranquillité. La foule, surprise à son réveil de ne plus voir le sorcier, se mit à le chercher de tous côtés.

Simon-Caillou et ses compagnons se distinguaient entre tous par leur empressement. Ils trouvèrent leur chef absorbé dans sa méditation.

— Eh bien, dirent-ils, cette fois, ça y est ; votre popularité n’est plus discutable. Vos prodiges vous ont acquis toute cette multitude. Ils sont là par centaines, qui vous réclament et veulent encore des miracles.

— Non, répondit Jésus, en voilà assez pour cette fois ; il ne faut pas abuser des bonnes choses. Du reste, les Capharnautes ont été très favorisés par moi ; mais je ne suis pas descendu du ciel à leur seule intention. Il y a d’autres bourgades et d’autres villes qui ont besoin de mes services. Allons-y !

À peine avait-il prononcé ces mots, que la foule, qui suivait de près les disciples, parut. Elle essaya de faire entendre au Christ qu’il serait mieux à Capharnaüm que partout ailleurs, qu’on le logerait aux frais de la cité, qu’on le popoterait, qu’il serait heureux comme un poisson dans l’eau.

Les femmes se faisaient surtout remarquer par leur insistance.

Pas une qui ne gobât Jésus.

Elles prenaient leurs airs les plus câlins et minaudaient avec des manières de chattes amoureuses :

— Vous verrez, Rabbi, comme vous serez entouré de soins et de prévenances !

— Nous vous rendrons l’existence si douce, si douce !

— Dans les autres villes, vous vous exposez à rencontrer des gens grossiers, comme à Nazareth, qui vous insulteront, tandis qu’ici…

— Vous serez choyé !

— Vous serez fêté !

— Vous serez dorloté !

— Nous vous aimerons toutes, quoi !

Jésus était charmé de tant de sollicitude ; mais, nous l’avons, vu, il n’avait pas le tempérament casanier.

Il répondit aux jolies commères :

— Mes chéries, vous êtes adorables, et nulle part, je n’en disconviens pas, je ne trouverai autant d’amitiés qu’ici. Ce serait avec le plus grand plaisir que je me plongerais dans les délices de Capharnaüm. Cependant, je me dois à ma mission, mes agneaux. Il faut que j’aille porter ailleurs mes petits talents de société. Ainsi, excusez-moi.

La volonté de Jésus était bien arrêtée.

Aucune cajolerie ne put le fléchir.

Les soupeuses capharnautes, pas bêtes, auraient bien voulu garder le beau sorcier auprès d’elles. Sa présence dans la ville et le bruit de ses guérisons prodigieuses n’auraient pas manqué d’attirer des multitudes d’étrangers, et la cité serait promptement devenue la reine des stations de plaisir du lac de Tibériade.

Jésus, installé à Capharnaüm, c’était l’avenir de la ville ; tous les habitants le comprenaient bien ainsi. Les hommes entrevoyaient une perspective brillante de fructueuses affaires ; les femmes spéculaient d’avance sur les conquêtes à entreprendre, dîners fins en cabinet particulier, rivières de diamants achetées par les nobles étrangers de passage.

Il fallut renoncer à ces châteaux en Espagne. Le Verbe déclara une dernière fois qu’il avait juré de ne prendre demeure fixe dans aucune ville ; il tira sa plus gracieuse révérence, promit de revenir et s’en alla. (Marc, I, 28-39 ; Luc, IV, 38-44.)