La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XLI

P. Fort (p. 200-203).

CHAPITRE XLI

PROMENADE À PIED SUR L’EAU

Nul ne sera étonné d’apprendre, je suppose, qu’après ce miracle, accompli devant une population entière, les Bethsaïdois méditèrent d’enlever Jésus de force et de le proclamer roi.

L’idée était toute naturelle. Les Bethsaïdois, très logiques, se disaient qu’un individu aussi puissant, placé à leur tête, leur vaudrait toutes les victoires imaginables, en commençant par l’expulsion des légions de l’occupation romaine.

Mais cette perspective ne souriait pas à Jésus. Le Verbe s’était fait chair pour parler à robinet ouvert, et non pour commander des armées d’insurrection et de conquête. Et, puis, son heure n’était pas encore venue (cliché).

Lorsqu’on lui fit connaître les dispositions des Bethsaïdois, il protesta vivement :

Pains et poissons multipliés par Robert Houdin Ier (chap. XL).
Pains et poissons multipliés par Robert Houdin Ier (chap. XL).
Pains et poissons multipliés par Robert Houdin Ier (chap. xl).
 

— Non, non, s’écria-t-il, je ne veux pas de couronne ; que l’on me laisse à mes guérisons de boiteux et de culs-de-jatte !

Les apôtres ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils avaient formé des rêves de gloire et entraient dans les passions belliqueuses du peuple bethsaïdois.

Ils insistèrent.

— Seigneur, si vous prenez le commandement de l’émeute, qui depuis longtemps fermente, nous sommes certains du succès. Voyez quelle raclée nous allons administrer aux Romains !

— Avec ça ! répliqua Jésus. Nous aurons contre nous, non seulement les troupes de Rome, mais encore celles d’Hérode et du Sanhédrin.

— Eh bien, vous êtes bien le fils de Dieu, quand le diable y serait ! D’un mot, vous pulvériserez tous nos adversaires, si nombreux qu’ils soient.

— Je ne dis pas le contraire. Seulement, il n’entre pas dans mes projets de me mettre à la tête d’une insurrection.

— Cependant, Rabbi…

— Il n’y a pas de cependant. Je sais ce que j’ai à faire. Puisque vous me reconnaissez pour votre chef, votre devoir est de m’obéir aveuglément. Ainsi, vous allez tout de suite vous embarquer pour Capharnaüm, et ne raisonnons pas !

Les apôtres baissèrent la tête et ne résistèrent plus à la volonté du maître.

Quand ils furent loin, Jésus renvoya la foule, qui s’était de nouveau attachée à lui, et, profitant de l’obscurité, il s’enfuit tout seul sur la montagne.

Pendant ce temps-là une tempête était descendue avec la nuit dans la vallée du Jourdain. Battues des vents, les eaux de la mer de Tibériade s’enflèrent et envahirent la barque des apôtres. La situation était d’autant moins gaie que l’Oint ne se trouvait pas avec eux cette fois.

Ils maudissaient leur sort, essayaient de lutter contre la tourmente, mais en vain. L’ouragan était le plus fort, les vagues emportaient le bateau et le jetaient hors de sa route.

À la quatrième heure de la nuit, ils n’étaient encore qu’à mi-chemin, et le danger était plus grand que jamais.

Tout à coup, ils aperçurent, à peu de distance, quelqu’un qui marchait tranquillement sur les eaux ; on aurait juré que ce personnage se promenait sur la terre ferme, tant ses pas étaient assurés ; une grande lumière l’environnait. C’était Jésus.

Nos apôtres auraient dû se réjouir et penser que le patron venait à leur aide. Pas du tout. Ils furent au comble de l’épouvante et se mirent à pousser de grands cris.

— Ne vous effrayez donc pas, nigauds, dit le Christ. C’est moi.

— Non, non, répondaient les autres, ce n’est pas vous, c’est un fantôme que nous voyons.

— Je vous réitère que c’est moi.

Pierre fut le premier à avoir un peu de confiance.

— Seigneur, fit-il, si c’est vous, commandez que je vienne à vous sur les eaux.

— Viens, Pierre, puisque le cœur t’en dis.

— Vous m’assurez que je n’enfoncerai pas ?

— Je t’en donne ma parole d’honneur.

Pierre aussitôt de sauter hors de la barque pour aller rejoindre l’Oint. Au fond, il n’était pas trop sûr que ce plancher liquide ne lui jouerait pas un mauvais tour. Demi-craintif, demi-confiant, il fit quelques pas en avant. D’abord, ses pieds foulèrent l’eau comme si ç’avait été du macadam ; mais, vlan ! survint une rafale, il prit le trac et commença à enfoncer. Quand il en eut jusqu’aux genoux, il craignit tout à fait pour sa peau et hurla :

— Maître, maître, sauvez-moi, j’enfonce !

— Tu te fais illusion, mon ami, repartit Jésus, qui était, lui, tout debout au-dessus de l’onde ; regarde comme c’est solide, ce terrain-ci.

— Mais non, maître ! Pour vous qui êtes le fils du pigeon, c’est un terrain excellent ; mais il n’en est pas de même pour moi qui ne suis qu’un simple apôtre… Encore cinq minutes, et je serai empêtré jusqu’au nombril… Tirez-moi de là, je vous en supplie ; c’est une mauvaise fumisterie que vous m’avez faite en m’autorisant à quitter la barque.

Jésus eut pitié du malheureux Pierre, qui barbottait comme un canard en détresse. Il lui tendit la main, le ramena à la surface, et lui dit en manière de gronderie amicale :

— Si tu avais eu tout à fait confiance en moi, mon vieux, tu n’aurais pas enfoncé du tout.

Et, l’un soutenant l’autre, ils regagnèrent la barque.

À peine Jésus y eut-il pénétré, que le vent tomba, et ils se trouvèrent à l’instant même à l’endroit précis où ils devaient aborder. (Matthieu, XIV, 22-23 ; Marc, VI, 45-52 ; Jean, VI, 16-21.)

Pour le coup, les apôtres ne doutèrent plus. Ils se jetèrent aux pieds de leur chef, qui les avait si bien tirés du péril, et ils lui dirent :

— Nom d’un rat ! vous êtes plus qu’un prophète. C’est bien le pigeon qui est votre papa !