La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XLII

P. Fort (p. 203-207).

CHAPITRE XLII

EXIL ET RETOUR EN GALILÉE

Vingt-quatre heures après ces événements, l’Oint prêchait dans la synagogue de Capharnaüm, en présence d’une grande affluence de public. Les gens de Bethsaïde eux-mêmes étaient là. Comme ils avaient constaté que la barque des apôtres était partie sans Jésus, ils avaient cherché le charpentier-rebouteur par monts et par vaux pour lui amener quelques malades, et, ne l’ayant pas trouvé, ils avaient été vivement intrigués.

Le télégraphe électrique n’existait pas encore à cette époque. Néanmoins, au dire de l’Évangile, les Bethsaïdois surent dans la journée même que le fils du pigeon était à Capharnaüm, et ils s’empressèrent aussitôt de s’y rendre.

Le lendemain matin, les deux populations réunies supplièrent le Verbe de leur faire un de ces grands discours dont il avait le secret.

Jésus parla donc ; mais, comme on lui demandait de renouveler le miracle de l’avant-veille, c’est-à-dire la multiplication des petits pains et des harengs saurs, il se rebiffa, et mal lui en prit.

— Sapristi ! s’écria-t-il, vous serez donc toujours les mêmes ! Faut-il que vous soyez affamés, pour que vous veniez encore me demander du pain ! Eh bien, je vous en donnerai, mais pas de celui que vous réclamez. Je vous donnerai à manger de moi-même ; car je suis le pain vivant descendu du ciel.

À cette proposition un peu risquée, on le reconnaîtra, les assistants, qui étaient cependant bien disposés en faveur de l’orateur charpentier, murmurèrent.

Celui-ci, au lieu d’expliquer sa pensée, continua sur le même ton :

— Oui, la nourriture que je vous offre, c’est ma chair. En voulez-vous ?

— Non, crièrent mille voix.

— Tant-pis pour vous ! Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit. Vous m’avez vu ressusciter des morts. Or çà, si vous voulez que je vous ressuscite quand vous serez trépassés, il faut que dès à présent vous mangiez ma chair et que vous buviez mon sang !

Cette politesse d’anthropophage n’était pas du goût de l’assemblée. On voulait bien recommencer une dînette de petits pains et de harengs saurs ; mais personne ne se sentait d’humeur à aller mordre dans les biftecks du monsieur.

— Est-ce une parabole que vous nous dites là ? demanda quelqu’un.

— Point du tout. Ma chair est vraiment viande, mon sang est vraiment breuvage ; qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Celui qui me mange vivra en lui par moi (textuel).

Cette fois, la mesure était comble. Toute l’assistance, y compris de nombreux partisans de Jésus qui s’étaient fait inscrire pour figurer parmi ses disciples, toute l’assistance se révolta.

— Assez ! c’est affreux ! il est fou ! cria-t-on.

Et, comme les Bethsaïdois et les Capharnautes ne voulaient aucun mal au Verbe, ils se contentèrent de le laisser tout seul à ses divagations. « Dès lors, dit l’évangéliste Jean, plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite et ne retournèrent jamais plus avec lui. »

Jésus restait avec ses douze apôtres.

— Et vous, leur demanda-t-il, voulez-vous aussi vous en aller ?

— Dame, répondit Simon-Caillou, nous avons abandonné nos métiers qui nous faisaient vivre ; nous demeurons avec vous. Nous ne nous offrirons pas pour le quart d’heure une tranche de votre chair ; mais cela viendra peut-être. Nous vous avons vu accomplir tant de prodiges, que plus rien de ce que vous dites ne peut nous étonner. Nous vous croyons donc. Entendez une fois de plus notre profession de foi ; vous êtes bien le fils du pigeon.

— C’est bien, mes amis, je vous remercie.

Sur ce mot, il sortit de la synagogue avec ses douze fidèles.

Les habitants les regardèrent passer, scandalisés.

— En voilà, pensaient-ils, qui doivent se livrer entre eux à de belles choses ! Ils en sont à l’anthropophagie ; il faut franchement, qu’ils ne soient pas dégoûtés.

On pense si cet incident nuisit à la réputation de Jésus. Il comprit, du reste, très bien qu’il s’était rendu pour quelque temps impossible ; c’est pourquoi il quitta la ville et même la contrée. Quelques jours plus tard, il était à Tyr, dans la région habitée par les païens.

L’Évangile est très sobre de détails sur le séjour du Verbe parmi les Chananéens. Il raconte qu’il rendit service à une bonne femme dont la fille était épileptique, non toutefois sans l’avoir accablée d’injures, vu que messire Christ n’était pas toujours de bonne humeur.

Quand cette malheureuse mère l’implora, il lui répondit d’abord brutalement :

— Mes miracles ne sont pas pour les chiens !

L’infortunée accepta l’outrage.

— Cela est vrai, Seigneur, dit-elle ; mais, de même que les chiens mangent les miettes sous la table, accordez-moi une miette de vos miracles.

Jésus eut la galanterie de ne pas pousser plus loin la grossièreté, et il accorda, d’un air néanmoins renfrogné, la miette de miracle demandée.

Un autre jour, on lui amena un homme sourd et muet.

Ne manquez pas, à ce propos, de lire saint Marc (chap. VII), si vous voulez connaître la nouvelle manière d’opérer employée cette fois par Jésus.

Il attira à lui l’infirme, lui mit ses doigts dans ses oreilles, lui cracha dans la bouche et cria :

— Ephphetha !

Aussitôt le sourd-muet entendit et parla.

Il renouvela, en une autre circonstance, le miracle des petits pains et des harengs saurs multipliés. Si les Bethsaïdois apprirent que l’Oint avait refait, pour des païens, le prodige qu’il leur avait refusé à Capharnaüm, ils durent certainement en être bien jaloux.

Le séjour de notre personnage dans les pays païens fut de six mois. Tout ce temps-là, il s’ennuya à mourir ; il regrettait la Galilée et surtout Magdala, où était demeuré son petit sérail.

Ce fut donc à Magdala qu’il reparut tout d’abord, quand il jugea que son exil avait assez duré.

Les saintes femmes l’accueillirent avec transport, cela va sans dire ; il y avait une demi-année qu’il leur manquait, et il n’avait pas donné de ses nouvelles, le vilain méchant !

Toutes les pieuses odalisques se rassemblèrent pour fêter le retour de l’ingrat ; on lui adressa de doux reproches, on lui fit promettre de ne plus recommencer de pareilles escapades ; après quoi, le pardon fut accordé par mille chatteries.

C’est à cette époque que l’Évangile place ce calembour idiot et resté légendaire, qui est attribué au Christ.

Interpellant un beau matin ses apôtres, il leur posa cette question à brûle-pourpoint :

— Voyons, vous qui allez et venez et qui entendez dire ce que l’on raconte dans le pays, que dit-on maintenant à mon propos ?

— Pour être francs, répondirent les apôtres, personne ne croit que vous êtes le Messie. Nous avons interrogé tout le monde à votre sujet ; les uns disent que vous êtes toqué ; les autres vous prennent pour Jérémie ressuscité, et encore ceux-là sont-ils ceux qui vous reconnaissent quelque pouvoir ; mais la grande majorité de nos compatriotes vous considèrent comme un cerveau brûlé ou un farceur.

— Et vous, poursuivit Jésus, qui dites-vous que je suis ?

Pierre prit la parole au nom de la bande :

— Nous, Rabbi, nous n’avons pas à changer d’idée. À nos yeux, vous êtes le fils du pigeon, et nous vous proclamons tel partout où nous passons.

— C’est bien, mes amis, je suis content de vous. Et toi, principalement, mon vieux Pierre, je te sais gré de t’être fait l’interprète de vous tous. Tu es un bon garçon. Aussi, écoute bien ce que je vais te dire… Tu es Pierre, n’est-ce pas ?

— Parfaitement, puisque vous m’avez donné ce nom-là en remplacement de celui de Simon.

— Tu es Pierre, dis-je ; eh bien, sur cette pierre je bâtirai mon église.

— Plaît-il ?

— Je bâtirai, entends-tu, une église sur cette pierre que tu es, toi, et les portes de l’enfer ne prévaudront jamais contre mon église.

— Les portes de l’enfer ?

— Oui, les portes

— Je ne saisis pas très bien.

— Cela n’y fait rien. Je te donnerai aussi un trousseau de clefs. Ces clefs seront celles du royaume du ciel, un royaume qui est situé là-haut, plus haut que la lune. Et quand tu déferas un nœud sur la terre, il y aura instantanément un nœud défait dans le ciel.

— C’est bien de l’honneur que vous me faites, Seigneur, répondit Simon-Caillou, je tâcherai de m’en montrer digne.

Et, se tournant vers les autres apôtres, il ajouta en se passant la main dans la barbe avec triomphe :

— Attention, les camarades ; maintenant il est bien entendu que c’est moi qui suis le vice-président de la société ! (Mathieu, XV, 21-39 ; XVI, 1-20 ; Marc, VII, 1-37 ; VIII, 1-30 ; Jean, VI, 22-72).