La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre XIII

P. Fort (p. 47-50).

CHAPITRE XIII

JÉSUS EN ÉGYPTE

La distance qui existe entre Bethléem et Héliopolis (ville d’Égypte qui, selon la légende chrétienne, fut le refuge de la sainte famille) est d’environ quatre cents kilomètres, ce qui donne cent lieues. Ajoutez à cela que, pour parcourir cette jolie distance, il fallait traverser dans sa belle largeur l’Arabie Pétrée, territoire de sable et de cailloux, dépourvu de tout chemin, vrai désert où il était impossible de ne pas s’égarer, à moins d’avoir à sa disposition une boussole (ou, à son défaut, une étoile ambulante), et vous aurez une idée de la partie de plaisir que fut pour le ménage Joseph sa fugue en Égypte.

Mais maman-pucelle et son époux ne s’égarèrent point.

Ils allèrent tout simplement droit devant eux, guidés de temps en temps, par des anges.

La nuit, ils se passaient de lanternes ; « le corps du divin enfant répandait autour de lui une vive lumière ».

L’âne, chipé à l’étable, ne mourut-il pas en route ? — On ne le sait.

Selon saint Bonaventure, un père de l’Église, Joseph et Marie avaient, à un moment donné, mieux que ce maigre équipage : la sainte famille, dit-il, voyagea sur un char magnifique attelé de quatre chevaux.

Une peinture célèbre, qui existe dans l’église de Saint-Nicolas, à Revel, a consacré la description de saint Bonaventure. M. Léouzon-Leduc, dans son ouvrage sur la Baltique, rapporte la composition de ce tableau religieux : « La Vierge roule avec l’enfant Jésus dans un superbe carrosse à quatre chevaux ; saint Joseph, en perruque poudrée, est sur le siège, remplissant les fonctions de cocher, tandis que des anges voltigent aux portières, protégeant les divins voyageurs contre les ardeurs du soleil ; on dirait un riche seigneur esthonien qui se rend dans ses terres. »

Il y a là, évidemment, de l’exagération.

Ce qui est certain, — ou, pour parler avec plus d’exactitude, — ce qui est généralement admis par l’Église, c’est que les miracles se multiplièrent sur le passage de la sainte famille pour lui rendre le voyage facile.

Des routes se tracèrent toutes seules, et le malheur est qu’elles disparurent aussitôt que le ménage Joseph n’en eut plus besoin. Le sable du désert se changeait — provisoirement — en terre fertile où poussaient à la minute des roses de Jéricho. Des fruits, il y en avait à tous les pas ; saint Joseph n’avait aucune peine pour les cueillir : les arbres se penchaient d’eux-mêmes.

On conçoit que, dans ces conditions, la sainte famille ait fait allègrement ses cent lieues.

Nous savons encore que les lions d’Arabie, les tigres et même les dragons (vu qu’à cette époque il y avait des dragons) accouraient en foule au devant du Seigneur et se prosternaient pour rendre hommage à sa divinité.

C’est la ville d’Héliopolis ou On, aujourd’hui Matarieh, à huit kilomètres du Caire, qui fut la résidence du ménage Joseph sur la terre égyptienne.

Personne ne sait à quoi s’occupèrent les bienheureux émigrants durant leur exil. Le plus clair de cet épisode de la vie de Jésus, c’est qu’actuellement il y a, à Matarieh, un couvent de moines coptes, où l’on montre aux pèlerins, moyennant finances, un majestueux sycomore à qui la Vierge fit l’honneur de s’abriter pour donner à téter au petit.

Vous me direz peut-être que ce sycomore doit être bien vieux et bien desséché. Pas du tout. Il est plus verdoyant que jamais ; malgré ses dix-neuf cents ans, il a gardé toute la vigueur de sa jeunesse.

Et il y a des incrédules qui demandent des miracles pour se convaincre ? Qu’ils aillent au couvent de Matarieh, qu’ils y passent seulement deux ou trois cents ans, et ils viendront m’en dire des nouvelles !

Un autre miracle, que tout le monde peut se procurer sans avoir besoin d’aller en Égypte, c’est le miracle des dattes.

Achetez pour cinq sous de dattes ; mangez-les ; vous remarquerez que sur chaque noyau de ces fruits, il y a un petit O. Eh bien, autrefois, il n’y avait pas de petit O sur les dattes ; les noyaux étaient tout unis.

Voici ce qui est arrivé : Jésus avait dix-huit mois ; sa mère lui présenta un jour des dattes ; le bébé, qui n’avait jusqu’alors que bégayé, les regarda et dit tout à coup : « Oh ! les beaux fruits ! »

C’est en mémoire de ce prodige qu’il y a un petit O sur les noyaux de dattes ; miracle perpétuel qui en rappelle un autre.

L’exil de la sainte famille dura sept ans, au dire de saint Bonaventure.

Pendant ce laps, l’enfant fut élevé par sa mère, qui l’avait nourri de son lait : du lait de vierge, encore un miracle.

Il s’amusa sans doute avec les outils du papa Joseph ; celui-ci, sans doute encore, lui confectionna des toupies. Bref, la première enfance du Christ, à part quelques petits miracles, se passa comme toutes celles des autres moutards ; il est même à présumer que le divin morveux se moucha souvent sur sa manche ou dans le bas des jupes de sa mère.

Jésus, jeune gosse, épate les docteurs du Temple (chap. XIV).
Jésus, jeune gosse, épate les docteurs du Temple (chap. XIV).
Jésus, jeune gosse, épate les docteurs du Temple (chap. xiv).
 

Joseph se fit avec soin tenir au courant, par les anges, de tous les faits et gestes d’Hérode.

C’est ainsi qu’il apprit le massacre des vingt mille enfants mâles de Bethléem ; on pense s’il se félicita vivement d’avoir levé le pied en temps opportun.

Il sut même qu’un fait vraiment étourdissant s’était passé à ce propos. Rachel, la femme préférée du vieux Jacob, fils d’Isaac, son ancêtre, Rachel, dont le tombeau se trouvait à Rama, à une demi-heure de Bethléem, Rachel, le jour du massacre, s’était réveillée dans son sépulcre, et avait poussé des cris de douleur que l’on entendit à une lieue. Le miracle est consigné dans l’Évangile. « Et alors un grand bruit a été entendu venant de Rama ; c’était Rachel qui mêlait ses cris lamentables aux plaintes des mères désolées de Bethléem, et elle ne voulait point se consoler, parce que ses fils n’étaient plus. » (Matthieu, chap. II, verset 18.)

Quand Hérode mourut, Joseph en fut informé sans retard, par un ange.

Il pensa alors que le moment était venu de retourner en Judée, et, après avoir vendu son fonds de commerce d’Héliopolis, il reprit le chemin de Nazareth où il comptait s’établir de nouveau. (Luc, chap. II, verset 39.)

Je ferai remarquer ici, pour conclure sur Hérode, qu’une importante contradiction existe entre les historiens et les évangélistes. Suivant l’histoire, et notamment d’après la détermination de Whiston et de Fréret, il est reconnu d’une manière universelle, que « Hérode est mort juste quatre ans avant la date assignée par l’Église à la naissance de Jésus. »

À part cela, la légende chrétienne est l’expression sincère de la vérité. Hérode fut donc un scélérat égorgeur de petits enfants. Maudissons la mémoire de ce monstre qui, même après sa mort, recevait chez lui des rois mages et ordonnait d’épouvantables massacres.