Michel Lévy frères (p. 177-179).


XXVI

LA DERNIÈRE RAILLERIE DE LA DESTINÉE


Rosine écouta avec angoisses, mais elle n’entendit rien. Dès que la nuit était revenue dans la chambre de l’étudiant, la lutte avait cessé. Rosine s’imagina qu’en ouvrant sa porte elle entendrait la fin de la scène, car la porte d’Edmond La Roche était sans doute demeurée ouverte. Elle descendit du lit et courut sur le seuil. La voix du jeune homme et de sa maîtresse — le lion et la tigresse — lui arrivèrent, mais adoucies comme par enchantement Elle n’en revenait pas. Elle avança sur l’escalier, — et, sans le vouloir, — elle se trouva devant la porte d’Edmond La Roche.

On avait allumé une bougie, on avait refermé la porte, et — on s’embrassait ! —

— C’est impossible ! dit Rosine.

En amour, il n’y a que l’impossible qui soit possible.

Oui, on s’embrassait. Quand Edmond La Roche — qui était bien le plus insouciant et le plus volage des cœurs du pays latin — avait vu que Rosine était partie, soit qu’il n’espérât plus la retrouver, soit qu’il craignît de perdre à jamais la Folie Amoureuse, soit qu’il s’amusât à ce jeu irritant de passer de la fureur à l’amour, il s’était ressaisi de la main de sa maîtresse, — cette main qu’il avait brisée sous la sienne, — mais cette fois avec le doigté le plus caressant du monde.

Voici ce que Rosine entendit :

— Puisqu’elle est partie, je m’en vais.

— Puisqu’elle est partie, ne t’en va pas.

Et un éclat de rire.

Ce fut le dernier coup de poignard. Rosine ne s’évanouit plus. Elle redescendit, ou plutôt elle se laissa glisser à la rampe ; elle rentra à moitié morte, elle jeta un châle sur ses épaules et se mit à écrire.

Elle croyait qu’elle n’avait plus qu’un jour à vivre, et elle ne voulait pas mourir sans avoir fait son testament.

— Son testament ! direz-vous, c’est une ironie, puisqu’elle mourait de faim.

C’était le testament du cœur.