La Verdure dorée/Les bouleaux du matin sous quoi tu te recueilles

La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. 105-106).

LXVIII


Les bouleaux du matin sous quoi tu te recueilles
Balancent leur fraîcheur et leur blanc flot de feuilles
Déferle en bruissant aux rives de l’été.
De jaunes moucherons nagent dans la clarté.
Un rayon de soleil pique ta jambe nue.
Une fouine d’un saut traverse l’avenue.
Une guêpe a touché ces genévriers verts.
Aux Marcou du futur laisserai-je trois vers ?
Un jour les écoliers penchés sur leurs pupitres
En écoulant vibrer les mouches sur les vitres
Trouveront-ils au fond des collèges moisis
Une page de moi dans leurs Morceaux choisis
Et verront-ils trembler à l’entour de la chaire
Ce feuillage d’argent sur la verte fougère
Et ce bleu liseron qui s’enroule à ta main ?
Pourquoi rêver ainsi qu’au soleil de demain
Ta gloire s’ouvrira comme une douce ombrelle
Et que ta voix pareille à cette tourterelle
Roucoulera longtemps ta peine et ton amour ?
Journaux, parlerez-vous de mes livres et pour
Derème écrirez-vous une nécrologie
Quand l’aile du destin soufflera sa bougie ?

Qu’importe ? N’ai-je pas cette aube que je bois,
Ce matin bourdonnant, ces feuilles et ce bois
Et toi qui dans tes bras endors toute amertume ?
Qu’un autre pour l’honneur d’une palme posthume
Ferme ses contrevents sur les jardins fleuris
Et meure dans son encre et dans ses manuscrits !
Mais moi qui sais jouer des cithares diverses
Et goûter le soleil, la lune et les averses,
Les roses de cristal sur les prés endormis,
Je chante pour moi-même et pour quelques amis,
Et j’écoute siffler l’air tiède dans ses flûtes
En levant vers l’azur ma pipe et ses volutes
Et sans me soucier sous ces arbres touffus
Que dans quatre mille ans on sache que je fus.