La Vérité sur l’Algérie/08/06

Librairie Universelle (p. 354-356).


CHAPITRE VI

À quoi ont passé les dépenses ? L’outillage économique.


En contre-partie de ce sacrifice, lequel s’accroît chaque année, qu’avons-nous en Algérie ? Qu’a-t-on fait de ces sommes énormes ? Qu’en reste-t-il comme outillage économique, comme outillage donnant valeur à la possession de la terre d’Algérie en en permettant l’exploitation ?

Puisque cette exploitation ne « paie pas », ne fait pas rentrer dans les caisses publiques l’équivalent de ce qu’elle leur coûte, c’est que cette exploitation est mauvaise ? Cela tient-il à la matière exploitée ou aux moyens d’exploiter, à l’insuffisance de l’une ou des autres, ou à l’insuffisance des deux ? Notre livre troisième a montré ce que vaut la matière exploitée. Relativement peu. Les moyens d’exploitation, si nous en jugeons par le chiffre de cinq milliards dont fait partie le prix qu’ils nous ont coûté, devraient être merveilleux. Hélas ! Quand Burdeau fit son rapport, l’Algérie demandait 70 millions pour des routes, 82 millions pour des ports, 17 millions pour des reboisements, 100 millions pour des barrages ! M. Laferrière voulait plus, récemment, 300 millions pour le même objet. M. Revoil se contenta d’obtenir 100 millions d’emprunt toujours en même dessein. Quant à M. Jonnart, il n’ose, je crois, prononcer son chiffre…

Je n’ai pas la prétention d’analyser ici, à fond, dans tout le détail, toutes les questions de travaux publics de l’Algérie, comme je les ai étudiées sur place durant mes voyages.

Montrer ce que sont les ports, les routes, les travaux d’hydraulique, les aménagements des forêts, énumérer les diverses constructions qui composent le domaine public bâti, etc…, cela m’entraînerait trop loin.

Elle serait longue, l’histoire des travaux publics en Algérie, surtout s’il fallait en dire toutes les joyeusetés.

Une typique, cependant, sur le propos des ports, dans Carette :


« Les ingénieurs français suivirent d’abord, à défaut d’autre, la direction amorcée par les Turcs. Mais elle réduisait le port à des dimensions beaucoup trop modestes. Dès lors le môle commença à gagner vers le large et annonça des vues plus ambitieuses. Divers projets se présentèrent, et chacun d’eux après une ou deux années de règne s’effaçait devant une conception plus grandiose. Au milieu de ces débats le môle marchait et reproduisait dans sa forme le mouvement des idées. À chaque hausse il s’enhardissait et s’épanouissait vers le large. Ces inflexions successives ont fini par imprimer à la jetée française une courbure bizarre, injustifiable, contraire aux données de l’expérience et aux principes de l’art hydraulique, monument impérissable des hésitations administratives, des scrupules diplomatiques, des tiraillements de toute nature qui ont marqué cette conquête. »


Et notez la suite. Ces jetées, offrant leur creux aux vagues du large, à l’effort de la mer, devinrent ensuite le fin du fin. Oran n’en voulut pas d’autre, prétendant qu’avec ce système la vague est renvoyée au large, n’entre pas dans le port.

Résultat : la jetée plusieurs fois défoncée.

Mais ça ne fait rien, l’astuce oranaise ne démord pas de son système, c’est la mer qui a tort !…

Comment de pareilles choses peuvent-elles arriver dans un pays organisé ? Lisez cette appréciation de l’amiral Mouchez. Elle est de 1881. Mais elle serait encore de mise aujourd’hui. Preuve : les réclamations algériennes qui figurent dans tous les documents publics, et ce fait des crédits énormes qui sont demandés pour que l’installation des ports devienne adéquate aux besoins du commerce.

L’amiral Mouchez écrivait :


« Ayant passé plusieurs années à étudier minutieusement cette côte pour en dresser la carte, je me crois autorisé à affirmer que la question des ports de l’Algérie a été mal comprise et mal résolue. La position des jetées, trop souvent subordonnée à des intérêts secondaires, a été mal choisie ; les ports sont beaucoup trop petits, et après avoir dépensé bien des millions, nous n’avons pas encore sur cette côte, à l’exception d’Alger peut-être, qui nous coûta une soixantaine de millions (en 1881), un seul bon port satisfaisant aux conditions qu’on serait en droit d’exiger après les sacrifices qu’ils ont coûtés à l’État. Le résultat obtenu est bien minime pour le prix qu’il nous coûte. » (La Côte et les ports de l’Algérie. Brochure, 1881.)


Cela, on peut encore le dire aujourd’hui, et le dire pour tout ce qui constitue l’outillage économique de la colonie. Résultat « bien minime ».

Où l’on peut de la manière la plus saisissante, je crois, l’apprécier tel, c’est en étudiant les chemins de fer.

C’est aujourd’hui la grande, la grosse, l’énorme question d’actualité.