La Vérité sur l’Algérie/08/05

Librairie Universelle (p. 350-354).


CHAPITRE V

Le mensonge des excédents.


Car c’est mentir que d’affirmer que, même spécial, le budget algérien est en équilibre, et c’est encore mentir que de prétendre que l’Algérie ne coûte plus rien à la métropole.

Négligeons pour l’instant le compte des intérêts augmentant annuellement le déficit payé pur la métropole et contentons-nous du chiffre incomplet de la somme des déficits annuels, sans intérêts, du chiffre publié en 1900 par le ministère des finances. Ces quatre milliards sept cents millions de déficit 1830-1900, qu’on distrait du compte algérien, ne disparaissent point. Ils sont inscrits à notre dette et nous en payons l’intérêt. C’est du bon 3 %, C’est exactement :

4.771.390.530 × 3 ÷ 100 = 143.141.715,90.

Ajoutez à cela le budget militaire. Celui des garanties d’intérêt. Celui des territoires du Sud. Près de cent millions pour ces trois budgets. Et vous trouvez officiellement qu’aujourd’hui, alors que tous les Algériens prétendent que leur colonie ne nous coûte plus rien, nous payons pour elle 240 millions par an.

Par la consolidation en 1900 du déficit algérien de 70 années, pour que l’opération complète, organisation et exploitation de l’Algérie, budget public, fût équilibrée en recettes et dépenses, fût le succès financier que l’on dit, il faudrait que les recettes algériennes annuelles s’augmentassent normalement, sans expédients ni virements, non seulement des trois à cinq millions qui sont nécessaires pour équilibrer le budget spécial, mais aussi des 240 millions que paie la métropole.

Voilà la vérité.

Absolue.

Indiscutable.

Évidente.

Les chiffres, une note de comptable.

Le maréchal Bugeaud insultait jadis les censeurs qui lui reprochaient les dépenses de l’Algérie. « Vous avez voulu la prendre, disait-il, payez. » Et il prétendait que la question algérienne ne devait pas être une question de budget.

Il était un sage. Qui n’imite point sa sagesse et veut prouver l’excellence de « l’affaire Algérie » par des considérations budgétaires et des affirmations d’excédent est obligé de mentir.

Quand on leur parle des cinq milliards que la conquête et la colonisation de leur pays coûtent officiellement à la France, les Algériens ripostent comme si on les mordait. Ils essaient de faire des comptes pour prouver que c’est eux, habitants, colons, propriétaires actuels en Algérie, qui sont les sacrifiés. Leurs écrivains traitent la métropole de marâtre. Leurs économistes calculent ce que le commerce général nous rapporte, etc… Et le résultat c’est que nous leur devrions toujours quelque chose, beaucoup, énormément.

Ils ont tort de protester contre le chiffre officiel de cinq milliards. Car ils nous obligent ainsi à compter juste, très juste, tout à fait juste. Non en fonctionnaire comme un agent du ministère des finances, mais en liquidateur. Trop souvent on m’accusa de « phraser » des impressions. La réalité que je tiens ici, je veux la serrer, la chiffrer.

Le ministère des finances, lorsqu’il établit le compte du déficit algérien, pour en débarrasser les finances autonomes de la colonie en en chargeant celles de la métropole, n’a pas procédé comme le ferait dans les affaires n’importe quel liquidateur prié de présenter un bilan, d’établir un compte.

Il a dans une colonne successivement aligné les déficits de chaque année et en a fait l’addition simplement, en négligeant tout intérêt.

Mais ces intérêts qui n’apparaissent point dans le total de 5 milliards, la France les a payés. Depuis 1830 la France a toujours été endettée. L’argent qu’elle a dépensé pour solder le déficit annuel de l’Algérie a grossi chaque année sa dette, dont régulièrement elle a payé les intérêts.

Et vous voyez que nous devons compter autrement que le ministère des finances pour établir ce que réellement l’Algérie coûte à la France, d’argent effectivement sorti des cuisses métropolitaines.

La première année l’Algérie produit bénéfice. C’est 1830. Il y a 13.900.847 francs d’excédent. C’est le trésor du dey…

La deuxième année l’Algérie ne coûte encore rien. Il y a bien 8.115.357 francs de déficit. Mais on peut payer avec le boni de l’an précédent, et il en reste 5.785.357 francs.

La troisième année c’est 13.144, 623 francs de déficit. Le restant du boni y passe et c’est un déficit réel de 7.359.266 francs.

1833 accuse un déficit de 15.437.407 francs. La France paie.

Combien alors a-t-elle dépensé pour l’Algérie ? 15.437.407 + 7.359.266 + les intérêts de 7.359.266 pendant un an.

Qu’on ergote et que l’on cherche, et que l’on trouve tous les sophismes que l’on voudra, voilà le fait comptable, le fait réel, le fait argent sorti des caisses de la métropole pour l’Algérie.

Voilà comment il faut établir le compte de ce que la possession de l’Algérie a coûté en argent à la métropole.

Ce n’est pas un compte simplement successif, mais progressif.

Ce n’est pas un compte fictif, mais réel, puisque nous avons chaque année payé. Et que notre dette publique n’a depuis cessé d’augmenter.

En 1832 la France a payé pour l’Algérie 7.359.266 fr.

En 1833 elle a payé : 1o l’intérêt de ces 7 millions 359.266 à 5 %, soit 367.963 francs ; 2o le déficit de l’année, soit 15.437.407 francs. Et alors l’Algérie coûtait à la France non pas 22.796.673 francs, somme des deux déficits annuels, mais 23.164.636 francs.

En 1834 la France paie l’intérêt de sa dette publique. Si l’année d’avant elle avait pu alléger cette dette des 23.164.636 francs dépensés pour l’Algérie, elle aurait une dette moindre de cette somme, la somme des intérêts qu’elle paie serait diminuée du montant des intérêts de ces 23 millions.

C’est 1.158.231 francs d’intérêts qu’en réalité elle paie pour l’Algérie, et qui doivent être ajoutés aux 15.549.400 francs du déficit de l’année…

Vous commencez d’avoir le vertige. Moi aussi… Vous apercevez maintenant l’addition fantastique… vraie… Poursuivez le compte. C’est beaucoup plus de vingt milliards.

!!!!!!!!

Oui.

Supposez que chaque année la France, au lieu de payer l’intérêt des déficits algériens antérieurs, au lieu de payer le déficit algérien de l’année, au lieu de faire successivement passer la mer aux sommes qui sortaient de son trésor à destination de l’Algérie, eût versé cet argent dans une caisse spéciale.

Et vous auriez une France qui ne posséderait pas l’Algérie, mais qui disposerait d’assez de milliards pour être la souveraine de l’Europe… une France sans dette, une France riche !